Affaires
Grèves des Autoroutes du Maroc : mais où sont passés les vrais employeurs ?
Les agents d’exploitation revendiquent un cadre assurant la sécurité de l’emploi et l’évolution de carrière n Les titulaires, eux, rejettent leur nouveau statut et réclament sa renégociation. Les parties sont revenues à la table des négociations le 30 mai. ADM espère une solution pérenne répondant à la garantie de l’emploi et à la préservation des acquis sociaux.
Le torchon brûle toujours entre le top management d’Autoroutes du Maroc (ADM) et le Syndicat des employés des centres d’exploitation relevant de l’Union marocaine du travail (UMT). Le climat social est si délétère que les grèves des agents d’exploitation -péagistes et agents d’assistance- se sont banalisées. La situation s’approche de l’enlisement au sein de cette entreprise publique, d’autant plus que deux autres bureaux syndicaux représentant les cadres et les techniciens titulaires d’ADM se sont alliés au bureau représentant les exploitants. L’objectif est de défendre un cahier revendicatif commun et de peser davantage sur la table des négociations. Revendications clés : régularisation de la situation pour les agents d’exploitation, révision du nouveau statut adopté en décembre dernier et priorisation des compétences internes dans les recrutements pour les titulaires. Les deux catégories revendiquent également l’application de deux conventions collectives qui ont été finalisées en juin 2016 par une commission lancée par le DG d’ADM et composée d’un expert juridique et d’un médiateur en plus de deux représentants du pôle ressources humaines.
«La convention collective pour le cas des exploitants que nous sommes et dont la situation n’est pas encore régularisée devrait être mise en œuvre une fois qu’une solution aura été trouvée. Le directeur général nous avait promis soit la création d’une filiale ou bien le remplacement des sociétés marocaines d’intérim par des sociétés étrangères spécialisées dans le secteur des autoroutes», indique Abdellatif Soutih, le secrétaire général du Syndicat des employés des centres d’exploitation; employés sous contrat CDI dans quatre sociétés mandatés par ADM, à savoir G4S, Tectra, Derichebourg et Ainsi Maroc.
Les sociétés d’intérim brillent par leur silence
A l’heure ou nous écrivions ces lignes, aucune de ces quatre entreprises n’a jugé utile de répondre à nos questions. Durant tous les épisodes du conflit social entre les exploitants et le top management au sein d’ADM depuis 2011, toutes les sociétés d’intérim qui se sont succédé ont brillé par leur absence. Pour le syndicat représentant les exploitants, «ces entreprises ne servent pratiquement à rien». «Elles ne sont que de simples boîtes à lettres», surenchérit Abdellatif Soutih.
Autres revendications de second plan : respecter les libertés syndicales et régulariser la situation de certains agents et titulaires d’ADM ayant fait l’objet, selon les syndicats, d’abus par l’administration pour leur activisme syndical.
Joint par La Vie éco, Anouar Benazzouz, directeur général d’Autoroutes du Maroc, balaye d’un revers de la main le fondement des revendications des syndicats des exploitants et des titulaires d’ADM. Selon lui, «les péagistes grévistes ne sont pas des employés d’ADM mais des employés de nos prestataires. Or, une convention ne peut être signée qu’entre un employé et un employeur». Il poursuit : «Ces péagistes craignent pour la pérennité de leurs emplois, ce que nous comprenons. Néanmoins, tout est mis en place pour garantir l’exercice de leur profession. A cette effet, ADM suit un cahier des charges très strict qui donne la priorité à l’ancienneté et aux acquis sociaux».
Quid des revendications des grévistes d’ADM ? «Dans une entreprise de la taille d’ADM, toute phase de transition engendre nécessairement une tension. Le nouveau statut n’est qu’une harmonisation et une mise en conformité du statut actuel avec le code de travail», argue Benazzouz. «Dans ce sens, le conseil d’administration a demandé à ADM de mener une refonte des statuts en concertation avec les partenaires sociaux. Ce chantier a été ouvert dès 2017, et est en cours d’étude», ajoute-t-il.
8 MDH de pertes par jour de grève confirmés par ADM
Quatre débrayages de deux jours chacun ont eu lieu depuis avril dernier avec un taux de participation de 100%, à en croire Abdellatif Soutih. Le dernier en date a été observé les 25 et 26 mai dernier. «Les pertes engendrées sont estimées à 8 MDH par jour de grève», déplore Abdellatif Soutih qui ajoute que «les exploitants ne demandent pas forcément l’intégration à ADM mais exigent un cadre social sécurisé et évolutif. Entre l’année de l’arrivée du nouveau DG (2014, ndlr) et la fin de l’année 2016, nous n’avons fait aucune grève. Nous étions réceptifs aux signes positifs de M. Benazzouz. Et même quand l’UMT avait décidé de mener une grève nationale dans tous les secteurs, nous étions le seul secteur au Maroc à ne pas l’observer», poursuit notre interlocuteur.
Interpellé sur le montant des pertes avancé par les syndicats, Benazzouz ne le dément pas mais plutôt le justifie. «Quand il s’agit de la sécurité de nos usagers tous les moyens sont mis en œuvre. ADM est consciente que tout projet de changement nécessite une phase de transition et d’efforts exceptionnels pour être en phase avec sa nouvelle mission. Nous ne considérons pas que ces efforts soient une perte mais des moyens supplémentaires mis à contribution pour préserver la sécurité des clients-usagers. C’est donc un paramètre qui est intégré en amont dans la gestion des événements qui peuvent surgir sur les axes autoroutiers», précise-t-il.
Précisons enfin qu’après la dernière grève des exploitants et des cadres et techniciens d’ADM, un comité interministériel a tenu une réunion ce mardi 30 mai à Rabat au siège du ministère de l’intérieur. Toutes les parties prenantes y sont représentées, à savoir ADM, les représentants de plusieurs départements ministériels dont l’emploi, le transport ainsi que les trois syndicats en plus d’un représentant de la centrale syndicale de l’UMT. «Un PV a été paraphé pour officialiser la reprise des négociations», nous précise une source syndicale. «Le comité interministériel, ADM et les partenaires sociaux travaillent sur une solution que nous espérons pérenne, répondant à la garantie de l’emploi et à la préservation des acquis sociaux», conclut le DG d’ADM. (Affaire à suivre).