Affaires
Grand cafouillage autour de l’opération de relogement des habitants de la Médina de Casa
Les habitants accusent la Sonadac de ne pas avoir respecté ses promesses d’il y a 25 ans. Seulement 3300 familles ont été relogées depuis le début de l’opération. La société a pris possession de 200 hectares sur le site Al Nassim.
Lundi 3 février, 11h du matin. Une foule hétéroclite envahit le siège de la Société nationale d’aménagement communal (Sonadac) avec un seul mot d’ordre : dénoncer le cafouillage qui marque l’opération de relogement des habitants de l’ancienne médina de Casablanca touchés par le projet de l’Avenue Royale ! Il ne faut pas croire que ces familles, pour la plupart issues de la classe défavorisée, sont toujours promptes à exprimer leur mécontentement, mais le cafouillage autour de ce programme porté par la Sonadac a un impact certain sur leur réaction.
Pour mémoire, le programme de relogement a été annoncé vers la fin des années 80. La première étape a consisté en la réalisation d’un recensement de la population concernée en 1989. A cette époque, les conditions de libération des habitations avancées par la Sonadac ont été claires. Le propriétaire d’une maison a droit à une indemnité de relogement de 130 000 DH, en plus du montant de la valeur du terrain et de l’immeuble (zina). Le locataire peut également prétendre à la même indemnité de relogement. Leurs enfants marié(e)s avant la date du recensement doivent recevoir une somme de 60000 DH. Et comme certaines familles habitaient dans le même immeuble, le recensement a prévu pour chaque chef de famille occupant un appartement dans ledit immeuble une indemnité de 130 000 DH.
Les 12 000 bénéficiaires inscrits peuvent recevoir leur argent liquide ou bien avoir en contrepartie un logement social. Dans ce cas, les chefs de familles doivent payer le reliquat, soit 70 000 DH par rapport au prix d’un logement social à l’époque (200000 DH) et la descendance 140 000 DH.
Des bénéficiaires potentiels disent être écartés injustement
Vingt-cinq ans après, le programme est toujours en cours et fait l’objet de critiques acerbes. Le témoignage de Zohra est révélateur de la colère des populations concernées. Cette veuve de 70 ans, sans enfant, a été recensée avec son mari (décédé depuis). Au début de l’opération, la société lui a demandé de prendre la somme de 130000 DH, et de chercher elle-même un appartement. Elle s’explique : «Ils m’ont dit qu’ils ne peuvent pas donner un logement à une seule personne. Cette somme ne peut pas me permettre d’acheter un bien immobilier et, vu mon âge et ma faible pension de retraite, je ne peux bénéficier d’un crédit bancaire que si je passe par la Sonadac». Contacté à ce sujet, Youssef Benmakhlouf, responsable de l’accompagnement social et commercial au sein de la Sonadac, confirme l’information. «Face à notre stock limité d’appartements et l’importance de la demande, nous donnons la priorité aux familles de cinq personnes et plus. Les personnes qui sont dans le même cas que cette veuve peuvent louer en attendant que d’autres logements soient disponibles. Et s’ils sont pressés, ils n’ont qu’à prendre leur indemnité et chercher un appartement».
Fatima, elle, est une mère d’une famille composée de quatre enfants. Après l’effondrement de sa maison, les autorités lui ont demandé de s’installer dans une maison sise au 84 rue Tahar El Alaoui, le temps de préparer son dossier administratif pour avoir son nouvel appartement. Quelques semaines après, et au moment du dépôt de son dossier à la Sonadac, «les responsables m’ont informé que je n’ai plus le droit à cette indemnité car j’ai été recensée dans une adresse autre que celle où j’habite maintenant», se plaint-elle avant qu’un homme d’une cinquantaine d’années l’interrompe pour raconter son histoire. «Je loue une maison à la rue Kachbar depuis 1986 et mes parents habitent à Derb Talyane. Chacun de nous a été recensé seul en 1989. Maintenant, ils nous ont attribué un seul appartement».
