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Affaires

Hassan Chami dit tout

La CGEM fait son travail, mais l’administration n’est pas réceptive à ses doléances.
Démocratie interne et début d’ouverture vers les régions
ont caractérisé le second mandat selon le président sortant.
Gouvernance : le politique reste impuissant face à la technostructure.

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La Vie éco : Si les statuts le permettaient, brigueriez-vous un troisième mandat ?
Hassan Chami : Non. D’abord, c’est un métier qui use. Il vous prend pratiquement 100 % de votre temps au détriment de votre vie familiale et professionnelle. Tous les présidents qui se sont succédé à la tête de l’organisation ont constaté, à la fin de leur mandat, que leurs affaires étaient dans un piteux état. On peut occuper ce poste trois ans ou six ans tout au plus. Cela fait douze ans que je suis à la CGEM, en tant que vice-président d’abord, puis en tant que président. Je pense que l’heure est venue de laisser la place à ceux qui peuvent apporter de nouvelles idées.

Après deux mandats, comment évaluez-vous votre apport à cette organisation ?
Au départ, l’objectif était de continuer de faire de la confédération un acteur majeur du changement au Maroc. Je crois que la CGEM a été reconnue comme telle. Elle a apporté, depuis 1996, une vision moderniste d’une action économique et sociale dans le pays.
Avec l’ensemble des membres du bureau, nous avons contribué à asseoir cette participation active à toutes ces transformations que le Maroc a connues. Je vous signale qu’il y a de fortes transformations auxquelles nous avons participé en forçant la main à l’entreprise, par exemple lorsqu’il s’agissait de participer au dialogue social, d’accepter des dispositions consensuelles dans le cadre du Code du travail, de l’AMO et de certaines avancées sociales pour lesquelles la CGEM a été à l’avant-garde.

Beaucoup de patrons vous reprochent justement d’avoir acheté la paix sociale à tout prix et d’avoir plutôt arrangé les affaires du gouvernement au détriment de celles de l’entreprise…
Dans le dialogue social, c’est la partie publique qui a coûté cher au pays. J’ai pris part au débat dans le cadre de la partie privée. J’attire votre attention sur le fait que l’objectif de la CGEM était de faire de l’entreprise marocaine une entreprise citoyenne. Cela suppose un coût. Ce coût a permis à l’entreprise de passer d’un stade où elle était considérée comme un prédateur bénéficiant d’une protection douanière, d’une protection par les agréments à celui d’acteur actif de la citoyenneté.
Il a fallu pour cela rentrer dans un cycle de négociations, accepter des compromis et, contrairement à ce que vous avez laissé entendre, ce n’est pas pour arranger le gouvernement mais pour que l’entreprise devienne un acteur citoyen. Quand vous initiez un tel changement, il est normal qu’il y ait des résistances.

Mais de l’autre côté, vous n’avez pas pu obtenir des concessions sur les sujets de la fiscalité, de l’énergie…
Je vous le concède. Mais cela commence à venir. Je prends le cas de l’énergie électrique. Nous avons commencé par obtenir une baisse de 17,5 %. Maintenant, le coût est presque au même niveau que celui des pays concurrents. Les industriels paient le Kw à 0,70 DH, alors qu’en Tunisie il est à 0,68 et 0,65 en Espagne.
Depuis le gouvernement Youssoufi, nous réclamons une politique gazière. Les prémices de cette politique viennent seulement d’être signés entre la Samir, le groupe Akwa et l’ONE pour amener le gaz naturel dans la région de Casablanca. Je crois que l’introduction du gaz naturel est réellement due au militantisme de la CGEM.

Et la fiscalité ?
Si vous faites une analyse rétrospective, vous vous apercevrez que le gouvernement a opposé une fin de non recevoir à tout ce que nous avons demandé depuis 6 ans. Pourquoi ? Parce qu’il gère la fiscalité d’une manière comptable et non pas économique. Par exemple, lorsque vous leur dites que pour favoriser l’emploi des jeunes diplômés, il faut baisser l’IGR sur les premiers salaires reçus, ils répondent que cette décision équivaudrait à une perte de 800 MDH. Si vous leur expliquez que ce manque à gagner sera compensé par l’augmentation de l’encadrement, ils rétorquent que cet effet induit n’est pas quantifiable. Il faut des gens pour anticiper ces situations. Or, au Maroc, on n’en est pas encore là. Consultez le dernier rapport de la Banque mondiale, il reprend les mêmes revendications que la CGEM.

Parce que la Banque mondiale est venue vous consulter avant la rédaction de son rapport…
Non, mais parce qu’elle a fait le même travail que nous. Si vous faites le choix de vous intégrer à l’économie internationale, il faut le faire en tenant compte d’un environnement élargi. Lorsque l’investisseur a le choix de partir vers un pays où l’IS est de 20 % et un autre où il est à 35 %, il choisit le premier…

Avez-vous dit tout cela au premier ministre ?
Je passe mon temps à le faire.

