Affaires
H. El Ouardi : Même les hôpitaux et les pharmacies seront inspectés
Le nouveau ministre veut mettre en place une charte nationale de la santé qui servira de cadre à une politique sectorielle pour les 10 ou 20 prochaines années. Il compte donner plus de pouvoirs aux directions régionales, notamment en matière de ressources humaines et de gestion financière.
En un mois à la tête du département de la santé, que pense le professionnel du secteur que vous êtes ? Quelles priorités ?
La vision du ministère de la santé et celle de l’actuel gouvernement s’articulent autour de cinq impératifs. Ainsi, nous comptons, dans un premier temps, décliner les dispositions de l’article 31 de la nouvelle Constitution qui préconise le droit à la santé. Deuxièmement, mettre en œuvre la politique du gouvernement en matière de santé. Nous voulons aussi capitaliser les acquis et consolider tout ce qui a été fait par mon prédécesseur Mme Baddou, notamment en matière de couverture médicale et de baisse de la mortalité maternelle. Nous souhaitons enfin répondre aux diverses attentes des citoyens marocains et notamment leurs nouvelles attentes.
Quelles sont ces nouvelles attentes ?
Il y a quelques années, les citoyens ne demandaient que l’accès aux soins et aux médicaments, alors qu’aujourd’hui ils réclament l’accès à l’information, une bonne gouvernance du système de la santé et une plus grande transparence.
En attendant, le Ramed qui devait être généralisé avant la fin de l’année 2010 n’est toujours pas opérationnel…
Vous savez, comme pour la mise en place de l’AMO qui a pris beaucoup de temps, la généralisation du Ramed nécessite la mise en place de plusieurs mesures qui est actuellement en cours. Le ministère procède à l’ouverture de guichets Ramed dans les divers hôpitaux, nous avons revu à la hausse le budget du régime afin de mettre à la disposition des patients nécessiteux les médicaments et les dispositifs médicaux. Tout cela sera bouclé incessamment afin de généraliser cette assistance médicale aux économiquement démunis.
Revenons à la réalisation de vos actions prioritaires. Concrètement, comment tout cela va-t-il être fait ?
Dans un premier temps, nous allons lancer une réflexion dans le cadre d’un forum ou un colloque national pour la mise en place d’une charte nationale de la santé qui servira de cadre à une politique pour le secteur pour les 10 ou 20 prochaines années.
Mais le secteur dispose déjà d’une Vision 2020 !
Nous allons capitaliser l’existant et apporter les correctifs nécessaires. Vous savez, ma vision tourne autour du postulat suivant : un ministre est là pour gérer et apporter sa touche au travail qui a été fait et qui est excellent pour le cas du ministère de la santé. Donc, la vision vise à assurer la cohérence entre les six fonctions d’un système de santé telles que définies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et qui sont les prestations, le personnel, le système d’information, l’accès aux médicaments et aux technologies de soins, la gestion financière et la gouvernance. En un mot, j’essaierai avec mes collègues et toutes les parties concernées de permettre aux citoyens un accès aux soins de santé selon leurs besoins et non pas selon leur capacité de paiement.
Comment allez-vous procéder ?
D’abord, en procédant à un repositionnement du ministère qui ne peut plus continuer à tout faire notamment payer, acheter, construire et assurer les prestations de santé. Le ministère doit déléguer et jouer plutôt le rôle de régulateur afin de pouvoir garantir l’équité en matière de soins. C’est pourquoi, et c’est là le deuxième axe de notre action, nous comptons procéder à une véritable régionalisation. Aujourd’hui, les directions régionales n’ont pas de réel pouvoir dans la mesure où la prise de décision est centralisée. Nous allons procéder à une délégation des pouvoirs en matière de ressources humaines et de gestion financière, tout en gardant un droit de contrôle. Ainsi, dans le cadre d’une réunion annuelle, nous définirons avec les délégations régionales les besoins et les actions à mener dans la région. Ce qui permettra par exemple au délégué régional du ministère de la santé d’affecter les médecins car il maîtrise mieux les besoins locaux et peut en discuter avec les représentants de la population et les syndicats professionnels. En troisième lieu, et c’est un projet qui me tient personnellement à cœur, nous allons développer une politique de proximité pour la prise en charge des urgences. Soit une médecine urgentiste qui aujourd’hui fait défaut au Maroc alors qu’elle existe, depuis une dizaine d’années, dans les pays voisins comme la Tunisie et l’Algérie. Au Maroc, l’inexistence de la médecine pré-hospitalière est l’origine du décès de 63% des blessés graves des accidents de la circulation en cours de transport. Seulement 27% des personnes acheminées arrivent dans les hôpitaux, dont 20% sont sauvés et 7% décèdent à leur arrivée à l’hôpital, faute de prise en charge pré-hospitalière.