D’autres, documents à l’appui, confirment avoir hérité des constructions, mais la Sonadac ne veut pas les indemniser, ni leur accorder les 60 000 DH dédiés à la descendance. En même temps, «d’autres ont pu bénéficier des appartements en versant le reliquat de 70 000 DH alors qu’ils n’ont habité le quartier que quelques années», déplore un manifestant. En effet, il est important de rappeler que durant ces vingt ans d’attente, des personnes ne sont plus en vie, d’autres ont quitté définitivement la médina et «certains ont même vendu leur place à de nouveaux locataires, avec le consentement du moqaddem», ajoute notre source. En somme, tous ces bénéficiaires qui ont jeté l’éponge ont été remplacés par d’autres. Ces derniers ont été les premiers à être relogés. Le secret, «les 20000 DH que nous demande un monsieur de la Sonadac», confient les manifestants. A la Sonadac, on confirme que ce salarié n’est autre que l’agent de relogement ayant un contact direct avec les habitants. «Il s’agit plus d’un règlement de compte que d’accusations fondées, surtout que cette personne est connue pour sa rigueur et sa sévérité», rétorque le responsable de l’accompagnement social et commercial.
12 000 familles recensées, 17 000 réclament un logement
En clair, ce cafouillage est dû principalement au retard pris entre la date du recensement et le démarrage de l’opération du relogement. Pour preuve, le nombre de familles qui devaient bénéficier de ce programme était de 12 000 en 1989. Aujourd’hui, «nous devons assurer des habitats à 17 000 familles», souligne Saad Laachfoubi, directeur général de la Sonadac, qui précise que «2700 ménages ont été recasés dans le quartier Al Nassim entre 1999 et 2003».
M. Laachfoubi confie que le programme a été arrêté pour des raisons d’expropriation de terrains, mais également pour des raisons financières. Ainsi, avec l’arrivée de la Caisse de dépôt et de gestion dans le tour de table de la Sonadac et le changement du management, l’opération a été relancée en juin 2012. «Nous avons depuis relogé 607 ménages (2 320 personnes) et plus de 1 176 suivront, c’est en cours», explique-t-il. Il ajoute que la société a pu également se procurer 200 hectares à Al Nassim. L’avis d’occupation lui a été délivré depuis six mois déjà. Elle entamera très prochainement les procédures de demande d’autorisation de construire afin de lancer les appels d’offres juste après. «Si tout se passe bien, les premiers appartements seront prêts d’ici fin 2015», annonce le directeur général.
En attendant, la Sonadac a signé une convention avec le groupe immobilier Alliances Darna. Ce contrat porte sur la mise à disposition de 2100 logements économiques, dont 400 à 245 000 DH et le reste à 240000 DH sur quatre sites : Zoubair, Ryad Hay El Hassani, Ryad El Rahma et Parc El Rahma. «L’objectif de cette convention est d’assurer un stock de logements privés pour faire avancer le projet en attendant la construction de la première tranche d’Al Nassim (2 000 logements)», détaille Saad Laachfoubi. Toutefois, il tient à préciser que ces appartements sont proposés à 200 000 DH. Le reliquat est pris en charge à hauteur de 40 000 DH par le Fonds de solidarité habitat.
Les bénéficiaires avancent, quant à eux, que la Sonadac leur a demandé de payer 205 000 DH en plus des frais s’élevant à 17 000 DH (enregistrement, notaire, syndic…). Youssef Benmakhlouf déclare que «seuls les habitants qui ont été affectés au site Ryad Hay Hassani vont payer 5 000 DH de plus, soit au total 400 ménages». En plus, pour ceux qui ne doivent qu’un reliquat de 70 000 DH, la Sonadac prend en charge les 5 000 DH afin de maintenir le même niveau de prix. S’agissant des frais fixés à 17 000DH, M. Benmakhlouf explique que ce montant est calculé sur le prix réel de l’appartement qui est de 290 000DH et non pas sur les 200 000 DH.
En somme, les habitants de l’ancienne Médina devront faire contre mauvaise fortune bon cœur. Et pour cause, ces derniers ont tous reçu des avertissements officiels pour vider leurs maisons menaçant ruine. Avec la nouvelle loi sur l’habitat menaçant ruine qui prévoit de lourdes sanctions contre les contrevenants, ils risquent même des peines de prison et/ou des amendes en cas de refus.