Affaires
Grippe aviaire : l’Etat a-t-il intérêt à cacher la vérité ?
Il ne peut occulter l’apparition de la maladie car elle serait trop flagrante
Ses engagements à l’international l’obligent à jouer la transparence
totale.

Le Maroc est indemne de la grippe aviaire. Au mercredi 1er mars, dans la soirée, le message répété comme une litanie depuis plusieurs jours par les autorités du pays était encore le même, alors que la situation s’aggravait en Europe. Mardi 28 février, on annonçait qu’un chat était mort de grippe aviaire en Allemagne, alors qu’en France, le virus est supecté d’avoir contaminé un autre élevage de dindonneaux, loin du premier contaminé en fin de semaine dernière. La France, premier pays producteur de volaille en Europe, accuse économiquement le coup : 43 pays ont mis l’importation de volaille sous embargo. Toute une filière industrielle s’effondre.
Et au Maroc ? Et si l’Etat cachait la vérité ? Chaque jour, des oiseaux sauvages morts sont découverts. Lundi 27 février, un élevage d’oies fermières présentait des cas suspects de mortalité. Fausse alerte, selon les services concernés. Le scepticisme de la population demeure et il est compréhensible face à un Etat qui n’a pas toujours été transparent. Même le fait que le premier ministre ait, à deux reprises, consommé du poulet devant les caméras n’a pas atténué le doute. Et si le prix de la volaille a affiché un léger mieux, cette mini-embellie peut flancher «à la moindre rumeur», estime Youssef Alaoui, président de la Fisa (Fédération du secteur avicole).
Le gouvernement dit-il la vérité ? Nous avons essayé d’en savoir plus en posant la question autrement : qu’est-ce qui se passerait si la grippe aviaire se déclarait et que le gouvernement omette d’en faire état.
Première réponse, celle du Dr Hamid Benazzou, directeur de l’élevage au sein du ministère de l’Agriculture. Ce dernier estime que l’on ne peut taire une contamination pour la bonne raison que la chose est tout bonnement impossible. «Si un élevage est atteint, ce sont 90% des volatiles qui contractent la maladie et 60% qui meurent très rapidement». Une appréciation coroborrée par les faits, puisqu’en Egypte et au Niger, il a suffi de quelques jours pour que des élevages entiers soient décimés. Autre argument, apporté cette fois-ci par Abdeladim El Hafi, haut commissaire aux Eaux et forêts, celui des conséquences de l’inaction. «L’Etat, justifie-t-il, a tout intérêt à reconnaà®tre l’existence de la maladie dès le premier test positif. De cette rapidité dépendra la mise en place du dispositif d’urgence destiné à stopper la propagation de la maladie. Chaque jour qui passe aggrave de manière exponentielle le risque : celui d’être débordé par le fléau. Sans compter qu’il doit déployer davantage de personnes et indemniser de plus en plus d’éleveurs. Il est donc dans son intérêt de reconnaà®tre une éventuelle contamination afin d’éviter les dégâts qui seraient trop importants. Même un retard de déclaration aurait des conséquences énormes. En Egypte et au Niger par exemple, on a raté le contrôle des oiseaux sauvages et la situation a dérapé. Le Maroc ne peut se permettre d’en arriver à ce stade.»
C’est sans doute pour cette raison que la moindre sollicitation d’un citoyen concernant un cas suspect d’oiseau mort est prise au sérieux. Les services concernés font d’ailleurs les frais de cette psychose. Lundi 27 février, un habitant de Rabat a semé la panique quand il a trouvé un pigeon mort sur son balcon. Vérification faite, l’oiseau avait tout simplement percuté violemment le vitrage de l’appartement. «Nous vérifions chaque cas signalé», affirme le Dr Mohamed Ribi, chef de la division des parcs naturels des Eaux et forêts.
Et si malgré tout l’Etat prenait ses précautions tout en évitant de signaler l’existence de la grippe aviaire, pour ne pas alerter la population ? Impossible, répondent en choeur les Drs Noureddine Chawki et Hamid Benazzou, respectivement directeur de l’épidémiologie au ministère de la Santé et directeur de l’élevage à l’Agriculture. «Le Maroc, membre de l’OMS et donc de l’OIE (Office international des épizooties), est tenu de déclarer immédiatement l’existence d’un cas.» Il faut savoir en effet que le Maroc est tenu de répondre aux engagements de la circulaire de l’OMS du 19 septembre 1977 sur les maladies «légalement contagieuses» à déclaration obligatoire. En cas de défaillance, non seulement le pays ne pourra pas bénéficier de l’assistance de l’OMS, qui est indispensable, mais de plus, il sera mis en quarantaine et, là , les effets économiques sont de taille : avec une crédibilité douteuse, il ne pourra pas exporter toutes sortes d’aliments (fruits, légumes, poissons…) et pas seulement la volaille, car le virus peut également se nicher dans les emballages ou encore le matériel. Les certificats sanitaires délivrés par le pays seront sans valeur.
On le voit donc, les arguments qui militent en faveur de la transparence de l’Etat sont suffisamment solides, mais, prévient-on, le pays n’est pas à l’abri du risque qui restera élevé jusqu’à fin mars, période qui marque la fin du retour des oiseaux migrateurs vers l’Europe et l’Asie. Puis redoubler de vigilance en octobre prochain quand ils feront le chemin inverse.
En attendant, il faut savoir que dix virologistes ont été envoyés en début de semaine aux Etats-Unis pour perfectionner leurs connaissances, que les oiseaux sauvages détenus dans les zoos du pays ont été vaccinés et que 2,5 millions de poules reproductrices le seront sous peu. Bonne nouvelle, s’il en est, les oiseaux sauvages retrouvés morts en Europe de l’Ouest provenaient d’Europe de l’Est et n’avaient donc pas traversé le Maroc.
Conclusion, donc ? Le Maroc est indemne (jusqu’à mercredi 1er mars) mais le risque est toujours là
Depuis octobre 2005, les Eaux et forêts ont procédé à 315 prélèvements.
