Affaires
Faut-il augmenter les impôts ?
L’endettement public est passé de 57% à 60.9% du PIB en un an et le déficit devrait dépasser les 5% cette année. Les dépenses fiscales, à plus de 32 milliards de DH, représentent près de 4% du PIB prévu pour 2011.

Avec la crise des dettes souveraines, qui fait désormais planer la menace de l’implosion de la Zone euro, la soutenabilité des finances publiques est devenue la préoccupation majeure des gouvernements, et les débats qu’elles suscitent font florès. Le niveau d’endettement public dans un grand nombre de pays parmi les plus importants de l’Union européenne (UE) dépasse largement la limite de 60% du PIB fixée par le traité de Maastricht. Qu’en est-il du Maroc ? Soulignons d’emblée, pour lever toute équivoque, que le Royaume n’est pas dans la même situation économique et financière que l’Europe ; il affiche des fondamentaux qui sont globalement considérés comme bons. La dernière note du Fonds monétaire international (FMI), au titre de l’article IV, le confirme.
Néanmoins, sur le sujet précis des finances publiques, un retournement de tendance est en train de s’amorcer. La même note du FMI qui a loué les réformes entreprises au Maroc parle d’un déficit budgétaire pour cet exercice 2011 de 5,7% du PIB, alors que le gouvernement table sur 4,5%. En 2010, le déficit, rappelons-le, était de 4,6% du PIB, et de 2,2% en 2009. Cela a eu comme conséquence de relever le niveau d’endettement du Trésor qui est passé de 47% du PIB à 50,3%, et celui de l’endettement public (Trésor et établissements publics) de 57% à 60,9%, soit près de 4 points en un an ! Or 2012 ne sera vraisemblablement pas meilleure. Les faibles perspectives de croissance eu Europe, notre principal marché à l’exportation, et les tensions géopolitiques qui pèsent sur le marché du pétrole devraient à la fois limiter la croissance du PIB et peser sur le coût de la compensation. Le tout sans compter la hausse des salaires dans la fonction publique prévue par l’accord social d’avril dernier. Certes, l’Etat s’est engagé de réduire de 10% ses dépenses de fonctionnement et déjà celles programmées ne seront probablement pas effectuées intégralement. Certes, encore, le gouvernement prévoit un fonds de solidarité pour contrebalancer l’engagement social, mais cela suffira-t-il ? A fin septembre dernier, lesdites dépenses de fonctionnement avaient, au contraire, augmenté de 8% et ledit Fonds de solidarité ne devrait pas rapporter plus de 2 milliards de DH, à comparer aux 46 milliards de déficit prévus cette année déjà.
Dans ces conditions, et à l’instar de plusieurs pays, le Maroc ne devrait-il pas procéder à l’augmentation de quelques impôts et surtout la réduction de sa dépense fiscale qui consiste en des réductions et des exonérations sur les principaux impôts que sont la TVA, l’IS, l’IR, mais également les droits d’enregistrement et de timbre et les droits de douane ? En 2011, cette dépense fiscale devrait s’élever à 32,07 milliards de DH.
TVA : 2.2 milliards de DH à récupérer sans toucher aux produits de base
A l’évidence, toutes ces dépenses fiscales ne peuvent pas, du moins pour encore un temps, être réduites, encore moins supprimées, certaines étant d’ordre social ou directement liées à un objectif économique. Mais n’y en a-t-il pas qui pourraient faire l’objet de modification ? Si l’on prend l’exemple de la TVA, qui accapare à elle seule 41,3% des dépenses fiscales, soit 13,24 milliards de DH, il y aurait sûrement des réaménagements à opérer.
Ainsi en est-il de l’exonération de la TVA sur le lait. Le lait est-il un produit social ? Sans doute moins que la farine, le sucre, le thé et le carburant, frappé, lui, d’une taxe intérieure de consommation élevée, ou encore l’huile qui est, elle, taxée pleinement. Pourtant, ce sont là, par exemple, 333 MDH qui échappent à l’Etat. De la même manière, la vente de viande, exonérée de TVA, induit un manque à gagner estimé à 1,25 milliard de DH. Une imposition aux taux de droit commun de 20% ? Peut-être pas, mais rien qu’en rétablissant un taux de 7% (la viande n’étant pas un produit social non plus) l’Etat gagnerait 437,5 MDH. Appliqué au poisson, le même raisonnement permettrait d’encaisser 35 MDH supplémentaires.
