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Flexibilisation du dirham : ce qu’il faut en attendre

La parité du dirham est appelée à refléter le niveau du solde du compte courant, déficitaire depuis 2009. BAM pourra intervenir pour éviter une trop grande fluctuation de la monnaie nationale, mais pas indéfiniment. Avec l’ouverture de l’économie et l’indépendance de la Banque centrale, le régime de change fixe est insoutenable.

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Flexibilisation du dirham

Dans quelques semaines, le Maroc entamera la migration (progressive) de son régime de change de la fixité vers la flexibilité. Assez légitimement, les citoyens et les opérateurs se posent des questions sur les implications d’une telle réforme, et d’abord sur les raisons qui la fondent. Bank Al-Maghrib (BAM), qui est le maître d’œuvre de ce chantier, a organisé de nombreuses campagnes d’information et d’explication, et cependant, en raison de son caractère fortement technique, le sujet reste d’accès difficile, y compris, parfois, pour des personnes d’un certain niveau d’éducation.

Partant de là, il faut peut-être commencer par dire que le régime de change actuel du Maroc, officiellement dénommé régime de change fixe, n’est pas…si fixe que cela. C’est un régime de fixité intermédiaire. La parité du dirham subit par conséquent des variations, liées aux fluctuations des monnaies auxquelles il est rattaché et qui sont l’euro (pondéré à 60%) et le dollar (à 40%). Sauf que les variations qui affectent actuellement le dirham sont limitées à plus ou moins 0,3% par rapport au taux central. Du coup, les acheteurs de devises, ménages ou entreprises, connaissent tous, à quelques décimales près, le taux de change du dirham, et celui-ci évolue dans une telle stabilité que le marché parallèle de change (les fameux bazaristes) s’en trouve réduit à une portion congrue.

Et dans la mesure où cette situation offre un relatif confort, pourquoi donc, s’interrogent d’aucuns, tenter le diable en changeant un système bien rodé, stable et lisible, par un autre dont on connaît peu pour le moment? En un sens, l’interrogation est compréhensible, mais le sujet est loin d’être aussi simple qu’il y paraît. C’est vrai, le système de change, tel qu’il fonctionne jusqu’ici, protège le consommateur et les entreprises importatrices. Mais cette protection, il faut quand même le savoir, a un coût. Et ce coût, pas toujours visible ou perceptible par tous, est pourtant facilement identifiable.

Le régime fixe crée des comportements pas très économiques

Une des manifestations de ce coût, c’est le déficit chronique de la balance commerciale. Ce déficit, tenez-vous bien, était de 184,6 milliards en 2016, contre 154,2 milliards en 2015. En tenant compte de la balance des services, structurellement excédentaire, les échanges de biens et services affichent un déficit de 107,3 milliards de DH, selon les chiffres de l’office des changes. Lorsqu’on intègre, dans ce calcul, la balance des revenus (primaires et secondaires), également structurellement excédentaire, le solde du compte courant est lui aussi déficitaire (-44,5 milliards de DH à fin 2016). Cela veut dire que les gains obtenus dans les échanges des services (par le biais du tourisme principalement) et des revenus (par les envois des MRE quasi-exclusivement) ne couvrent même pas le déficit de la balance commerciale. Pourquoi cela ? Parce que, d’un côté, les exportations, malgré leur amélioration ces dernières années, demeurent encore peu compétitives, et, de l’autre côté, par le système du «robinet ouvert», aucune limite n’est posée aux importations. Ainsi, on peut dire, pour simplifier, que grâce au système de change actuel (ou à cause de ce système – c’est selon), il est aujourd’hui infiniment plus facile d’importer que d’exporter. Seulement voilà: ce schéma n’est viable que s’il est assis sur un matelas de devises conséquent. Et même dans ce cas, si le solde des transactions courantes persiste dans son déficit, ce matelas finira par s’éroder. Et alors, l’endettement devient le seul recours pour maintenir un certain niveau de réserves de devises. On le voit, ce système crée des habitudes, des comportements pas très économiques, il faut bien l’admettre.

