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Des milliards de DH d’aides publiques engloutis par les promoteurs immobiliers… Pour quels résultats ?

Avantages fiscaux mais aussi aides foncières et financières…, l’Etat a généreusement subventionné le secteur de l’habitat sur les dix dernières années. Cet effort a permis une augmentation de l’offre mais n’a pas profité aux prix du fait d’une faible concurrence.

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habitat Casa immobilier 2012 12 21

Déjà débattues sous toutes les coutures, les aides de l’Etat au secteur de l’immobilier n’ont pourtant jamais été étudiées quant à leur impact sur le jeu de la concurrence au sein de ce marché. Un vide que s’est empressé de combler le Conseil de la concurrence à travers une analyse dédiée à la question. Et l’instance commence par soulever une anomalie bien surprenante : depuis des années qu’elles sont accordées, les aides au secteur de la construction n’ont jamais été soumises à l’appréciation du conseil, contrairement à ce que prévoit l’article 16 de la loi 06-99 sur la liberté des prix et de la concurrence.

Encore faut-il pouvoir cerner précisément ces aides car «il existe un déficit d’information à ce niveau, du fait de l’absence d’un dispositif législatif et réglementaire dédié», comme le notent les experts du conseil. Tant que l’on se contente d’estimer les aides fiscales à l’immobilier, l’on peut encore se faire une idée. De fait, les exonérations fiscales profitant à la pierre ont généré un manque à gagner pour l’Etat de près de 32 milliards de DH en 2011. Le Trésor renonce ainsi à l’équivalent de 3,5% du PIB pour encourager le secteur de la construction.

Mais ce dernier ne profite pas que d’avantages fiscaux. Une aide non négligeable que l’on n’évoque pas suffisamment porte sur le foncier public. Même si ce cadeau n’a jamais été estimé en valeur, l’on comprend qu’il est considérable à voir son volume : près de 3 114 ha de terrains domaniaux ont été mobilisés pour entre 1999 et 2003 au profit du secteur de la construction et 9 703 ha ont été encore mis à disposition de 2004 à 2009. Ce foncier est transféré à l’aménageur public Al Omrane qui le met ensuite à la disposition des opérateurs privés en lançant des appels à manifestation d’intérêt. Des cessions exceptionnelles de gré à gré ont également cours.

A cela il faut ajouter les avantages financiers qui ne peuvent là encore être approchés que de manière parcellaire. L’on recense le soutien du Fonds de solidarité habitat introduit en 2002 et dont les ressources sont passées de 400 MDH à cette dernière date à plus de 1,7 milliard en 2010. A un autre niveau, l’on peut citer les subventions directes de l’opérateur public Al Omrane par le budget général de l’Etat qui s’établissaient encore à 428 MDH en 2010 pour être portées à 812 MDH en 2011.

Jusqu’à 50% de hausse des prix sur les dix dernières années

Quel a été maintenant l’impact de toutes ces aides sur le jeu de la concurrence dans le secteur de la construction ? Dans un scénario idéal, les aides étatiques sont supposées encourager l’offre en logements pour générer de la concurrence, laquelle doit in fine avantager le consommateur. Or, les choses ont évolué autrement.

Evidemment, le renforcement de l’offre a bien été au rendez-vous. La période 2000-2010 a en effet enregistré une relance très nette du secteur caractérisée par une massification de l’offre de logements, à telle enseigne que l’objectif assigné à la politique de l’habitat, à savoir la réalisation de 100 000 logements par an, a été dépassé dès 2005 avec plus de 127 000 unités produites.

Mais au delà, les choses se gâtent. En dépit des aides accordées au secteur, les prix évoluent tout sauf à l’avantage des acheteurs : les augmentations moyennes rapportées par le Conseil de la concurrence sur les dix dernières années vont de 10 à 15%, voire 50% dans les grands centres urbains. C’est qu’en dépit de la massification de l’offre, celle-ci reste insuffisante : le déficit estimé depuis 2010 est de plus de 840 000 unités. Un manque qui a donné lieu à des mouvements de spéculation (25% de la demande, selon le conseil) et à la sous-déclaration qui faussent le jeu de la concurrence.

De là, les aides à l’habitat se muent en mécanisme pervers. D’une part, leur niveau actuel, trop élevé, n’incite pas à l’innovation et à la recherche dans l’habitat. «Le secteur est demeuré faiblement industrialisé avec une absence totale de normes techniques ou de qualité», exprime le Conseil de la concurrence. D’autre part, les mêmes aides contribuent à doper les marges réalisées par le secteur : entre 30 et 50%, ces niveaux de profits creusent l’écart avec les pays développés (6% seulement pour la France). 

Le risque est que les activités de construction créent un effet d’éviction pour le reste des secteurs, ce qui a, à vrai dire, court depuis quelques années déjà et pourrait menacer sensiblement l’économie nationale. Une réaffectation des aides publiques serait à même de renverser la vapeur en faveur de l’industrie par exemple. Celle-ci ne bénéficie aujourd’hui que de 1% des aides budgétaires octroyées par l’Etat !