Affaires
Grande distribution, un «mal nécessaire» pour le petit commerce
Le Conseil de la concurrence a statué sur une demande d’avis de la Chambre de commerce de Marrakech. Il parle de complémentarité entre les deux structures mais recommande une mise à niveau des commerces de proximité. L’impossibilité de réaliser des économies d’échelle pénalise les petites surfaces.

Le rapport entre les petits commerces et les grandes surfaces a toujours été tendu. Et le différend n’est pas près d’être réglé tant la distribution moderne est en train de s’implanter à grande vitesse dans toutes les villes, petites, moyennes ou grandes. Difficile à accepter pour le petit commerçant qui se sent injustement concurrencé par un système plus puissant financièrement et mieux outillé. Comme le meilleur moyen de se défendre est d’attaquer, une demande d’avis sur l’existence ou non d’une concurrence déloyale avait été déposée par la Chambre de commerce et d’industrie de Marrakech auprès du Conseil de la concurrence, suite à une requête de commerçants détaillants et grossistes de cette ville. L’avis rendu récemment est un peu nuancé : Il n’y a pas «une concurrence déloyale manifeste».
L’analyse du marché qui a été faite pour l’occasion relève une «prédominance du petit commerce dans le commerce alimentaire avec 99% des points de vente, 85% du chiffre d’affaires et 86% de la surface commerciale». En outre, l’institution dirigée par Abdelali Benamour considère que «le développement des moyennes et grandes surfaces a été un facteur de modernisation du secteur commercial au Maroc et pourrait à ce titre jouer le rôle de locomotive en tirant le petit commerce vers le haut». C’est ainsi que, «conscient de la complémentarité du commerce de proximité et celui des grandes et moyennes surfaces et étant favorable à la promotion de la concurrence et à la modernisation de l’activité économique», le conseil «recommande le renforcement des projets de modernisation et de mise à niveau du petit commerce mis en œuvre, notamment le programme Rawaj».
Couverture territoriale déséquilibrée des GMS
Toujours est-il qu’outre la concurrence qu’il est susceptible de faire aux commerces de proximité, le secteur des grandes surfaces essuie quelques critiques. La couverture territoriale est en effet déséquilibrée. L’essentiel de la concurrence du secteur des GMS (grandes et moyennes surfaces) est réalisé sur la zone centrale (l’axe Casablanca-Rabat). La région Sud compte de plus en plus de GMS et détient aujourd’hui un quart des surfaces totales. En revanche, elles sont relativement peu présentes dans les autres villes du Royaume: 30% des GMS seulement sont localisées dans les régions Nord, Est et Oriental. Ce chiffre est essentiellement dû au faible développement urbain et au faible pouvoir d’achat des populations. Fès et Tanger échappent quelque peu à ce constat. Elles ont pu attirer quelques enseignes en raison de leur récent développement dans différents secteurs (habitat, industrie, tourisme, services, etc.).
Sur le segment hypermarché par exemple, des situations de monopole territorial sont également visibles à Nador et Saidia, au profit de Marjane. Cette enseigne détient une part de marché proche ou supérieure à 70% (en termes de surface de vente) dans 5 autres villes. Par ailleurs, certaines villes semblent à première vue en situation de duopole, mais les enseignes présentes sont en réalité du même groupe.
Ces monopoles territoriaux sont néfastes vu qu’ils engendrent indirectement des barrières à l’entrée légalement inexistante. Pour rappel, sur le marché de la grande distribution, les barrières à l’entrée réglementaires sont faibles : l’activité de distribution ne nécessite aucune licence spéciale d’implantation et d’exploitation. Une autorisation d’exercice d’activité commerciale ainsi qu’un permis de construction de magasins sont délivrés par les autorités compétentes. Ce dernier constitue le seul élément pouvant entraver le développement d’une enseigne. La loi 31-08 sur la protection du consommateur vient combler un vide juridique en introduisant des mesures clés concernant notamment le droit à l’information des acheteurs, les délais de rétractation et les prérogatives des associations de consommateurs. Mais les conditions qu’elle impose aux grandes surfaces (obligation d’information, énoncés des clauses abusives…) ne sont rien comparées aux barrières structurelles: «La possibilité de réaliser des économies d’échelle est une forte barrière à l’entrée du marché des GMS. Ces économies sont obtenues, d’une part, à travers la massification des achats permettant à l’opérateur de disposer d’un pouvoir de négociation envers ses fournisseurs en termes de marges avant et de marges arrière, et, d’autre part, de pouvoir disposer de gains de synergie dans le cadre de la mutualisation de certaines fonctions support (approvisionnement, finance, marketing, communication,…)». C’est ainsi que la taille de l’opérateur, la superficie disponible et le maillage territorial du réseau de distribution sont des éléments déterminants pour pouvoir se développer sur le marché.
Le Conseil de la concurrence conclut ainsi : «Le contexte évolue progressivement vers une pression sur les prix de certains produits de base, nécessaire pour casser l’image haut de gamme associée à la grande distribution au Maroc. Marjane et Métro ont ainsi introduit des marques de distributeur, de manière à séduire les segments de clientèle à bas revenus. Les barrières stratégiques sont ainsi devenues très importantes au cours de la dernière décennie : aujourd’hui, il ne s’agit plus d’être simplement un distributeur, mais il faut être une marque reconnue, aux magasins bien localisés, et qui affronte une concurrence qui s’adresse à des segments de clientèle bien définis».
Légalement, il est donc clair que le petit commerce aura, pour le moment, du mal à s’opposer à l’expansion des GMS. Il doit donc se défendre avec ses moyens, notamment sa proximité avec sa clientèle. Proximité traduite, entre autres, par le traditionnel carnet de crédit dont se servent la plupart des familles modestes et la possibilité d’acheter de toutes petites quantités de produits destinés a priori à être vendus dans leur emballage d’origine. Mais cela ne les exemptera pas de se moderniser, plus particulièrement en matière de présentation et de préservation des produits, comme l’a d’ailleurs recommandé le Conseil de la concurrence.
