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Elaïd Mahsoussi : «Accord d’Agadir : il reste encore beaucoup à  faire»

Le Liban et la Palestine ont officiellement exprimé leur souhait de rejoindre le groupe des quatre, à  savoir le Maroc, la Tunisie, la Jordanie et l’Egypte. Absence de liaisons entre les pays, méconnaissance des dispositions de l’accord par le secteur privé,… Les facteurs qui entravent encore la bonne application de l’Accord d’Agadir.

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Le Marocain Elaïd Mahsoussi dirige, depuis près de neuf mois, l’unité technique, basée à Amman en Jordanie, qui se charge de veiller à la bonne application de l’Accord d’Agadir. Cet ancien haut cadre de la Douane marocaine et secrétaire général du ministère du commerce extérieur nous livre ses premières appréciations du fonctionnement de l’accord sur le terrain, son premier bilan, son plan d’action, ses priorités pour les années à venir…

Vous dirigez depuis neuf mois l’unité technique de l’Accord d’Agadir basée à Amman. C’est en quelque sorte le gardien du temple, la cheville ouvrière sur le terrain. Quel bilan faites-vous déjà de l’action de cette unité ?

L’unité technique a réalisé un travail considérable depuis sa création, à commencer par le pénible travail de la première phase visant à mettre le train sur les rails puis le lancement dans une deuxième phase de grands chantiers visant le développement de la coopération économique et commerciale entre les Etats membres. L’action actuelle et future devrait partir de cette plate-forme en lui imprimant un nouvel élan pour plus d’impact et de retombées positives sur la région.
 
Quel est votre plan d’action pour l’avenir ?

 L’unité travaillera essentiellement sur l’élargissement du champ de libéralisation des échanges en lançant les négociations sur les secteurs des services, l’appui aux Etats membres dans les efforts actuels visant la révision des règles d’origine euro-méditerranéennes de manière à contribuer à la réalisation des objectifs du cumul de l’origine au niveau de la région euro-méditerranéenne, l’application effective du cadre juridique stipulant la reconnaissance mutuelle des certificats de conformité, l’harmonisation des réglementations et les procédures relatives au commerce extérieur, la mise en place d’un cadre juridique entre les Etats membres dans le domaine des mesures anti–dumping de subventions et des mesures de sauvegarde et le règlement de différends…
 
Ce sont là des chantiers à long terme. Mais quelles sont les actions prioritaires que vous comptez entamer tout de suite ?

Nous avons l’intention à court et moyen terme de mettre en place des programmes de formation spécialisées dans un certain nombre de domaines, y compris la libéralisation du commerce des services, les règles d’origine euro-méditerranéennes, les brevets, les régimes douaniers modernes… Nous comptons lancer des études couvrant des domaines prioritaires en vue de parvenir à une réelle intégration industrielle entre ces pays. Nous sommes sur le point de lancer notamment une étude sur l’agroalimentaire dans les pays membres. Nous visons également une mise en œuvre effective des recommandations de ces études et l’identification précise des responsabilités et les tâches assignées à toutes les parties supposées être impliquées dans ce processus y compris les administrations des Etats membres, le secteur privé et l’unité technique.
 

Très souvent, on entend dire dans les milieux d’affaires que l’Accord d’Agadir n’a finalement pas atteint ses objectifs. Qu’en pensez-vous ?

 Je pense qu’il est prématuré de faire une évaluation objective de la performance d’un accord relativement récent par rapport aux accords signés il y a plusieurs années tant au niveau de la région qu’au niveau des autres groupements régionaux. Néanmoins, il est clair que l’accord a contribué au développement des échanges commerciaux enregistré jusqu’en 2011 entre les quatre pays.
 
Mais dans les faits, vous convenez que le volume des échanges n’a pas évolué de manière spectaculaire…

Les échanges n’ont pas suivi la même tendance pour plusieurs raisons, d’abord internes, étroitement liées au climat défavorable généré par ce qu’on appelle le printemps arabe, et externes, relatives à la crise financière économique qui a frappé l’UE ces dernières années. Toutefois, je suis très optimiste quant à l’avenir de la coopération commerciale entre les membres une fois cette situation conjoncturelle dépassée, et ce, compte tenu des opportunités offertes par les marchés de la région et le cadre juridique potentiellement porteur régissant les relations commerciales entre ces pays. Mais on devrait travailler sur l’implication du secteur privé des quatre pays pour dynamiser les échanges commerciaux et le partenariat économique de manière générale.
L’engagement politique et l’implication accrue des organes de suivi au niveau national sont également des facteurs déterminants pour réaliser les avancées nécessaires dans ce processus.
Néanmoins, les résultats demeurent globalement positifs et cela est reflété par les chiffres dont nous disposons. En effet, l’accord a contribué à une évolution remarquable du commerce au cours des cinq années qui ont suivi sa mise en œuvre, avec un taux de croissance dépassant les 80%. Cette situation a été bénéfique à tous les Etats membres, évidemment à des proportions inégales, ce qui est normalement associé aux  structures économiques et aux capacités de production et d’exportation propres à chacun de ces pays.
 
