Affaires
Faut-il revoir la méthode de calcul du déficit budgétaire ?
La Cour des comptes estime que le déficit budgétaire ne tient pas compte des dettes de l’Etat vis-à-vis des entreprises. Le Budget aujourd’hui obéit globalement à un système de comptabilité de caisse. A partir de janvier 2018, il passera à la comptabilité d’engagements, mais cela résoudra-t-il le problème ?

Le président de la Cour des comptes, Driss Jettou, a soulevé récemment, devant les parlementaires, un sujet fort intéressant relatif à la gestion des finances publiques, ou plus exactement des finances de l’Etat. Pour lui et l’institution qu’il dirige, la méthodologie adoptée pour le calcul du déficit budgétaire «ne prend pas en considération certaines données», comme les dettes dues aux entreprises au titre des crédits de TVA ou encore des transactions commerciales non réglées par l’Etat. Ce qui, implicitement, signifierait que les niveaux de déficit budgétaire officiellement déclarés seraient quelque peu minorés. Il en conclut que pour se conformer au principe de sincérité du Budget de l’Etat, expressément recommandé dans la loi organique relative à la Loi de finances (la LOLF), cette méthode de calcul du déficit mérite d’être révisée.
De façon encore plus explicite, le professeur Abdelkader Berrada, spécialiste des finances publiques, dans un long article publié dans «L’année du Maghreb» (en ligne) le 19 novembre 2015 et intitulé «Les finances publiques du Maroc : un bilan du gouvernement Benkirane à mi-parcours (2012-2014)», considère que les chiffres du déficit budgétaire déclarés «non seulement dépassent largement les prévisions, mais sont en outre délibérément sous-estimés, moyennant des artifices comptables à peine voilés». Ces «artifices», selon M. Berrada, ce sont les recettes de privatisation et les dons qui sont des recettes exceptionnelles et que «l’administration des finances fait passer pour des recettes courantes», les soldes des comptes spéciaux du Trésor, et, surtout, les arriérés de paiement dont le stock, à fin février 2014, représenterait quelque 4% du PIB (ou 39 milliards de DH).
Le FMI, pour sa part, dans une note parue en mai 2014, intitulée «Prévention et gestion des arriérés de dépenses publiques», a longuement traité de cette problématique, indiquant que selon une étude qu’il a menée sur 121 pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, seulement 12% fournissent des données fiables sur le stock et l’année de leurs arriérés. Dans certains pays où, grâce à l’appui du FMI, des données existent sur les arriérés de paiement, ces derniers dépassent 20% du PIB, précise encore l’institution de Bretton Woods.
Les arriérés de paiement par conséquent sont une réalité que partagent beaucoup de pays, y compris ceux appartenant à l’Union européenne.
Les créances approuvées et arrêtées apparaissent dans le besoin de financement
Mais la question qui se pose ici, une fois admis que le phénomène est plus général qu’on ne le dit et qu’il faut bien sûr le circonscrire autant que faire se peut (ce qui est un autre histoire), est de savoir comment traiter ces arriérés sur le plan budgétaire. Plus clairement, est-ce qu’il faut en tenir compte dans le calcul du déficit ? La Cour des comptes, on vient de le voir, y est favorable, elle recommande donc la révision de la méthode de calcul du déficit budgétaire. D’une certaine manière, c’est aussi ce que stipule la LOLF dans son article 31, alinéa 2, sauf que cette disposition n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2018, c’est-à-dire à l’occasion de la mise en place du nouveau plan comptable de l’Etat. A partir de cette date en effet, on passera de l’approche comptable qui tient compte, pour les dépenses, des montants émis, et pour les recettes, des créances recouvrées, à une approche basée sur les droits constatés (ou dus). Pour simplifier, le système de comptabilité de caisse pratiqué aujourd’hui, sauf pour certaines dépenses, comme les charges de compensation, sera remplacé par un système de comptabilité d’engagement (ou d’exercice). Est-ce que cela fera automatiquement disparaître tous les arriérés ? Pas si vite. Même dans le système de comptabilité basé sur les droits constatés, les dépenses (et les recettes aussi) ne sont comptabilisées que si elles sont certaines dans leur principe et fixées dans leur montant. Cela veut dire qu’il y a des contrôles, des vérifications que le fisc doit nécessairement effectuer avant de reconnaître une créance. On peut d’ailleurs observer que lorsqu’une dette est approuvée et arrêtée, elle apparaît très clairement dans le Budget, mais elle est logée non pas dans le solde (parce que nous ne sommes pas en système des droits constatés) mais dans la ligne “besoin de financement”. Exemple: à fin mai 2017, le déficit budgétaire s’élevait à 7,5 milliards de DH, mais compte tenu des arriérés en instance de paiement de 7,5 autres milliards de DH, le besoin de financement montait à 15 milliards de DH.
Tout cela ressemble, c’est vrai, à une querelle de sémantique : entre un déficit et un besoin de financement, quelle différence dans le fond ? En fait, ce n’est pas pareil car un besoin de financement est engendré par une dette constatée mais non payée, alors que le déficit résulte de dépenses complètement réglées.
Au-delà du système de comptabilité choisi, il est clair que les retards de paiement, qu’ils soient le fait de l’administration à l’égard des entreprises ou des entreprises entre elles, posent d’énormes difficultés pour tout le monde. Cependant, cette problématique ne devrait pas être isolée du manque à gagner fiscal pour le Trésor, en raison soit de l’évasion fiscale qui n’est un secret pour personne, soit des difficultés à recouvrer certaines créances. Comme quoi, le sujet est éminemment important et le fait que la Cour des comptes le mette sur la table, à sa façon, est déjà une avancée.
