Affaires
Hassan Bouhemou parle de l’opération Ona – Sni
Les opérations de cession interviendront dans les 12 prochains mois : Centrale laitière, Cosumar et Lesieur, les premières sur la liste.
Marjane jugée pas encore prête pour être «autonomisée».
Le nouvel ensemble né de la fusion Ona-Sni ne sera pas un sleeping partner et compte rester influent à travers les organes de surveillance.
Il sera un incubateur de nouveaux projets sans horizon de sortie prédéterminé.

Qui l’aurait cru ? Ce n’est pas tous les jours qu’un groupe consent à céder le contrôle de ses filiales. A plus forte raison quand il s’agit d’Ona-Sni, le premier ensemble privé du Royaume qui entend muer pour se transformer en actionnaire professionnel, jugeant ses entreprises suffisamment armées pour développer leur activité sans la tutelle du groupe. Un signe évident de confiance envers l’économie marocaine et un signal politique fort adressé par le holding royal au secteur privé. Le nouvel ensemble se positionnera comme un catalyseur de croissance, investissant de nouvelles niches aidant à faire émerger des sociétés économiquement viables et jouant les premiers rôles dans leur secteur. Dans l’entretien qui suit, Hassan Bouhemou, président de la Société nationale d’investissement (Sni) et architecte de l’opération, parle sans détours de ce que l’on peut déjà qualifier d’événement de l’année.
Cette nouvelle vision du passage de groupe multi-métier à celui de holding d’investissement, actionnaire professionnel, comporte des messages politique et économique à la fois. Si vous deviez les décrire en quelques mots ?
Sni et Ona ne font pas de politique. Ce sont des acteurs économiques et financiers. Et de ce point de vue, cette opération constitue une rupture à plusieurs égards. Il s’agit d’abord d’une reconnaissance de la maturité du Groupe avec un certain nombre de filiales éligibles à une autonomisation accompagnée d’une évolution du mode de gouvernance. Il s’agit également d’une confiance dans l’environnement institutionnel marocain rendant obsolète les groupes intégrés multi-métiers, grâce à des marchés du travail, des marchés financiers… de plus en plus liquides. Il s’agit enfin d’une réponse aux attentes des investisseurs nationaux et internationaux en Bourse qui souhaitent pouvoir investir dans des entités opérationnelles, à grosse capitalisation avec un gros flottant.
En juin 2003, grâce à une opération de rotation d’actifs, la Sni devenait maison mère d’Ona, ce qui permettait de rééquilibrer les comptes d’une Ona trop endettée et d’une Sni trop liquide. A l’époque, le scénario de la fusion avait été écarté parce que jugé trop compliqué et fiscalement coûteux. Qu’est-ce qui a changé en six ans et demi ?
La rotation effectuée en 2003 procédait d’une autre logique. Elle avait permis, d’une part, de détricoter les participations croisées et complexes entre Sni et Ona, et, d’autre part, de clairement séparer les participations gérées opérationnellement par Ona et donc portées par Ona de celles gérées par un partenaire métier comme Lafarge ou Arcelor Mittal et portées par Sni. Post rotation, il y avait donc deux holdings avec des vocations distinctes, Ona comme groupe intégré et Sni comme holding d’investissement.
C’est une logique cohérente qui se défend toujours aujourd’hui !
L’opération d’aujourd’hui vient répondre à d’autres impératifs : certaines entités ont atteint un stade de développement pérenne et une taille critique leur permettant désormais de voler de leurs propres ailes, leur appartenance à un groupe intégré leur conférait plus d’inconvénients que d’avantages. Par ailleurs, l’économie marocaine devenant plus performante avec des marchés de plus en plus efficients, le changement de vocation de groupe intégré vers celle de holding d’investissement devient pertinent.
La fusion avait été effectivement écartée en 2003, moins pour des raisons d’ordre fiscal, que parce qu’il était pertinent à ce moment-là de maintenir deux entités avec des vocations distinctes.
Je tiens aussi à préciser qu’à l’époque tout n’était pas prêt : il y avait des faiblesses dans le portefeuille qu’il fallait traiter pendant les années suivantes ; nous étions aussi amenés à corriger des contresens stratégiques avérés, à réduire les risques de certaines options industrielles, et à dénouer, là où c’était nécessaire, les déséquilibres de nos relations partenariales.
