Affaires
Développement du secteur privé : les mauvaises notes du rapport de la Banque mondiale
Financement, fiscalité, accès aux terrains et électricité sont des fardeaux pour les entreprises privées marocaines.
Au Maroc, les investisseurs mettent plus de trois mois pour avoir un permis de construire.
Avec 1 400 types de biens exportés, le Royaume figure parmi les pays les plus performants de la région Mena.
Un nouveau rapport de la Banque mondiale décortique la situation du secteur privé dans les pays de la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord dont le Maroc. Intitulé «Des privilèges à la concurrence : renforcer la croissance par le développement du secteur privé dans la région du MENA», le document dresse un constat critique sur le contexte dans lequel évoluent les entreprises privées. Les pratiques arbitraires et discrétionnaires, les situations de rente, les pratiques de passe-droits et les inégalités de traitement entre investisseurs rendent le secteur privé dans cette région moins performant comparativement aux pays des autres régions du monde. L’institution mondiale se montre sceptique et tire la sonnette d’alarme contre la fragilité d’un secteur qui est pourtant appelé à relever le défi de contribuer à la création des 40 millions d’emplois nouveaux dont aura besoin la région au cours de la prochaine décennie. En dépit des réformes mises en œuvre durant les dernières années, «aucun pays de la région, à l’exception de certains pays du Golfe, n’a pour l’instant réussi à déclencher une transformation structurelle de son économie (…) et aucune économie de la région ne semble connaître le dynamisme et le type de transformation économique que des pays comme la Malaisie, la Chine, la Corée du Sud, la Pologne, la Turquie et d’autres économies émergentes ont connu», note la Banque mondiale.
La moitié des entreprises met en avant les restrictions au financement
Le Maroc n’échappe pas à la règle. A quelques nuances néanmoins. Si la faiblesse de son secteur privé est signalée au même titre que dans les autres pays de la région, les types de contraintes qui le handicapent diffèrent cependant. Le coût du financement, la fiscalité, le coût des terrains et l’électricité sont cités par les entreprises privées marocaines comme étant des difficultés majeures. Alors que dans toute la région MENA, l’incertitude macroéconomique et la fiscalité, suivies par la corruption, le coût du financement et la concurrence déloyale (ou informelle) viennent en tête des obstacles montrés du doigt par le secteur privé.
Il faut dire que la bête noire du secteur privé au Maroc est incontestablement l’accès au financement et le problème de la fiscalité. Parmi les pays de la région ayant fait l’objet de l’enquête, seules les entreprises marocaines sondées par la Banque mondiale ont cité le coût du financement comme première contrainte au développement de leurs activités. Le rapport indique que le taux d’insatisfaction élevé dans le domaine du financement au Maroc, comme en Arabie Saoudite et au Liban, est dû essentiellement à «l’intensité de la demande sur les crédits» bancaires. Les difficultés d’accès au crédit touchent plus particulièrement les petites entreprises perçues par les banques comme étant moins transparentes financièrement que les grandes entreprises.
La fiscalité et l’accès aux terrains figurent également parmi les principaux obstacles cités par le secteur privé marocain. Le rapport dénonce ainsi les pratiques de spéculation qui faussent le marché du foncier et pénalisent sérieusement l’environnement des affaires. La bureaucratie administrative est également mise à l’index. Au Maroc et en Egypte, les investisseurs mettent plus de trois mois pour avoir un permis de construire, relève le rapport. Une enquête réalisée auprès d’investisseurs ayant acquis des terrains industriels au Maroc révèle que 50% indiquent que les restrictions au financement ont été le principal obstacle rencontré durant la transaction ; 42% dénoncent le prix élevé du terrain, 38% la mauvaise qualité des routes d’accès et 31% le mauvais emplacement des parcelles acquis. Enfin, le coût de l’énergie est jugé «prohibitif» par la plupart des entreprises qui l’ont cité comme contrainte.
