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Exclusif : le plan de la santé pour booster le générique
Le plan d’action pour la promotion des médicaments génériques est en marche. Objectif : atteindre un taux de pénétration de 50% contre 29% aujourd’hui.

Le plan d’action pour la promotion des médicaments génériques est en marche. Objectif : atteindre un taux de pénétration de 50% contre 29% aujourd’hui. Les révisions des prix de certains médicaments opérées ces derniers mois étaient une entrée en la matière. Mais le plus gros reste à venir. Le ministère de la santé qui y travaille depuis quelques mois, avec l’accompagnement du cabinet Boston Consulting Group (BCG), s’apprête en effet à prendre à l’issue de ce trimestre 2011 une série de mesures importantes visant à promouvoir les ventes de médicaments génériques.
La première concerne ce qu’on appelle le droit de substitution. Il s’agit du droit accordé aux pharmaciens d’officine pour remplacer un médicament prescrit sur une ordonnance du médecin par un autre. Ce droit, tel que le conçoit le ministère de la santé dans son projet de réforme, permettra aux pharmaciens de proposer à leurs clients des médicaments génériques, quand ils existent, en remplacement des princeps généralement plus chers de 20 à 40% selon les produits. Selon des sources au ministère, le calendrier prévu en ce sens prévoit qu’un texte, le droit de substitution, soit présenté en avril prochain suivi, très rapidement, par un décret d’application. A ce niveau un obstacle doit être levé. Pour vendre plus de génériques, les pharmaciens doivent y trouver un intérêt commercial. Or, en l’état actuel du dispositif des marges des officines, c’est tout le contraire. Les marges étant calculées de la même manière -un pourcentage de 30% pour tous les produits- en prescrivant des génériques, les pharmaciens baisseront inéluctablement leurs gains. C’est sur quoi porte la deuxième mesure importante, le droit de substitution ne peut faire d’effets que s’il est accompagné d’une refonte complète du système des marges des pharmaciens. Le principe de base d’une telle refonte reposerait sur l’application de marges progressives et d’un barème plus intéressant pour les génériques. Les détails restent à peaufiner mais il semble que l’on se dirige, pour les médicaments génériques, vers des marges de 30%, 45% et 50% respectivement pour les produits de moins de 70 DH, entre 70 et 150 DH et ceux de plus de 150 DH. A l’inverse, pour les princeps, plus chers, la grille des marges sera en fait inversée. Plus le prix sera élevé, moins la marge sera importante. Ces marges seront, par exemple, de 75% pour les médicaments coûtant moins de 15 DH et de 5% seulement pour ceux vendus à 500 DH et plus. On pourrait s’interroger sur l’intérêt d’avoir une marge aussi élevée au fur et à mesure que le prix du générique est grand, mais l’idée est justement d’opérer un décrochage avec les princeps à prix élevés dont les marges seront dans la fourchette du bas, ce qui poussera à la substitution.
Bien entendu, l’une comme l’autre, ces deux mesures suscitent quelques résistances chez les professionnels, plus particulièrement les laboratoires qui fabriquent le princeps et les médecins. Pour les premiers, la raison du refus est claire : la montée des génériques leur ferait perdre naturellement du chiffre d’affaires et des parts de marché. Quant aux médecins, et tel que cela ressort du rapport de BCG remis en novembre dernier au ministère de la santé, leur réticence par rapport au droit de substitution s’explique par le fait qu’ils estiment être les seuls habilités à décider ce qui est bon pour leurs patients et que les pharmaciens n’ont pas tous les compétences pour assumer pleinement le droit de substitution ou qu’ils ne sont pas toujours présents dans leurs officines.
Des sanctions lourdes pour les pharmaciens
A cela s’ajoute une certaine méfiance quant à la qualité de certains génériques, les médecins ne voulant pas assumer la responsabilité en cas de problème. Pour ces deux derniers points, évidemment, les médecins et les industriels spécialisés dans les princeps partagent le même avis.