La fusion s’accompagne d’un retrait de la cote, pourquoi ce souci de confidentialité alors qu’Ona et Sni ont toujours joué la transparence et étaient précurseurs en matière d’information ?
La transparence d’un ensemble vaut par la somme des transparences des entités qui le composent. Ce sera donc plutôt l’inverse, puisque les entreprises en portefeuille seront amenées à communiquer plus activement sur leurs résultats et leurs perspectives. Ce sont ces entreprises et leurs dirigeants qui prendront la parole et pour rendre compte directement de leurs performances au marché. Leur voix sera d’autant plus audible qu’elle ne sera plus brouillée par celle des holdings. Cela étant dit, même non coté, le nouvel holding déposera ses comptes annuels et tiendra ses assemblées générales, à l’occasion desquelles il répondra aux questions de ses actionnaires.
Les conditions de rachat des actions auprès des actionnaires minoritaires sont plutôt généreuses. Aviez-vous besoin d’offrir autant ?
Dans un souci d’équité, il nous a paru important de proposer des conditions de liquidité avantageuses aux actionnaires dont les contraintes spécifiques ne permettraient pas de nous accompagner dans la nouvelle entité. Nous avons été accompagnés dans cette opération par la banque Lazard qui nous a conseillé ces niveaux d’offres, lesquelles feront l’objet d’une attestation d’équité vis-à-vis des minoritaires délivrée par la banque Leonardo présidée par Jean Peyrelevade.
Vous avez certainement élaboré plusieurs scénarios relatifs au coût qu’il faudra payer pour racheter les actions Ona et Sni et les recettes attendues des cessions de participations. Au final, faudra-t-il débourser plus que ce qui sera encaissé ?
Le coût dépendra du montant des titres apportés aux offres de retrait, lequel je le rappelle n’est pas obligatoire. En tout état de cause, le coût maximal théorique de cette opération est de 24 milliards de dirhams, dont 8 milliards pour l’offre sur Sni et 16 milliards de dirhams pour l’offre sur Ona. En fait, nous pensons que le coût réel sera certainement inférieur à ces montants, vu l’accueil favorable des actionnaires lors des Conseils d’Administration.
Vous parlez d’entreprises qui sont prêtes à prendre leur envol d’elles-mêmes. Il y avait bien des synergies groupe que la disparition d’Ona risque de fragiliser…
Les synergies présentes pour l’ensemble Centrale Laitière/Sotherma/Bimo seront conservées. Cet ensemble est déjà supervisé par une même personne, et bénéficie des mêmes circuits de distribution. Cela dit, rien n’empêche deux sociétés aujourd’hui de développer des partenariats et des synergies si elles y trouvent un intérêt mutuel. Un modèle non-interventionniste, où primeront avant tout les considérations de business, est de nature à favoriser l’émergence de ces partenariats.
Maintenant, les filiales qui ont encore besoin d’une tutelle stratégique rapprochée seront conservées dans le nouvel ensemble pour éviter justement qu’elles ne soient fragilisées.
A quoi un salarié chez Ona et Sni doit-il s’attendre ? Tout cela pourrait sembler abstrait aux 24 000 personnes qui composent les effectifs des deux groupes et leurs filiales…
Croyez-moi, les collaborateurs des deux groupes comprennent très bien le sens de cette réorganisation. Ceux qui travaillent dans les grandes entreprises matures vivent, au jour le jour, la concurrence qui leur est livrée par les challengers. Ils savent que pour réussir, il faut être agile, réactif et souple : plus on simplifie et on responsabilise les équipes sur le terrain, mieux on réussit les batailles commerciales. Les collaborateurs des sociétés en développement, eux, par contre, ressentent de plus en plus le besoin d’un accompagnement qui serait plus stratégique qu’opérationnel, dans un monde économique en mutation rapide. La restructuration ne concerne directement que les fonctions de holding, qui seront plus ramassées et plus focalisées sur la nouvelle vocation. Les collaborateurs du Groupe Ona sont de qualité, ils seront très utiles pour nous accompagner dans cette nouvelle aventure.
