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Affaires

Gouvernement : les patrons toujours confiants mais beaucoup plus critiques

La stabilité du pays dans un contexte de tension politique sous-régionale et de crise internationale joue en sa faveur. Les entreprises situées sur l’axe Casablanca-Rabat moins favorables que celles de province.

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Maroc Benkirane Economie 2013 2013 03 29

C’est un des paradoxes qui caractérisent l’évolution d’un pays, d’une économie, du monde en général. Entre les perceptions et la réalité du terrain, il peut y avoir un hiatus, souvent très large. C’est cette situation que vit le Maroc et son gouvernement. Décrié dans la presse pour son manque de cohérence en matière de politique économique, ses hésitations à propos des réformes structurelles à mener et les sorties jugées populistes des ministres du parti majoritaire, le PJD en l’occurrence, le gouvernement d’Abdelilah Benkirane, également bousculé par ses «amis» et adversaires politiques, ne semble pas avoir totalement mangé son pain blanc. C’est ce que suggère le sondage réalisé par DS Marketing, du 1er au 7 mars 2013, pour le compte de La Vie éco, auprès de 215 chefs d’entreprises, grandes, moyennes et petites.

Ce n’est pas un plébiscite ; les opinions favorables sont loin du pic du début du quinquennat (près de 80% dans notre sondage de mars 2012). Mais l’Exécutif actuel bénéficie encore d’un certain crédit auprès du monde des affaires, même s’il ne fait pas mieux que le précédent sur beaucoup de sujets comme la réforme de la justice (voir encadré), l’amélioration des rapports avec l’administration et le social.

Des appréhensions sur la réforme de la compensation

Une année après son installation, 66,5% des patrons interrogés se disent globalement satisfaits du gouvernement, dont 21% de «très satisfaits» et 45,6% de «plutôt satisfaits». C’est en fait la province qui a tiré les résultats vers le haut (21,7% de très satisfaits et 55,4% de plutôt satisfaits). Les entreprises logées sur l’axe Casablanca-Rabat font en revanche montre d’une certaine circonspection : seulement un peu plus de la moitié le juge favorablement.
Ces résultats synthétisent, répétons-le, un point de vue général. On peut subodorer que, dans un monde en crise et une région sous tension politique, les hommes d’affaires se sont suffi, pour le moment, de la stabilité de l’environnement domestique, garante de la bonne marche de leurs activités. Néanmoins, ils ne cachent pas leur embarras, car ils attendaient beaucoup plus de l’équipe en place. Ainsi de la gestion des affaires politiques. Le gouvernement n’obtient qu’un taux de satisfaction de 52%, dont 13,5% de «très satisfaits» et 38,6% de «plutôt satisfaits». Les relations heurtées entre le parti majoritaire et les autres composantes de la majorité et de l’opposition ne sont pas étrangères à la constitution des deux blocs dans notre échantillon. Les avis sont aussi partagés sur la politique internationale. Mais quand un patron évoque ce sujet, c’est à la diplomatie économique qu’il fait allusion. Le plus important pour eux, c’est que le décideur public puisse leur apporter des affaires, leur ouvrir davantage de débouchés (voir encadré). Bref, rendre les échanges plus fluides. Assurément, le gouvernement a du travail sur ce volet. Tout comme les patrons attendent encore les retombées réelles de ses actions sur leur chiffre d’affaires, leurs résultats. En effet, ils ne sont que 41,4% des sondés à reconnaître des améliorations sur le plan économique par rapport au passé ; 47,9% constatent une stagnation et 10,7% une détérioration. C’est chez les petites et moyennes entreprises que la déception est plus grande. Seulement 39% des moins de 50 employés annoncent avoir ressenti une amélioration ; 47,8% font état d’une stagnation et 13% d’une dégradation. On retrouve à peu près la même configuration chez les entreprises de 50 à 199 personnes avec respectivement 33,3%, 58,3% et 8,3%. Les entreprises de plus de 200 salariés naviguent dans l’autre sens : 60% observent une amélioration, 32,5% notent une stagnation et 7,5% déplorent un recul.

Le gouvernement a amorti le choc grâce au reste du pays où il obtient le plus d’opinion favorable. Alors qu’ils ne sont que 32,6% des chefs d’entreprises interrogés sur l’axe Casablanca-Rabat à reconnaître une amélioration de la situation économique, ce sont 55,4% qui pensent de même en province.

