Affaires
Face à l’atonie de l’activité, que peut la politique monétaire ?
La BCE maintient son taux directeur à 0% depuis trois ans et demi et abaisse son taux sur les dépôts à -0,50%. La FED a récemment réduit, pour la deuxième fois en deux mois, ses taux directeurs. Pour BAM, les difficultés de l’économie se situent ailleurs que dans le niveau des taux d’intérêt.
Cela fait trois ans et demi que son principal taux directeur, c’est-à-dire le taux de refinancement des banques, est à 0%. Lors de sa dernière réunion le 12 septembre 2019, elle a certes maintenu ce taux au même niveau, mais elle a abaissé son taux sur les dépôts en le portant à -0,50% au lieu de -0,40%. Cette dernière décision, elle l’explique par sa volonté d’inciter les banques à prêter aux ménages et aux entreprises leurs excès de trésorerie plutôt que de les laisser dans les coffres de la banque centrale.
Vous l’aurez sans doute deviné, “elle” ce n’est pas la banque centrale du Maroc mais celle de l’Europe. Et la BCE ne fixe aucun horizon pour relever les taux tant que «les perspectives d’inflation n’auront pas convergé» vers l’objectif de 2% ; elle a même prévenu qu’elle pourrait les réduire de nouveau.
Aux Etats-Unis, malgré une croissance plutôt robuste et un niveau de chômage à son plus bas depuis un demi-siècle (3,7% à fin août de cette année, ce qui correspond au plein emploi), la Réserve fédérale (FED), réunie les 17 et 18 septembre, a réduit, pour la deuxième fois en deux mois, son taux directeur : celui-ci se situe désormais dans une fourchette comprise entre 1,75% et 2%.
Bank Al-Maghrib (BAM), elle, a choisi de maintenir inchangé son taux directeur à 2,25% lors de sa réunion trimestrielle du mardi 24 septembre. Pour mémoire, la dernière baisse du taux de refinancement remonte à mars 2016. Depuis, ni la croissance ni l’inflation ne sont reparties à la hausse. En moyenne, le PIB a augmenté de 2,8% par an sur la période 2016-2018 et l’inflation de 1,4%. Pour 2019, l’année devrait s’achever sur une croissance estimée à 2,7% et l’inflation à 0,4% ! Et pour 2020, les prévisions ne sont pas aussi favorables que certains pourraient être tentés de le croire. BAM prévoit une hausse du PIB de 3,8%, sous l’hypothèse d’une production céréalière de 80 millions de quintaux. La récolte des céréales pourrait probablement dépasser cette prévision, mais ça ne changerait pas fondamentalement les choses, car c’est surtout l’effet de base qui ferait grimper substantiellement la valeur ajoutée agricole ; en 2019, celle-ci serait en baisse de 4,7% consécutivement à la révision à la baisse de la production céréalière à 52 millions de quintaux. Quant à l’inflation, appréhendée par l’indice des prix à la consommation (IPC), BAM prévoit qu’elle se situerait à 1,2% en 2020.
L’inflation en dessous de 2% depuis 2008
Pour le HCP, par contre, la croissance en 2020 devrait se limiter à 3,4% et l’inflation globale (soit le prix implicite du PIB) à 1%, après 0,8% en 2019. C’est franchement faible comme niveau de hausse de l’activité, et c’est presque une lapalissade que de dire cela. Dans ces conditions, la question que l’on peut – peut-être naïvement– se poser, est la suivante : Pourquoi BAM n’a-t-elle pas réduit encore un peu plus (à 2% par exemple) son taux directeur ? Pourtant, depuis 2008, année où elle s’établissait à 3,7%, un niveau jamais atteint depuis 1996, l’inflation a été maintenue jusqu’à ce jour en dessous de 2%. Comme le rappelle la banque centrale elle-même, le niveau de variation des prix à la consommation, sur les huit premiers mois de 2019, est quasi insignifiant: 0,2% ! Quelle serait, en dehors de l’inflation, la variable dont la dégradation amènerait éventuellement la banque centrale à baisser davantage son taux directeur? Le taux de chômage, par exemple ? Certes, ce taux a reculé de 0,6 point à 8,5% au deuxième trimestre de cette année, mais cette baisse mérite d’être relativisée. Au moins. Car elle ne résulte pas d’une création significative d’emplois (seulement 7 000 postes nets ont été créés), mais d’une baisse de la population active (-0,6%). D’ailleurs, plus que le taux de chômage, les deux indicateurs les plus scrutés par les spécialistes, c’est-à-dire les taux d’activité et d’emploi, ont continué de baisser pour s’établir respectivement à 46% et 40,9%. En clair, cela signifie que largement moins de la moitié de la population en âge de travailler a un emploi ou est à la recherche d’un emploi (taux d’activité) et seulement 41% occupent effectivement un emploi (taux d’emploi). Bien évidemment, les progrès réalisés dans l’éducation expliquent en partie, et seulement en partie, la faiblesse du taux d’activité. Mais la raison principale demeure la faible participation des femmes et l’insuffisance des créations d’emplois.