Concrètement, quand les premières opérations de cessions commenceront-elles ? Par quelles entreprises commencerez-vous ?
Ces opérations interviendront dans les 12 prochains mois. Nous comptons, dans un premier temps, céder sur le marché le contrôle de Cosumar, Lesieur et l’ensemble Centrale Laitière/Sotherma/Bimo. L’ordre n’est pas encore déterminé entre ces trois opérations.
Vous parlez d’un retrait du contrôle des activités jugées «matures» comme Lesieur Cristal, Centrale Laitière et ses filiales ou encore Cosumar. Pourquoi pas Marjane, par exemple, qui est tout aussi mature ?
Vous savez, Marjane a 20 ans, et à 20 ans on vit encore souvent chez ses parents ! (Rires). Marjane, comme toutes les entreprises du portefeuille, sera effectivement un très bon candidat au processus d’autonomisation, dès lors qu’elle aura atteint la bonne altitude et la vitesse de croisière. Aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas.
Et Sopriam ? Elle reste une société de distribution dont le potentiel est limité par un marché automobile très concurrentiel…
Le marché automobile est certes très concurrentiel mais recèle encore un très fort potentiel de progression avec un taux de motorisation très faible et un pouvoir d’achat sans cesse en progression. De plus, la montée en puissance de la production locale et le démantèlement douanier en cours impliquent une redistribution des cartes.
Vous envisagez un retrait «à court terme» du contrôle d’Attijariwafa bank. Il est rare de voir un groupe céder le contrôle d’une banque, qui plus est la première du Royaume et actionnaire de référence de la non moins première compagnie d’assurance du pays !
Nous ne sommes pas majoritaires dans la banque aujourd’hui. Attijariwafa bank fonctionne déjà largement suivant le modèle souhaité pour les futures participations «autonomisées». Ona ne gérait pas opérationnellement la banque, elle intervenait à travers les comités issus du conseil, qui ont un rôle actif dans le pilotage stratégique et le contrôle. Le conseil est composé à majorité d’administrateurs experts du métier.
A qui seront cédés les actions dans les sociétés cotées en question. Est-ce à des institutionnels, à travers le marché de blocs, ou via le marché central, à des particuliers qui seraient intéressés ?
Il est assez tôt pour commencer à donner des détails spécifiques sur ces cessions, mais, en tout état de cause, ces opérations devraient se faire en Bourse, c’est notre préférence, avec des tranches réservées aux institutionnels et d’autres réservées au grand public.
Dans l’optique de ces cessions, vous vous définissez comme actionnaire significatif détenant 20 à 40% du capital, actif dans les organes de gouvernance mais sans exercice du contrôle. Détenir 40% d’une société à l’actionnariat atomisé c’est quand même garder un contrôle…
Détenir 20 à 40% du capital n’est pas détenir le contrôle, mais détenir une influence sur les décisions stratégiques, et c’est bien en ligne avec notre vocation d’actionnaire professionnel. Nous ne sommes pas un «sleeping partner» mais plutôt un actionnaire stratégique comptant avoir un rôle actif dans les organes de gouvernance des entreprises dans lesquelles il investit.
Ça fait peu de différence avec la situation actuelle, vous en conviendrez…
La différence est majeure : nous ne contrôlerons pas les conseils des entreprises autonomisées qui comprendront une majorité d’administrateurs indépendants. Notre intervention ne se fera qu’à travers ces conseils, et non plus à travers les structures de management d’un groupe intégré.
Dans le même ordre d’idées, l’objectif in fine est de se retirer du contrôle de toutes les activités industrielles. Cela signifie qu’un jour l’intégralité des filiales dans le périmètre actuel sera cédée ! Qu’est-ce qui est non cessible ?
Aucune cession n’est taboue. Tout est question de maturité pour ces sociétés. Si dans dix ans l’intégralité du portefeuille est cédée, nous n’en serons que satisfaits : cela voudrait dire que nous avons pleinement joué notre rôle d’incubateur pour les actifs actuels, et que nous serions en train de jouer ce rôle pour d’autres actifs.
