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Face-à -face tendu entre El Houssaine Louardi et les professionnels de la santé

L’ouverture du capital des cliniques aux non-médecins a monopolisé les discussions entre professionnels et ministre de tutelle lors du dîner-débat de La Vie éco . Les divergences de points de vue sont toujours aussi flagrantes mais le ministre laisse la porte ouverte au dialogue. L’extension de la couverture médicale est également ressortie comme une urgence pour permettre d’améliorer l’accès aux soins.

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diner debat 2014 06 06

Douloureuses, les réformes du secteur de la santé le sont, et le seront certainement aussi à l’avenir. C’est en tout cas l’un des constats majeurs qu’il faudra retenir du dîner-débat organisé par La Vie éco, et animé par le professeur Jamal Maâtouk, le 29 mai à Casablanca, sur le système de santé au Maroc, en présence du ministre de tutelle ainsi que d’un parterre de professionnels du secteur. Douloureuses, les réformes le sont en effet parce qu’elles nécessitent parfois des décisions qui ne font pas forcément l’unanimité auprès de la multitude d’acteurs qui y prennent part. Douloureuses aussi parce que, dès le départ, elles ont été entamées dans un climat de tensions entre certains professionnels et les pouvoirs publics qu’il est aujourd’hui difficile de dépasser. Douloureuses parce qu’on aura beau s’en cacher et faire valoir l’intérêt social de ces réformes, il y a aussi des intérêts purement économiques que chacun tente de préserver de son côté. Enfin, elles sont douloureuses vu le poids des insuffisances et des dysfonctionnements auxquels le secteur de la santé doit encore remédier.

Dans ce dernier registre, il serait sans doute injuste de dire que rien n’a été fait jusque-là pour redorer le blason de ce secteur vital, et le ministre de la santé, El Houssaine Louardi, l’a bien rappelé lors de sa présentation du bilan d’étape de la stratégie du gouvernement dans ce domaine. A ce jour, le taux de réalisation des mesures programmées entre 2012 et 2016 s’établit à 40%. La généralisation du Ramed s’inscrit en tête des principaux chantiers du ministère. Selon les données présentées par M. Louardi, le niveau de couverture atteint actuellement 87% de l’objectif, avec 6,9 millions de bénéficiaires et 2,55 millions de cartes produites. Ces derniers ont bénéficié de plus de 342 000 consultations spécialisées, 309 802 interventions dont certaines concernant des greffes, 123000 hospitalisations et plus de 1,15 million d’analyses biologiques. Pour ce faire, les pouvoirs publics ont dû débourser 3,8 milliards de DH. Ces chiffres sont bien beaux, mais ils sont loin de satisfaire les professionnels de la santé, particulièrement les médecins qui réclament avec insistance l’ouverture du Ramed au privé et, surtout, la généralisation de la couverture médicale.

Le ministre est décidé de sévir contre les pratiques illégales

Ces deux dernières mesures seraient de nature à améliorer l’accès des citoyens aux services médicaux, faire mieux contribuer le privé à l’amélioration du secteur de la santé et, surtout, mettre un terme à certaines pratiques fortement décriées. «On reproche souvent aux cliniques de demander des chèques de garantie aux malades. Il faut savoir que si c’est le cas, c’est parce que l’Etat ne garantit pas ces malades et ne leur ouvre pas l’accès aux soins dans les cliniques», s’indigne un médecin privé. En d’autres termes, avec une meilleure couverture médicale, les cliniques privées qui ont recours à ce genre de pratique n’auront plus à le faire vu qu’elles seront assurées de percevoir les frais des services de soins accordés aux malades. Cette thèse, faut-il le reconnaître, est bien logique, mais demande tout de même des délais parfois très longs avant de se concrétiser. Pendant ce temps-là, les malades auront bien besoin de soins et le recours par certaines cliniques à des pratiques malsaines sera toujours d’actualité (le chèque de garantie n’étant là qu’un exemple !), chose à laquelle M. Louardi répond fermement. «Les choses ont changé et l’illégalité n’est plus tolérée. Nous sommes décidés à dénoncer et sévir là où il faut et quand il faut», insiste-t-il en faisant référence aux irrégularités qui peuvent être constatées dans toutes les branches du secteur de la santé.
Mais quand les médecins insistent sur la généralisation de la couverture médicale, c’est aussi parce que eux-mêmes en sont exclus. A ce sujet, une certaine satisfaction est exprimée du fait que les discussions avec les autorités de tutelle ces dernières années devraient finalement aboutir d’ici la fin de l’année à la mise en place d’une assurance maladie dédiée aux professionnels de la santé. Ils seront là les premiers travailleurs indépendants à en disposer, en attendant son extension aux autres branches d’activités (www.lavieeco.com). Pour Abdelaziz Adnane, D.G. de la CNOPS, «le Maroc dispose même de l’expertise nécessaire pour cette extension». Il faut dire qu’avec l’extension de la couverture, tout le monde y trouve son compte, même les pharmaciens.
Se félicitant que seulement 1 500 médicaments sur plus de 6 500 ont connu une baisse de leurs prix, ce qui démontre que généralement les prix appliqués sont dans la moyenne des standards internationaux, Ali Sedrati, président de l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique, insiste tout de même sur la nécessité d’accompagner la décision de la baisse des prix par des mesures d’amélioration de l’accès aux médicaments, notamment à travers l’assurance maladie. Et pour cause, cette baisse pourrait représenter un risque pour certaines branches de l’industrie qui se retrouveraient ainsi dans l’incapacité de remplir leur rôle socio-économique en poursuivant leurs investissements.