Quand, exacement ?
Tous les ans, à l’occasion de chaque Loi de finances.

Mais les mesures que vous préconisez amputeraient le budget de l’Etat de 10 milliards de DH…
Beaucoup de mesures de défiscalisation d’une partie de l’économie marocaine ne sont pas justifiées. Par contre, il y en a d’autres qui le sont. Par exemple, nous nous sommes battus à la CGEM pour une amélioration du système régissant la taxe urbaine et la patente. Et qu’a fait le gouvernement ? Il a décidé de plafonner la taxe urbaine à hauteur de 100 MDH d’immobilisations. On s’est re-battu et dans la Loi de finances suivante, un nouveau plafond a été fixé à 50 MDH. Aujourd’hui, on se retrouve dans un système où des entreprises paient la patente et la taxe urbaine sur l’ensemble de leurs immobilisations, d’autres voient ces impôts plafonnés à 100 MDH et d’autres à 50 millions ! On crée une distorsion du point de vue de la concurrence. Et l’on continue à faire la même chose aujourd’hui à travers toutes les mesures spécifiques qu’on prend pour inciter des investisseurs étrangers à s’implanter au Maroc. La formule reste comptable : on ne touche pas à la recette d’aujourd’hui. Par contre pour celle de demain, on peut faire quelques efforts.

Favorable à l’impôt unique ?
Complètement. La flat taxe fait des ravages un peu partout. Les pays qui aspirent à attirer de nouveaux investissements sont en train d’aller vers ce système de loin plus avantageux.

Faut-il alors réduire le train de vie de l’Etat ou tolérer un déficit budgétaire ?
Bien sûr qu’il faut réduire le train de vie de l’Etat. Le salaire moyen dans le public est aux alentours de 8 000 DH contre à peine un peu plus de 2 500 dans le privé. Il est intéressant d’examiner l’évolution de la masse salariale publique durant les dix dernières Loi de finances. Elle représente aujourd’hui près de 13 % du PIB, alors que d’autres pays en sont à 8 %. C’est donc 5 points du PIB que l’on consacre en plus au fonctionnement de l’Etat marocain.

En juillet dernier, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire «La Vérité», vous aviez parlé de problème de gouvernance, phrase qu’on vous a un peu reprochée. A quoi faisiez-vous allusion ?
Lorsque je parlais de gouvernance, je ne parlais pas du partage du pouvoir à l’intérieur de l’Etat marocain. Pour moi, la gouvernance, c’est exercer le pouvoir dont on est investi et ne pas ouvrir un parapluie chaque fois que l’on veut prendre une décision. Quand vous vous adressez à un membre du gouvernement, que vous lui dites qu’il y a une mesure à prendre et qu’il lève les yeux au ciel, cela veut dire qu’il ne veut pas exercer sa fonction. C’est ce que je voulais dire en parlant de gouvernance. Je ne suis pas intervenu et je n’ai pas à intervenir sur les pouvoirs respectifs des différentes instances.

Mais tous les responsables ne réagissent pas de cette manière. Il y en a qui semblent exercer pleinement leurs pouvoirs…
Dans les domaines techniques, oui. Il est normal que l’on connaisse cette situation. On est en train d’évoluer d’un système vers un autre. Il y a des gens qui sont attachés à l’ancien système qui servait leurs intérêts, d’autres à un système plus moderne.

En principe le politique décide et l’administration exécute…
Ce que vous dites là, c’est l’idéal. Le politique décide et l’Administration exécute. Mais dans notre système d’aujourd’hui, on sait que l’Administration est plus présente.

C’est-à-dire que la technostructure est plus puissante que le politique…
Absolument.

Le politique ne s’assume pas !
Je pense.

Si un ministre voulait faire une réforme demain, est-ce que la technostructure a les moyens de s’y opposer ?
Je crois que la technostructure a des moyens de blocage qui ne sont pas frontaux. Elle a pour elle la technicité. Une Loi de finances est faite par des techniciens. Elle est examinée par un conseil de gouvernement où il y a peu de techniciens. Au Parlement aussi, il y a peu de techniciens. Finalement, cette loi faite par des techniciens est avalisée par le politique qui n’a pas les moyens de contester ce qu’il y a dedans…

Mais quel est le rôle de la CGEM dans ce cas ?
Le rôle de la CGEM est justement d’examiner techniquement ce genre de textes. C’est pourquoi on nous reproche de dénoncer ce qui est caché à l’intérieur.