Quelles sont les principales difficultés qui entravent la bonne application de l’Accord d’Agadir et quel est le rôle que joue l’unité technique pour les surmonter ?

Il y a certainement des axes sur lesquels il faudra travailler davantage en vue d’optimiser l’exploitation des possibilités offertes par l’accord. Je cite, à titre d’exemple, l’absence d’une ligne maritime directe liant les Etats membres, ce qui alourdit la facture du transport des marchandises et allonge la durée nécessaire pour atteindre leur destination finale. L’unité technique de l’Accord d’Agadir a réalisé une étude sur la réduction du coût du transport entre ces pays. Et elle est en train de mener un travail, en collaboration avec les Etats membres et certaines organisations internationales et le secteur privé, au sujet des moyens à mettre en œuvre en vue de réunir les conditions de concrétisation de ce projet ambitieux, afin d’encourager des investisseurs potentiels à investir sur cette ligne.
Il y a aussi le problème du transport aérien entre certains Etats membres en raison de l’absence ou de l’irrégularité de lignes directes.
Toujours en relation avec votre question sur les entraves, on peut citer l’insuffisance des ressources financières nécessaires pour la mise en œuvre de certains programmes qui requièrent des fonds exceptionnels, tels que le soutien des PME qui font usage du cumul de l’origine. Des démarches sont entreprises auprès de certaines institutions internationales et régionales pour examiner la faisabilité pratique d’un fonds de soutien à cet effet.
 
Tout cela concerne les aspects institutionnels. Mais ne pensez-vous pas que les entreprises privées de part et d’autres doivent elles aussi s’impliquer dans le procès ?

D’abord, le secteur privé est censé être le premier à bénéficier de la suppression de ces entraves. Nous comptons travailler plus sur tout ce qui pourrait stimuler la coopération entre les entreprises du secteur privé pour aboutir à un partenariat réel et pour avoir de véritables «success stories». Ceci peut être atteint notamment à travers l’activation des associations professionnelles des pays de l’Accord d’Agadir, qui ont été déjà mises en place dans un certain nombre de secteurs, ainsi que l’instauration du Conseil d’affaires d’Agadir, qui peut agir de manière horizontale sur tous les secteurs concernés par l’exportation, l’importation et l’investissement. Un sérieux travail attend l’unité technique au niveau de la sensibilisation des milieux d’affaires quant à l’importance de cet accord, et ce, via l’organisation d’ateliers, de forums, d’expositions et des campagnes d’information ainsi que la publication de supports promotionnels sur toutes les questions relatives au processus d’Agadir. L’unité technique est disposée à travailler avec le secteur privé pour permettre à la région d’atteindre les niveaux d’intégration constatés dans d’autres groupements régionaux à travers le monde.
 
Le manque de répondant du privé peut-il s’expliquer par le fait que l’Accord d’Agadir n’est pas suffisamment connu par les opérateurs?

Il est indispensable, en effet, que l’on fasse encore plus de promotion pour l’accord d’Agadir auprès des opérateurs. C’est bien pour cela que l’unité technique a mis cet aspect au centre de ses programmes. La quasi-totalité des activités dans ce domaine sont destinées au secteur privé.
 
Au moment de la signature de l’accord, on parlait de l’ouvrir à d’autres pays. Mais il semble qu’il n’a pas encore suscité d’appétit. Pourquoi ?

Tout pays arabo-méditerranéen ayant conclu un accord de libre-échange ou un accord d’association avec l’UE peut exprimer sa volonté de se joindre au noyau actuel en déposant sa demande d’adhésion à l’Accord d’Agadir auprès du Maroc, pays dépositaire de l’accord.

Dans ce contexte, l’Etat palestinien a officiellement demandé à y adhérer, et le Liban a manifesté son désir à s’y impliquer, et on s’attend très prochainement à des démarches formelles dans ce sens. Des contacts sont en cours entre l’unité technique et les autorités libanaises et plus particulièrement l’ambassade du Liban à Amman.

Com’ese

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