Affaires
Dix ans après, faut-il réformer le code du travail ?
Le patronat continue de revendiquer la réforme du code, les syndicats y voient une tentative de remettre en cause les acquis des travailleurs. Le remplacement des salariés partis à la retraite, la médecine du travail, la règle du contrat à durée indéterminée sont parmi les points que la CGEM veut faire disparaître. Le ministère de l’emploi veut d’abord effectuer une évaluation de l’application du texte.

Il a fallu près de 50 ans pour que le Code du travail voie le jour, et un peu moins de dix ans pour que beaucoup réclament son amendement ! Certains l’ont même critiqué aussitôt après son adoption et tenté, à l’aide de parlementaires, de revoir quelques-unes de ses dispositions. Le ministre de l’emploi et des affaires sociales, Abdeslam Seddiki, pour sa part, semble s’être saisi de ce dossier. Selon un responsable de ce département, l’approche du ministre consiste, avant toute réforme du texte, en une évaluation de son application, dix ans bientôt après sa promulgation. Pourquoi une évaluation ? Parce que, tout simplement, personne ne serait capable aujourd’hui de dire très exactement dans quelle proportion sont appliqués les 589 articles que contient le code du travail. Même le ministère de l’emploi, qui est le producteur de l’arsenal législatif et réglementaire régissant le monde du travail et le «contrôleur» de son application, n’a pas les moyens suffisants, en particulier un effectif conséquent d’inspecteurs du travail, qui lui auraient permis de se faire une idée plus ou moins précise sur le sujet. Mais surtout, ce qui complique un peu plus ce dossier et oblige presque la tutelle à une certaine circonspection face aux ardeurs réformatrices des uns et des autres, c’est la divergence d’avis des partenaires sociaux quant à l’intérêt qu’il y aurait à amender ou pas le code du travail.
Si les entrepreneurs, de manière générale, ceux affiliés à la CGEM de façon particulière, ont toujours demandé l’amendement de certaines dispositions du code parce que jugées préjudiciables à l’entreprise ou simplement contradictoires les unes par rapport aux autres, les syndicats, eux, considèrent cette loi comme leur trophée en quelque sorte. Il est significatif à cet égard que dès le lendemain de l’accord social du 30 avril 2003 qui avalisa le contenu du projet portant code du travail, des voix s’étaient déjà levées pour en contester la teneur. Ce qui, quelques mois après l’entrée en vigueur du texte en juin 2004, «obligea» le président de la CGEM, Hassan Chami, à saisir officiellement le Premier ministre d’alors, Driss Jettou, lui demandant de revoir certaines dispositions du texte, mal rédigées donc difficilement applicables, ou encore ajoutées à la dernière minute, donc sans l’accord de la centrale patronale. Dix ans sont passés depuis. Et à intervalles réguliers, le patronat remet l’ouvrage sur le métier comme on dit, mais toujours rien. Les syndicats, eux, ont toujours regardé les réclamations des chefs d’entreprises avec une certaine suspicion, y voyant un «prétexte» (le mot est d’un syndicaliste) pour se soustraire à leurs obligations, une tentative pour remettre en cause «les acquis» obtenus à travers ce texte.
Les dispositions qui fâchent…
De quoi se plaint-on plus exactement ? La CGEM, comme déjà indiqué, et en dépit du fait qu’elle a participé à son élaboration, a toujours considéré que ce code était mal ficelé et, de surcroît, contenait des dispositions sur lesquelles elle ne se serait pas prononcée.
Parmi les articles «mal ficelés», inadaptés à la réalité socio-économique du pays et parfois même heurtant le bon sens, citons l’article 528 du code qui impose le remplacement des salariés partis à la retraite ! En vertu de quoi l’Etat peut-il s’ingérer dans la gestion des ressources humaines d’une entreprise privée ? Sur quelle base a-t-on décidé qu’une société doive obligatoirement remplacer un salarié parti à la retraite? L’Etat lui-même n’a-t-il pas supprimé le remplacement automatique des fonctionnaires partis à la retraite, considérant qu’il doit maîtriser sa masse salariale ?