Manque d’application des lois…
Paradoxalement, la corruption ne figure pas parmi les principales contraintes affectant le secteur privé. Le Maroc paraît mieux placé sur ce registre puisque 27% des entreprises ont mentionné cet obstacle, contre 66,6 % au Liban, 66,5% à Gaza, 62,3% en Egypte et 34,3% en Algérie. Il n’y a qu’Oman et l’Arabie Saoudite qui ont fait mieux que le Maroc avec un pourcentage respectivement de 11,9% et 10,5%. Le Maroc est également (et relativement) mieux positionné en matière de protection contre la concurrence déloyale et de l’informel : 35% des entreprises ont cité ce facteur comme une contrainte majeure, contre 62% en Egypte, 55% en Algérie, 53% au Liban, 40% en Syrie, 30% en Arabie Saoudite, 28% en Jordanie et 23% à Oman.
En général, la région MENA souffre d’une application discrétionnaire et arbitraire des lois et règlements par les administrations. Dans beaucoup de pays, les textes de loi stipulant la réforme de l’environnement des affaires sont bel et bien présents. Mais c’est leur application qui fait défaut. Autrement dit, «la volonté des pouvoirs publics (…) souffre d’un manque de crédibilité», conclut la Banque mondiale. Résultat: la concurrence est moins intense dans cette région qu’ailleurs. En atteste le manque de dynamisme des entreprises qui découle de la création et la dissolution des entités les moins productives.
Illustration de la fragilité des entreprises privées dans la région MENA: le taux d’investissement du secteur privé est de 15% du PIB en moyenne, loin derrière des régions plus dynamiques comme l’Asie de l’Est avec 30%. En atteste également l’insuffisance de la diversification des exportations. Le rapport note ainsi que «les pays les plus performants de la région exportent environ 1 500 types de biens, dont la majorité est à faible contenu technologique, lorsque des pays comme la Pologne, la Malaisie ou la Turquie en exportent près de 4 000». Le Maroc, lui, est classé parmi les pays « performants» de la région avec près de 1 400 types de biens exportés, devancé légèrement par la Tunisie (près de 1 600) et largement par l’Arabie Saoudite (plus de 2 000) et surtout par les Emirats Arabes Unis (près de 3 600).
Des patrons aussi vieux que leurs entreprises
Autre signe de cette faiblesse du dynamisme dans le tissu industriel privé : l’âge élevé des entreprises et de leurs propriétaires. La Banque mondiale se réfère, à ce propos, à une étude qu’elle a récemment réalisée au Maroc auprès de 211 entreprises. Ses conclusions illustrent le fossé «générationnel» entre les dirigeants des micro-entreprises et ceux des petites et moyennes entreprises. La durée moyenne de la gestion des affaires par les patrons des petites et moyennes entreprises se situe entre 16 et 18 ans alors que celle des patrons des micro-entreprises est de 8 ans. Ce qui reflète, selon le rapport, «le dynamisme dans le renouvellement des cadres dirigeants des microentreprises».
Cela corrobore le constat général relevé par la Banque mondiale dans la région MENA puisque les hommes d’affaires restent plus longtemps dans les postes de commande que dans les autres régions. Ainsi, les patrons passent à la tête des entreprises de fabrication locale (souvent les propriétaires) une durée moyenne de 14 ans contre seulement 9 ans en Afrique et 7 ans en Asie de l’Est. La Banque mondiale juge cette situation d’autant plus paradoxale que la région compte parmi sa population la plus grande proportion des jeunes au monde.
La Banque mondiale ne se limite pas à faire le constat. Le rapport suggère également des mesures générales à tous les pays concernés, le Maroc y compris. Il incite ainsi les gouvernements à prendre des mesures pour réduire les situations de rente afin de promouvoir la concurrence. Il dénonce ainsi les textes réglementaires qui, dans certains pays, limitent la concurrence dans certains secteurs. La Banque mondiale appelle au démantèlement des «monopoles protégés de jure ou de facto». Elle s’élève également contre le maintien, par plusieurs pays de la région, de «contrôle excessif sur certains secteurs tels que le foncier ou le secteur bancaire, limitant ainsi la concurrence entre entreprises en rendant sélectif l’accès à ces facteurs aux nouveaux investisseurs». Pour faire face à cette situation, il est urgent, recommande cette organisation, de réduire ces positions de rente et ces entraves à la concurrence.
Les experts recommandent, en outre, l’adoption de réformes politiques qui pourraient «réduire l’arbitraire et l’opacité et d’améliorer la qualité et la prévisibilité des services aux entreprises». La banque suggère, enfin, une mobilisation de tous les acteurs autour de stratégies crédibles et leur implication dans leur mise en œuvre et leur évaluation.