La carte sanitaire finalisée avant la fin de l’année

Au-delà de ces aspects, le ministre de tutelle répond aussi aux critiques en ouvrant la porte au dialogue. Annoncé pour la première fois lors du dîner-débat de La Vie éco, El Houssaine Louardi se dit prêt à reprendre le débat sur le projet de loi ouvrant l’investissement dans les cliniques privées aux non-médecins, lorsque le nouveau conseil de l’ordre des médecins sera enfin constitué.
Pour comprendre l’enjeu de cet engagement, il faut d’abord souligner que cette loi a cristallisé une grande partie des débats. Elle fut aussi, avec la baisse des prix des médicaments, l’un des sujets à grande polémique ces derniers mois. Les professionnels ne manquent pas de rappeler à cet effet, parfois avec virulence, leurs craintes quant à l’autorisation d’investisseurs non-médecins à ouvrir des cliniques. «Qui nous garantit que ces investisseurs ne vont pas s’implanter dans les grandes villes comme Casablanca et Rabat, où la rentabilité leur est assurée, au lieu de s’implanter dans les régions sous-développées où le manque est plus important?», s’indignent des médecins du secteur privé. L’un des principaux arguments avancés pour justifier ce projet est qu’il permettra d’étendre la présence des cliniques privées aux régions les plus reculées. Or, ces régions ne sont pas forcément attractives pour les investisseurs, chose qui pourrait finalement induire une forte densité des cliniques dans les grandes villes.
Pour l’heure, la carte sanitaire du Royaume permettant de dresser une cartographie de l’offre de soins, ainsi que des besoins selon les régions n’est pas encore disponible. Le travail est néanmoins en cours à ce niveau en vue de sa finalisation avant la fin de l’année en cours. «Sans une carte sanitaire on ne pourra s’assurer de la présence des offres de soins dans les régions à fort besoin», soutient Said Agoumi, président du Collège syndical national des médecins spécialisés privés. Pour ce dernier, le projet tel que prévu risque non seulement un échec, mais pourrait même conduire à une «marchandisation de la santé des citoyens». Cette dernière thèse est soutenue par Mohamed Bennani Naciri, président du Syndicat national des médecins privés, pour qui le faible taux d’accès aux soins aux Etats-Unis est une conséquence de la mise du secteur de la santé entre les mains des investisseurs, ce qui instaure une logique purement commerciale dans le domaine.

Le nouvel ordre des médecins attendu de pied ferme

Les élections du nouvel ordre des médecins prévues le 22 juin courant devraient donc donner naissance à un organisme représentatif apte à proposer des modifications de la loi de manière à prendre en compte les intérêts des médecins, mais également des citoyens. A ce sujet, la tutelle se dit prête à dialoguer tout en justifiant l’accélération du processus d’élaboration de la nouvelle réglementation.

«La constitution du nouvel ordre des médecins a tardé vu qu’elle est attendue depuis 2006. Nous ne pouvions attendre sa constitution pour élaborer la loi. Maintenant, bien que nous ayons déjà ouvert les concertations au précédent bureau, nous sommes prêts à le refaire après le 22 juin», annonce le ministre. Selon lui, le texte a certes été adopté en conseil du gouvernement, mais il ne fait qu’entamer le véritable processus des discussions, notamment avec sa présentation devant les parlementaires. Ces derniers, étant naturellement les représentants des citoyens, pourront être accompagnés du nouvel ordre des médecins pour finaliser le projet de loi dans une mouture qui satisfait toutes les parties et qui, surtout, assure l’atteinte des objectifs que se fixe ce projet.

Cela suffira-t-il à calmer les critiques des uns et des autres? Pas sûr. Car les craintes et les reproches formulés au ministre vont bien au-delà. Ainsi, certains médecins déplorent aujourd’hui que M. Louardi qui, faut-il le rappeler, est lui-même professeur en médecine, n’ait pas pris en compte les problématiques qui découlent de ce projet, ainsi que du projet de partenariat public/privé (PPP), et se soit contenté de poursuivre le travail entamé par son prédécesseur, Yasmina Badou. A ces critiques, la réponse du ministre est on ne peut plus claire.

«Ceci est d’abord un projet gouvernemental et non pas seulement un projet ministériel. Ensuite, en tant que professionnel, je reste convaincu que le partenariat public/privé, et notamment l’ouverture du secteur de la santé aux investisseurs privés non médecins, est le meilleur moyen de résoudre les problèmes de gouvernance dans ce domaine», précise-t-il.