Autre gain potentiel, celui sur la vente de timbres fiscaux dont le coût d’exonération s’établit à 182 MDH par an, ou encore de la taxe sur les contrats d’assurance qui induit un manque à gagner de 525 MDH. A cela on pourrait ajouter les 184 MDH que l’Etat concède en exonération de TVA lors de l’acquisition de biens et de services de la part des entreprises détentrices d’un permis de recherche ou d’exploration minière ou pétrolière. Enfin, il y a lieu de signaler quelques exonérations qui font double emploi. Par exemple, celles concernant le logement social. Son acquisition est exonérée de TVA, un principe qui se comprend fort bien. Mais au vu de son prix qui reste modeste, à 250 000 DH, une exonération des 7% de TVA pour le crédit immobilier y afférent prive l’Etat de 352 MDH par an, alors que cette charge additionnelle est diluée dans la masse des acheteurs de logements sociaux et que l’Etat prévoit de développer le logement économique.
Autre exemple, enfin, de la double exonération ou réduction, le taux réduit de 7% accordé à la voiture économique -qui bénéficie d’autres avantages- à l’importation de ses composants et à son activité de montage. Une mesure qui ne se justifie plus dans un marché aujourd’hui largement ouvert et développé et qui peut se permettre d’absorber une légère hausse de prix à la sortie. Cela peut faire bénéficier l’Etat de 79 MDH de recettes. Au total, rien qu’avec ces mesures, ce sont 2,2 milliards de DH que l’on pourrait potentiellement récupérer.
IS : 2.27 milliards de DH de recettes supplémentaires sans casse pour l’économie
La deuxième dépense fiscale concerne l’impôt sur les sociétés (IS) : 7,07 milliards de DH en 2011. Là encore, il est possible de récupérer des recettes sans trop affecter l’esprit de l’exonération ou de la réduction qui va surtout aux entreprises exportatrices ou encore aux fondations d’utilité publique. Par exemple, faut-il maintenir la non-taxation des OPCVM au titre de leur activité ou de leurs prêts ? Il faut bien rappeler que cette exonération visait à développer l’épargne, les OPCVM (21 000 porteurs de parts) constituant un placement plus sécurisé. Mais, à quel prix ? En 2011, l’exonération de l’IS sur ces instruments signifie pour l’Etat un manque à gagner de 835 MDH. Le retour à l’imposition tuerait-il leur activité ? Il est permis d’en douter.
Dans le même ordre d’idées, la législation actuelle fixe à 20% le taux d’IS pour les entreprises installées dans la province de Tanger. Ce taux qui était, rappelons-le, de 8,75% auparavant, visait à la fin des années 90 à permettre à la région de sortir du système du commerce informel (contrebande) et devenir un véritable pôle économique. L’objectif est aujourd’hui atteint. Pourquoi ne pas rétablir le taux normal dès maintenant au lieu d’attendre 2016, date fixée pour la fin de cet avantage ? Ce sont 404 MDH qui seraient gagnés en passant d’emblée au taux de droit commun pour une région devenue «normale», sachant que les zones franches, elles, continuent de bénéficier d’avantages. Par ailleurs, il y a lieu de poser la question de l’agriculture. 240 MDH de dépense fiscale au titre de l’IS, sachant que la TVA sur les produits agricoles est à 0%. Or une entreprise assujettie à l’IS est déjà une exploitation structurée, une société faisant des bénéfices qui doivent être imposés. Enfin, il est tout aussi logique de poser la question du secteur financier (établissements de crédit et d’assurance) qui était assujetti à un IS de 39,6%, ramené à 37%. En ces temps de resserrement budgétaire, et au vu des «confortables» marges dégagées par cette activité, il serait peut être temps de retourner à l’ancien taux. Gain estimé par La Vie éco : 800 MDH. Au total, en matière d’IS, c’est 2,27 milliards de DH potentiellement récupérables, sans trop de casse pour la dynamique économique.