Consommation et importations, un double défi
Que peut la politique monétaire en ce domaine ? En Europe et aux Etats-Unis, en tout cas, les décisions de la BCE et de la FED sont scrupuleusement suivies par les investisseurs, et les marchés en général en sont immédiatement impactés, dans un sens ou dans un autre. C’est que les taux directeurs, faut-il vraiment le rappeler, affectent le coût de l’argent emprunté par les banques et, au bout, celui de l’argent prêté aux particuliers et aux entreprises. En théorie du moins, le moteur de la consommation et de l’investissement, soit les deux principales variables de la croissance, est ainsi huilé par le crédit que les banques veulent bien consentir à une clientèle qui en ferait la demande. Au Maroc, la difficulté se nicherait à ce niveau : on répète souvent que le problème, côté entreprise, est moins dans l’accès au crédit que dans la “bancabilité” des projets candidats au financement. Dans quelle mesure cette assertion recoupe-t-elle la réalité ?
Du côté des particuliers, le problème est double : il faut tenir compte, d’une part, de la solvabilité des ménages, dans un contexte marqué par la faiblesse des revenus, et, d’autre part, de la relation entre consommation et importations, donc du taux de pénétration des importations (ou taux de dépendance) et, finalement, de l’équilibre des comptes extérieurs. Et tout semble indiquer que Bank Al-Maghrib, dans ses décisions de politique monétaire, en particulier dans la fixation du taux directeur, a aussi le souci de ne pas dégrader outre mesure la balance commerciale, une situation qui peut se traduire en effet par une dépréciation de la devise nationale. En soi, une dépréciation (à distinguer de la dévaluation) de la monnaie n’est pas toujours une mauvaise chose, c’est même quelquefois un objectif que cherchent à atteindre certains pays ou un ensemble de pays en vue de dynamiser leurs exportations. C’est le cas en particulier de l’Union européenne, mais pas seulement. Le Maroc, lui, a-t-il besoin de donner un coup de pouce à ses exportations via la dépréciation du dirham ?
L’interrogation, à vrai dire, n’est pas nouvelle, et la réponse à lui apporter varie selon que l’on est importateur ou exportateur. Les pouvoirs publics, eux, ont expliqué à maintes reprises que, en l’état actuel des structures de l’économie et du déséquilibre de la balance commerciale, les gains à espérer d’une dépréciation, donc des exportations, ne pourraient pas compenser les pertes que causerait un renchérissement des importations.
Est-ce à dire, en fin de compte, que la politique monétaire, en dehors des grands pays industrialisés, ne peut pas grand-chose lorsque l’activité est en berne ? Pour le wali de la banque centrale, Abdellatif Jouahri, le problème n’est pas dans les taux, ou pas seulement, mais ailleurs…
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[tab title= »Plutôt que le taux directeur, BAM a préféré baisser le taux de la réserve monétaire » id= » »]Au lieu de réduire le taux directeur, Bank Al-Maghrib (BAM) a préféré baisser le taux de la réserve monétaire obligatoire de 4% à 2%. Selon le wali de la banque centrale, Abdellatif Jouahri, cette décision se traduira par l’injection de 11 milliards de DH dans un système bancaire qui fait face à un creusement du déficit de liquidités. Abdellatif Jouahri, comme pour établir une relation de cause à effet, a évoqué à cet égard l’augmentation du cash, d’un côté, et la baisse (de rythme) des dépôts bancaires, de l’autre côté. De 6%, la hausse des dépôts, a-t-il précisé, est tombée à 3,5% ces deux dernières années. Question : Cette baisse des dépôts est-elle liée à la baisse des taux créditeurs, laquelle serait la conséquence du repli des taux débiteurs? M. Jouahri le suggère quand il note que lorsque la banque centrale baisse le taux directeur, les banques s’empressent de baisser les taux créditeurs servis aux épargnants, mais traînent les pieds pour faire de même pour les taux débiteurs. C’est certainement vrai, mais on ne peut pas dire que les taux débiteurs n’ont pas baissé consécutivement à la baisse du taux directeur. Cela a mis du temps, c’est tout.[/tab]
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