Quand vous parlez de problèmes de gouvernance, vous faites donc un peu allusion à cela. Mais vous pensez que c’est dû au fait que le premier ministre n’est pas politique ?
Je vous répondrai par une autre question : est-ce qu’avec un premier ministre politique, en l’occurrence Abderrahmane Youssoufi, nous avions une meilleure gouvernance ?

C’est à vous de me le dire. Avez-vous, à la CGEM, senti qu’il y avait une différence ?
Franchement non.

Mais alors, à quoi est dû ce problème, aux mentalités, au poids des pratiques ?
Je crois que oui.

Autrement dit, si demain un ministre veut faire une réforme, vous pensez qu’il peut subir des pressions ?
Je crois qu’il y a un système de gouvernance oral, et non pas écrit, qui fait que les gens hésitent à opérer des réformes. Pire encore, ils hésitent à exercer tout simplement leurs responsabilités.

Certains journaux ont écrit que vous aviez laissé entendre être l’objet de représailles, notamment en évoquant les contrôles fiscaux dont font l’objet vos entreprises…
Un journal m’a interrogé et j’ai répondu que le contrôle fiscal est un droit de l’Administration et qu’il est exercé selon des procédures claires, connues. Le journaliste a rapporté mes propos et a conclu en commentant qu’il ne croyait pas ce que j’avais dit. Il est libre de faire les commentaires qu’il veut. Cela dit, je ne crois pas être victime de quoi que ce soit.

Au lendemain de votre réélection, vous aviez envoyé des signaux à vos détracteurs en leur promettant que vous alliez prendre en compte leurs positions et leurs avis. Qu’avez-vous fait de concret dans ce sens ?
D’abord, j’ai fait une réforme des statuts de la CGEM pour la rendre plus consensuelle car, avant, elle était dans une optique de représentativité politique et non pas économique, avec notamment le principe «une entreprise, une voix». Les nouveaux statuts de la CGEM ont pour but de donner du poids aux structures performantes de l’économie. Cela est d’autant plus important que lors des élections de juin 2003, beaucoup de gens ont dit que les grands groupes avaient voté contre moi. Pourtant, je leur ai donné, à travers les nouveaux statuts, plus de représentativité au sein de la CGEM. J’ai introduit la notion de dualité dans la gestion de la confédération par l’instauration d’un poste de vice-président. Je crois sincèrement qu’il y a plus de proximité des entreprises, que la gestion de la CGEM est devenue plus démocratique, plus transparente. Je pense avoir respecté l’engagement que j’avais pris d’accompagner le processus de démocratisation du pays par une démocratisation plus poussée de la CGEM.

Pourtant, certains membres du bureau disent ne pas assumer le bilan de votre bureau et vous reprochent de ne pas avoir fait l’effort de les écouter. C’est le cas de la Fédération des PME…
Pouvez-vous me dire quel est le bilan des actions de cette fédération ? Moi, pour ma part, je parle de ce que je fais et je ne parle pas des apparences.

On vous reproche aussi, dans les unions régionales, de n’avoir jamais tenu de réunion du bureau ou de conseil national du patronat hors de Casablanca. Y a-t-il eu négligence ?
Si toutes les réunions du conseil d’administration de la CGEM se tiennent à Casablanca, c’est essentiellement pour des raisons de commodité dans la mesure où la majorité de ses membres sont à Casablanca. Mais nous avons à plusieurs reprises accompagné les unions régionales dans leurs activités. Aujourd’hui, nous avons doté les unions régionales de directeurs qui ont pour rôle de dupliquer au niveau des régions les activités de la CGEM à Casablanca.

Est-ce que vous interviendrez dans la campagne électorale à venir ?
Non, je pense que nous aurons des candidats très valables.

Et en tant que chef d’entreprise, membre de la CGEM ?
J’ai six ou sept voix que je donnerai au candidat le plus valable, c’est-à-dire un homme de consensus et de caractère.

Qu’il soit du camp des conservateurs ou de celui des réformistes ?
Vu l’état actuel de l’entreprise, on ne peut pas être conservateur. S’il y a aujourd’hui une cellule sociale qui a connu et qui connaît le plus de mutations, c’est bien l’entreprise, qui est aujourd’hui l’élément de notre économie le plus exposé au changement. C’est une idée fausse que de croire qu’il y a un camp des conservateurs et un autre des réformistes. Notre problème au Maroc est que nous voulons souvent transposer ici des modèles qui viennent d’ailleurs. Or, nous avons la chance d’être le seul pays de la région qui a ouvert en même temps tous les chantiers de la réforme à la fois, à savoir politique, économique, sociale… C’est pour cela que, parfois, nous avons l’impression que nous bougeons beaucoup mais que nous n’avançons pas.

Hassan Chami Président de la CGEM
Il a fallu accepter des compromis et ce n’est pas pour arranger le gouvernement, mais pour que l’entreprise devienne un acteur citoyen.

Com’ese

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