Aujourd’hui, le Maroc est à peu près dans cette configuration. Les réserves internationales sont certes à un niveau confortable, couvrant quelque 7 mois d’importations de biens et services, mais il suffit d’un choc externe (une hausse du pétrole par exemple) pour qu’elles diminuent substantiellement; comme en 2012 où elles ne représentaient plus que trois mois d’importations. Et puis, ce que peu de gens savent probablement, c’est que dans les réserves internationales accumulées (quelque 253 milliards de DH), il y a aussi de la dette. D’ailleurs, certains emprunts internationaux, même s’ils sont destinés à financer des réformes ou des projets d’infrastructures, ont aussi pour objectif de renforcer ces réserves.

Il y aura à plus ou moins long terme un effet sur les prix

Tout cela amène à considérer que le confort que procure le régime de change actuel mérite probablement d’être nuancé. Toutes proportions gardées, la parité du dirham aujourd’hui s’apparente à une forme de subvention qui ne dit pas son nom. C’est donc une sorte de rente qui profite à la demande intérieure, mais qui pénaliserait la demande extérieure, c’est-à-dire les exportations. Vu sous cet angle, le passage du régime de change fixe à un régime de change flexible apparaît comme une suite logique à la réforme du système de compensation; l’objectif global étant de s’éviter des déficits interne et externe, synonymes de hausse de l’endettement.

Maintenant, la question que beaucoup se posent est celle de savoir si le nouveau régime de change qui sera mis en place va, oui ou non, impacter les prix. La réponse à cette question est liée à deux éléments, au moins, que la Banque centrale n’a, pour l’instant, pas dévoilés, et c’est compréhensible. Le premier élément a trait à l’amplitude de l’élargissement de la bande de fluctuation du dirham, et le second à la valeur de la cible d’inflation qui sera fixée par BAM. Ce qui est souvent répété ici et là est que l’élargissement de la bande de fluctuation ne sera pas important dans un premier temps ; et c’est très probable, vu que dans cette phase d’expérimentation en quelque sorte, il faudra laisser aux opérateurs le temps de s’adapter au nouveau système. Mais pour que cette réforme produise les effets qui en sont attendus, il faudra rapidement passer à l’étape suivante et élargir plus substantiellement la bande de fluctuation. Faute de quoi il n’y aurait pas de flexibilité mais un simple aménagement du régime fixe. Dans ce cas, il faudra s’attendre à des variations plus ou moins importantes du taux de change du dirham. En théorie, ces variations peuvent s’effectuer à la hausse ou à la baisse, mais compte tenu du déficit courant et plus généralement du niveau de compétitivité de l’économie, le plus probable est que les variations se fassent à la baisse, c’est-à-dire dans le sens de la dépréciation du dirham. Bien entendu, au-delà des seuils fixés de part et d’autre de la bande centrale, BAM interviendra pour ajuster le cours du dirham. Mais cette intervention ne pourra pas se faire indéfiniment, sinon nous ne serions plus, encore une fois, dans une configuration de régime de change flexible. Donc, nécessairement, il y aura à plus ou moins long terme un effet sur les prix. Bien entendu, la Banque centrale, qui aura désormais comme rôle principal de veiller sur la stabilité des prix, via une politique de ciblage de l’inflation, a les moyens de réguler les prix domestiques en intervenant sur les taux d’intérêt par exemple. La question qui se pose ici est cependant de savoir comment, en cas de dépréciation du dirham, opérer une articulation réussie entre la politique monétaire et la politique financière? Car, une hausse des taux d’intérêt pour contrecarrer l’inflation, ne conduira-t-elle pas à un afflux d’épargnants attirés par la rentabilité de leurs dépôts, donc à une plus grande demande du dirham, et par la suite à une hausse de son cours ?

A coup sûr, Bank Al-Maghrib s’est posé toutes ces questions, et sans doute bien d’autres encore. Et quelles que soient les réponses qu’elle leur a apportées, les précautions qu’elle a prises pour que la réforme réussisse, une chose paraît évidente : un pays qui a opté pour l’ouverture économique et financière et pour l’indépendance de la banque centrale, donc de la politique monétaire, ne peut pas avoir indéfiniment un régime de change fixe. Ces trois objectifs, semble-t-il, ne peuvent pas être tous atteints en même temps, comme Robert Mundel l’a théorisé dans son fameux «Triangle des incompatibilités». Finalement, tout est question de choix.