Cette rupture entre le poumon économique du Royaume et le reste du pays est tout aussi flagrante dès qu’on aborde le climat des affaires, concept englobant le dispositif législatif, réglementaire et institutionnel mis en place pour faciliter la pratique des affaires. Dans l’ensemble, le gouvernement a visiblement déçu : seulement 33% de l’échantillon sont d’avis qu’il a fait mieux que son prédécesseur, 52,6% qu’il n’y a aucun changement et 14,4% qu’il y a une détérioration. La crédibilité tombe plus bas sur l’axe Casablanca-Rabat avec  respectivement 24,2%, 59,8% et 15,9%. Moins de catastrophisme par contre en province, où le score est de 47%, 41% et 12%. Difficile de fournir une explication précise à ces visions divergentes. Mais l’on peut se hasarder à dire que les entreprises de province, de par leur proximité avec les décideurs locaux, ont plus de chance d’avoir beaucoup plus rapidement des réponses à leurs requêtes que celles qui sont localisées dans les deux grandes villes et région. Une autre rupture apparaît sur ce même volet du climat des affaires : plus l’entreprise est de taille respectable, mieux elle s’en sort. A l’évidence, les petites se sentent toujours négligées : environ 80% n’ont vu aucune avancée.

Les difficultés éprouvées par le gouvernement à faire bouger les lignes sont confirmées dans tous les secteurs. Tant dans l’industrie/BTP, les services et le commerce, l’opinion favorable est largement en dessous de 50%.
Cette perception négative de l’évolution du climat des affaires est corroborée par le jugement qu’ont les patrons des relations avec l’administration. La majorité n’a ressenti aucun changement. Cette opinion est plus marquée sur l’axe Casablanca-Rabat (66,7%) qu’en province (45,8%), de même qu’il y a une divergence de vues entre les PME et les grandes entreprises. Les premières considèrent que les rapports sont identiques tandis que les secondes relèvent, avec une faible majorité, qu’il y a des avancées.

Sur le plan sectoriel, ce sont encore dans les services où les opinions sont plus favorables pour le gouvernement par rapport au précédent, même si elles ne dépassent pas les 50% (48,1%). Dans le groupe BTP/industrie et le commerce, les deux tiers des personnes approchées  n’ont vu aucune modification.

Peur de l’immobilisme sur le plan politique

Quand on change de monture en cours de route, c’est toujours pour aller plus vite, et, comme ce n’est visiblement pas le cas, les intensions d’investir ont été bridées. Il se dégage du sondage que 60% de l’échantillon jugent qu’il n’y a pas eu d’amélioration du niveau des investissements par rapport à la période antérieure à l’installation de l’actuel gouvernement. Les 50,7% parlent de stagnation et 9,8% de détérioration. C’est toujours en province que les opinions favorables sont plus élevées : 53% des patrons font état d’une hausse du niveau des investissements contre 31% sur l’axe Casablanca-Rabat où 59% évoquent une stagnation et 9,8% une détérioration.

Si l’on devait décrire leur sentiment, on dirait que «l’Exécutif actuel n’est ni meilleur ni pire que le précédent». Il en est ainsi du social sur lequel les attentes sont encore grandes. En toute logique, le Fonds de cohésion sociale a la faveur de la majorité des chefs d’entreprises. Il se trouve cependant que le principe est moins bien soutenu dans les deux grands centres de décision (47,3% d’avis favorables) que dans le reste du pays (70%). En principe, des conditions de vie meilleures -ce à quoi sont destinées les ressources du fonds –, un partage un peu plus équitable de la richesse nationale sont nécessaires pour instaurer la paix sociale dans l’entreprise, ce à quoi aspirent les patrons. Mais la polémique à propos des taux de prélèvement avait refroidi l’enthousiasme de beaucoup d’entre eux. En tout cas, la peur d’une aggravation des déséquilibres sociaux est reflétée par leur position sur la réforme du système de compensation. Peur de supporter les conséquences avec d’éventuelles réclamations de hausse des salaires ? Peur d’une hausse des coûts de revient et donc de la perte de compétitivité ? Peur de voir les prix augmenter –le chef d’entreprise est aussi un consommateur ? La majorité (76%) redoute cette réforme, même si une partie (28%) la juge nécessaire pour redresser les comptes publics. Ce dossier figure dans le trio de tête, à côté de la retraite et de la loi sur les délais de paiement, des priorités sur lesquelles s’est focalisée l’attention des chefs d’entreprises. Justement, sur les délais de paiement, l’écrasante majorité est d’accord sur l’inefficacité de la loi. Ce n’est donc pas un hasard si le gouvernement joue l’apaisement en s’engageant à revoir certaines dispositions. L’équipe d’Abdelilah Benkirane n’offre pas également des garanties sur la réforme des retraites. Ce chantier a tellement traîné que presque plus personne n’y croit, à tout le moins, sous l’actuelle législature.

Malgré tout, les chefs d’entreprises ont toujours envie d’y croire. Ce faisant, ils sont en général d’avis que le gouvernement est en mesure de redresser l’économie et de pousser vers plus d’équilibre sur le plan social. Par contre, beaucoup tremblent à l’idée de voir s’installer l’immobilisme sur le plan politique, que le dogmatisme l’emporte sur le réalisme.