Et le partenariat public-privé qui devait contribuer à élargir l’accès aux soins ?
C’est un point important dans la mesure où le ministère de la santé coiffe à la fois le secteur public et le secteur privé. Nous avons élaboré, suite à des réunions avec les professionnels et les syndicats, une loi qui est en phase de finalisation pour organiser ce partenariat qui se fera autour d’une mise en commun des ressources humaines. Par exemple, si dans une région un hôpital dispose seulement de trois chirurgiens, il est possible de faire appel à des praticiens privés pour assurer les gardes de l’hôpital. Ensuite, le partenariat permettra une mise à disposition des moyens matériels ainsi que des équipements. Un chirurgien du privé peut opérer et suivre son patient dans un hôpital du public qui peut lui «louer» son bloc opératoire ainsi que les chambres. Nous avons encore des réunions cette semaine à ce propos afin de finaliser ce chantier au cours de cette année.
n L’inspection des cliniques a fait beaucoup de bruit. Allez-vous poursuivre le travail mené par Yasmina Baddou ?
Concernant les cliniques, le ministère poursuit les inspections et les contrôles des structures et nous allons même les étendre aux hôpitaux et aux pharmacies de façon régulière, comme le prévoit la loi. J’ai reçu l’Association nationale des cliniques privées lundi 13 février et j’ai tenu à expliquer la vision du ministère : les inspections ne sont pas faites dans le but de punir mais pour aider les cliniques à mettre le doigt sur les points noirs et les aider à corriger les imperfections et les dysfonctionnements. Toutefois, nous allons améliorer les procédures d’inspection. Ainsi, les cliniques seront avisées à l’avance et nous allons établir un référentiel auquel les cliniques doivent se conformer. En effet, il faut bien qu’elles savent ce sur quoi elles seront jugées, sinon on risque de tomber dans l’arbitraire.
Côté AMO, la révision de la Tarification nationale de référence est bloquée depuis plusieurs mois…
Je vais dynamiser la commission qui s’occupe de ce dossier, et promesse a été faite aux médecins généralistes que j’ai rencontrés, il y a quelques jours -et je vais dire la même chose au Collège des spécialistes-, de débloquer la situation et de revoir l’actuelle tarification qui est aberrante, avec des prix inadaptés. Cependant, il faudra tenir compte des enjeux des autres partenaires, notamment les gestionnaires, afin de trouver un terrain d’entente. Je demande à toutes les parties de faire des efforts. Ce dossier devra être bouclé rapidement.
Et à défaut d’un accord ?
Le gouvernement prendra ses responsabilités.
Le gouvernement prendra-t-il également ses responsabilités pour débloquer le dossier des affectations des médecins spécialistes femmes en régions ?
Bien sûr ! Je vais reprendre le dossier. Toutefois, il faut souligner que trouver une solution ne sera pas facile car nous avons des impératifs notamment la carte sanitaire du pays qui reste déséquilibrée. Il est certain que la circulaire qui réglemente les mutations et les affectations contient plusieurs dysfonctionnements qu’il faut améliorer. Le ministère est ouvert à toutes les propositions qui peuvent aider à résoudre cette problématique.
Vous devez aussi vous prononcer sur l’ouverture du capital des cliniques au privé et le recours aux médecins étrangers prévus par la loi 10-94…
En effet. Et c’est dans le cadre de l’élaboration de la charte nationale de la santé que seront approfondies les discussions relatives à ces deux points. Mais, ma vison est très claire là-dessus : concernant le premier point, l’ouverture du capital des cliniques au privé ne se fera pas de façon sauvage. Au contraire, il importe de garantir l’indépendance du médecin et aucune ingérence du gestionnaire ne sera tolérée. Quant aux médecins étrangers, pour moi il est plus important d’optimiser les compétences existantes et de préparer le terrain pour le retour des médecins marocains exerçant dans les pays d’Europe. Ils sont aujourd’hui entre 7 000 et 8 000 à exercer essentiellement en France et en Espagne. La priorité pour moi est de recruter les médecins nationaux, qu’ils soient ici ou à l’étranger. De plus, si l’on doit ouvrir nos portes à des médecins étrangers, les pays étrangers devront en faire autant pour les médecins marocains.