IR : 530 MDH de recettes potentielles en sauvegardant les revenus de la classe moyenne et basse
En matière d’IR, la suppression des avantages est plus sensible étant donné que l’on touche aux revenus des personnes. Mais certaines mesures méritent toutefois examen. C’est l’exemple de l’exonération de la plus-value sur les contrats d’épargne (assurance-vie et capitalisation) dont la durée dépasse 8 ans. Destinée à encourager l’épargne longue cette mesure se justifie-t-elle ? Combien de particuliers immobilisent leur argent pendant plus de 8 ans, dans le seul objectif de ne pas être taxés ? Cela vaut-il une dépense fiscale de 506 MDH ? Sans doute, l’Etat pourrait couper la poire en deux en imposant à un barème réduit ce qui permettrait de garder l’attractivité du produit tout en encaissant 250 MDH. Enfin, et toujours concernant l’IR, si la baisse du taux maximum et le réaménagement des tranches intermédiaires, opérés depuis 2007, ont servi à insuffler du pouvoir d’achat, la tranche marginale d’imposition reste faible au regard de l’évolution des revenus. Ainsi, à partir de 180 000 DH bruts annuels de revenu (soit 15 000 DH par mois), le taux d’imposition est de 38%. De fait, il conviendrait peut être d’appliquer ledit taux à la tranche fermée comprise entre 180 000 et 300 000 DH (25 000 par mois) et d’appliquer un taux de 42% pour la portion de revenu au delà. De la sorte on répond bien au principe de la solidarité que l’on prône en ces temps-ci. Gain sur l’opération ? Sachant que l’IR va rapporter à l’Etat 27 milliards de DH cette année, en prenant une hausse de 1% seulement ce sont 270 MDH qui peuvent être récupérés. Pour l’IR, en somme, tabler sur quelque 800 MDH de recettes supplémentaires ne paraît pas être excessif.
Droits d’enregistrement et vignette auto : 1.55 milliard de DH
Les droits d’enregistrement et de timbre, qui se situent en troisième position des dépenses fiscales avec un montant évalué à 5,5 milliards de DH (17,2% du total), sont une piste à exploiter pour un meilleur rendement fiscal. Un exemple parlant : aussi bien les entreprises que les particuliers paient un taux réduit de 3% (au lieu de 6%) pour les opérations d’acquisition de locaux à usage professionnel ou d’habitation ou sur des terrains réservés aux opérations de lotissement ou de construction. Si la réduction se comprend concernant les particuliers, elle ne se justifie pas dans le cas des entreprises qui, elles, ont une activité lucrative, même si le législateur a voulu ainsi parer à la spéculation (3% additionnels en cas de revente sans avoir construit par exemple). En supposant que la moitié des 2,7 milliards de DH bénéficie aux entreprises (moins d’opérations mais des montants plus élevés), c’est 1,36 milliard de DH qui peuvent rentrer dans les caisses de l’Etat, en appliquant le taux plein pour ces dernières et en mettant en place un taux dissuasif (10% par exemple) pour les opérations de spéculation. L’autre mesure inefficace sur le plan économique est la non-taxation pour les véhicules automobile (vignette) des voitures de plus de 25 ans d’âge, au motif qu’elles deviennent des objets de collection. Dépense fiscale liée : 183 MDH.
Au total, l’Etat peut récupérer entre droits d’enregistrement et vignette auto 1,54 milliard de DH.
Au final, il est possible de récupérer près de 6,5 milliards de DH, en supprimant un nombre limité d’exonérations et en relevant certains taux sans trop handicaper l’économie ou le consommateur. Bien entendu, cela reste une appréciation subjective et il y a sans doute dans les 399 mesures d’exonération ou de réduction fiscales évaluées par les impôts matière à trouver des ressources. Le tout est question d’arbitrage politique et économique. Le débat est ouvert.