Et c’est justement pour pallier ces insuffisances que le ministère de la santé prépare une autre mesure. Elle consiste en un contrôle plus rigoureux des pharmacies. Ainsi, un décret est en cours d’élaboration sur le contrôle de présence du pharmacien et les premières vagues d’inspections devraient démarrer au deuxième trimestre, à en croire le planning arrêté par le ministère et le cabinet BCG. Pour mettre en place ce dispositif de contrôle, le ministère de la santé vient de renforcer, d’ailleurs, la direction du médicament et de la pharmacie en recrutant 60 pharmaciens assermentés qui assureront les missions d’inspection.
Pour l’heure, rien ne filtre sur les sanctions prévues mais une première ébauche du texte évoque des sanctions graduelles : pour une première infraction, absence lors d’une inspection, le pharmacien écope d’un avertissement. En cas de récidive, le pharmacien est passible de pénalités financières décidées par le comité régional de l’ordre. Pour une troisième absence constatée, le Conseil national, cette fois-ci, peut prononcer une mise à pied temporaire et, enfin, en cas de quatrième absence, de retirer définitivement la licence. Il est important de signaler qu’il ne s’agit là encore que d’une proposition.
En tout état de cause, le ministère de la santé ne s’attend pas à une partie de plaisir pour faire passer sa réforme sur le générique. Et pour préparer sa défense, le département prépare activement un modèle bien argumenté et détaillé. Pour ce qui est de l’efficacité des génériques, d’abord, le ministère explique que les génériques sont adoptés dans les pays les plus développés et ont exactement les mêmes effets. Le taux de pénétration des génériques est de plus de 70% en France, 65% au Canada et au Royaume-Uni, de 51% en Turquie. En plus, assure-t-on au ministère, le droit de substitution sera accordé aux pharmaciens mais sous certaines conditions. La molécule, le dosage et la durée de traitement doivent être identiques. C’est ce que les professionnels appellent un équivalent parfait. Les pharmaciens disposeront, en plus, d’outils d’aide à la substitution notamment des tables de correspondance des médicaments permettant d’identifier les produits identiques à ceux prescrits par les médecins.
Les gestionnaires de l’Amo soulagés
Mais, incontestablement, la carte majeure que compte jouer le ministère de Yasmina Baddou, c’est le volet économique de la question. Ainsi, selon les simulations préparées par le cabinet BCG, les mesures concernant les prix et les marges conjuguées devraient engendrer dans l’immédiat de premiers effets positifs : une baisse des prix moyenne de 7%, une gain de marge de 11% pour les pharmaciens et, surtout, une économie de 14% sur les charges supportées par les gestionnaires de l’assurance maladie au titre des remboursements des médicaments. L’Anam pourra, pour sa part, réduire son budget médicament de 19%. Mais à plus long terme, en 2015 exactement, quand le générique aura atteint un taux de pénétration de 50% comme souhaité par le ministère, les gains sont encore plus importants. Ainsi, pour le patient, la dépense moyenne par tête d’habitant devrait avoisiner les 470 DH par an au moment où, sans la réforme, elle serait d’environ 540 DH. Pour les laboratoires fabriquant du générique, la réforme engendrera une hausse conséquente du chiffre d’affaires estimé à 3,9 milliard de DH en 2015, soit un gain de +26% par rapport à une évolution normale sans réforme. Mais, évidemment, ce sont les organismes gestionnaires de l’Amo qui seront les plus soulagés. La cause : la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) prévoit, pour 2015, un déficit de 392 millions DH mais qui, si réforme il y a, pourrait être ramené à 91 MDH seulement. Le gain est encore plus important pour la CNSS et autres régimes spéciaux, dont le déficit devrait, grâce à la réforme, passer de 1 milliard à 266 MDH seulement.
Evidemment, avec la stratégie «Générique 2015», les laboratoires filiales de multinationales seront les grands perdants. La réforme représente pour eux une perte de chiffre d’affaires estimé à près de 3,2 milliards DH, soit 43% de moins que ce qu’ils réaliseraient si la situation actuelle se maintenait. Entre le souci social de généraliser l’accès à des médicaments moins chers et la nécessité d’attirer et, surtout, de garder des investissements étrangers dans le secteur pharmaceutique, créateurs de milliers d’emplois, l’équation à laquelle est confronté le ministère de la santé ne sera certainement pas facile à résoudre.