On peut aussi rappeler un autre exemple dans ce sens, et qui concerne cette fois-ci la médecine du travail: l’article 304 qui oblige toute entreprise de 50 salariés et plus à disposer d’un médecin du travail ; l’article 306 qui stipule que l’entreprise doit disposer d’un médecin durant toutes les heures du travail ; l’article 312 qui lie le médecin du travail à l’entreprise par un contrat de travail et l’article 313 qui soumet toute mesure disciplinaire envisagée par l’employeur envers le médecin du travail à l’accord préalable de l’inspecteur du travail ! Aucun de ces articles n’est susceptible pas même d’un début d’application. D’abord, parce qu’il n’y a pas suffisamment de médecins du travail par rapport aux entreprises assujetties (celles employant 50 salariés ou plus), ensuite parce que, éthiquement, un médecin doit être libre afin de pouvoir exercer son métier conformément à la déontologie de la profession et non pas en fonction des intérêts voire des humeurs d’un patron d’entreprise.
Troisième exemple de dispositions complètement décalées par rapport aux réalités économiques, l’article 16 qui stipule, indirectement certes, qu’en matière de recrutement, la règle est le contrat à durée indéterminée (CDI). C’est pourquoi il est prévu dans le dernier alinéa de cet article qu’un texte d’application, en l’occurrence un décret, sera adopté pour préciser les secteurs et les «situations exceptionnelles» dans lesquels peuvent être conclus des contrats à durée déterminée (CDD). Autrement dit, c’est à l’autorité gouvernementale (de concert avec les syndicats et le patronat, précise le texte) de choisir la forme du contrat de travail, lorsque la règle du CDI ne peut pas s’appliquer. Il est manifeste que cette disposition était vouée dès le départ à rester un vœu pieux. Le ministère de l’emploi a bien préparé un projet de décret d’application, mais ce projet risque de «jaunir» dans les tiroirs du Secrétariat général du gouvernement !
Quatrième exemple, enfin (mais on peut continuer à l’envi l’énumération des «ratés» du code du travail), la mention du salaire sur la carte professionnelle ! Ceci est bien précisé par décret (n° 2-04-422 du 29 décembre 2004 paru au Bulletin officiel n° 5280 du 6 janvier 2005) en application de l’article 23 du code du travail.
Mais tout cela ne concerne en fait que les incongruités ou les maladresses que recèle la législation du travail et qui ne prêtent pas vraiment à divergence quant à l’intérêt de les corriger. Il existe en revanche d’autres dispositions qui, cette fois, sont dénoncées par le patronat parce que jugées contraires aux intérêts de l’entreprise. Là encore, quelques exemples. Un salarié licencié abusivement bénéficie du cumul des indemnités de licenciement et des dommages et intérêts (41, 51 et 59), ce que la CGEM considère comme contraire à l’accord social du 30 avril 2003. C’est pourquoi les dirigeants de la confédération patronale de l’époque avaient demandé le rajout d’une disposition qui limiterait, dans tous les cas, à 36 mois et les indemnités de licenciements et les dommages et intérêts. Dans le code, le plafonnement à 36 mois ne concerne que les indemnités de licenciement. Autre demande de la CGEM, l’inscription de l’atteinte à la liberté de travail dans la liste des fautes graves énumérées à l’article 39, et, comme telle, sanctionnée par un licenciement. Dans le code, l’article 9 interdit l’atteinte à la liberté de travail (et à la liberté syndicale) mais ne précise pas comment cette atteinte est sanctionnée lorsqu’elle est commise. On s’en doute bien, ce point est d’une extrême sensibilité, car il pose, en creux, toute la problématique de la grève. D’autant que, à ce jour, le droit de grève n’est pas encadré, alors que, selon la CGEM, la promulgation d’une loi organique sur la grève fait partie du «package» qui avait permis la conclusion de l’accord du 30 avril 2003, sur la base duquel est né le code du travail lui-même…
