Affaires
Finance participative : l’élaboration des contrats-type de financement entamée
Des commissions viennent d’être mises en place pour plancher sur la rédaction de modèles de contrats pour chaque type de financement. Plusieurs difficultés soulevées : l’assurance Takaful qui n’est toujours pas au point, la conformité à la Charia des différentes clauses sur les garanties, l’échéancier…
Après la publication au Bulletin officiel de trois circulaires capitales pour les banques participatives (relatives aux produits qu’elles proposeront et à leurs conditions d’exercice), un autre chantier crucial pour cette future industrie s’ouvre. Il s’agit de l’élaboration des contrats-type qui régiront les financements proposés sur ce nouveau marché (Mourabaha, Ijara…), une mission loin d’être de tout repos. Pour en comprendre l’enjeu, il faut savoir que «ce sont véritablement ces documents qui permettront aux établissements de ficeler leurs offres», explique le directeur d’une future banque.
Pendant un certain temps, il était question de laisser aux banques le soin d’élaborer chacune de son côté des modèles de contrats à faire valider ensuite par le Conseil supérieur des oulémas (CSO). Mais cette manière de faire a été abandonnée, apprend-on auprès des professionnels, parce que, d’une part, elle ne favorise pas une harmonisation des pratiques sur la place, et, d’autre part, elle risque de retarder la commercialisation des produits, le CSO devant au démarrage se prononcer sur une masse conséquente de contrats. Au lieu de cela, il a été convenu qu’un seul modèle de contrat soit élaboré pour chaque solution, en concertation entre BAM et les banques, étant entendu que le visa du CSO ne s’imposera que pour ces modèles communs. A cet effet, des commissions ont été constituées ces derniers jours pour plancher sur la rédaction de ces contrats-type. Et même si le travail n’est encore qu’à ses débuts, l’on voit déjà poindre beaucoup de complications.
Une première difficulté résulte du fait que les contrats de financement doivent intégrer des produit d’assurance pour garantir à l’emprunteur le bien financé… Or, du fait que l’assurance Takaful est loin d’être au point, les établissements sont amenés à s’appuyer sur les produits d’assurance conventionnels. «La question qui se pose dès lors est de savoir si le CSO admettra cette solution transitoire», s’interroge un responsable au sein d’un futur établissement.
En outre, les professionnels ont du mal à trancher la conformité à la Charia des différentes conditions qui doivent être incluses dans les contrats. Il faut dire que les banquiers sont en terrain inconnu. Pour l’élaboration des nouveaux contrats, ils doivent s’appuyer sur la théorie générale musulmane des obligations et contrats qui est bien distincte du Dahir des obligations et contrats (DOC) qui s’applique aux contrats conventionnels. «Entre les deux référentiels, les conditions dont on peut assortir une hypothèque, par exemple, dans le cadre d’un financement, varient du tout au tout. Et il en va de même pour bien d’autres volets tels que les modalités de paiement, le prix, l’échéancier…», expliquent les professionnels. A la limite, quand il s’agit de financements relativement simples, tels que le contrat Mourabaha, l’on finit par distinguer ce qui est permis de ce qui ne l’est pas, fait-on savoir. «Mais pour les contrats plus élaborés, notamment les financements participatifs aux entreprises, les choses sont bien moins évidentes et les interprétations à faire nécessitent un niveau de maîtrise du référentiel musulman que l’on n’a pas encore atteint de manière générale», dévoilent les spécialistes, qui dans cet ordre d’idée attendent des avis du CSO garants de la conformité des actes et opérations avec les préceptes de la Charia.
Il n’y a pas que les banquiers qui doivent s’arranger pour gérer la transition. «Lorsque cette nouvelle industrie aura commencé effectivement, les tribunaux, où les magistrats qui sont surtout habitués à se référer au DOC, pourraient eux aussi manifester des hésitations dans leur traitement des contrats de financement participatif qui relèvent d’un référentiel nouveau pour eux», anticipe un professionnel.
Plusieurs professions impliquées
Les spécialistes attendent également une conversion parmi les notaires qui sont eux aussi partie prenante du futur écosystème contractuel. En effet, les contrats de financement participatif nécessitent le caractère authentique et ils doivent être rédigés pour cela par les notaires, explicitent les spécialistes. Mais dans la pratique, ces professionnels ne rédigent que des actes qui portent sur des droits réels. Dans cette logique, pour les financements conventionnels, ils n’acceptent de rédiger que l’acte d’affectation hypothécaire, basé effectivement sur un droit réel. La raison en est qu’ils sont garants sous leur responsabilité personnelle des termes des contrats qu’ils rédigent, et cette limitation réduit les risques pour eux. La question est donc de savoir si les notaires adopteront cette même position en matière de finance participative, même si l’acte Mourabaha, à titre d’exemple, est un contrat de vente basé sur un droit réel.
Selon les recommandations des professionnels, tout cela appelle un effort d’information qui doit être lancé dès à présent, sachant qu’il faudra initier bien d’autres parties prenantes à cette industrie dont par exemple la conservation foncière, l’administration fiscale… Cela dans le but de constituer dès que possible un solide écosystème contractuel pour la bonne gestion des contrats de financement participatif.