Affaires
Dernière chance pour les 2 656 «jeunes promoteurs» en difficulté
Deux personnes ont déjà été mises en garde-à -vue
Une énième série de mesures sera mise en place pour leur permettre de rembourser leur crédit jeunes promoteurs.
L’opération Crédit jeunes promoteurs, lancée en 1988, a permis de «socialiser» l’investissement dans la petite entreprise, mais le système connaît tout de même de sérieux couacs avec les difficultés de remboursement rencontrées par un certain nombre de bénéficiaires. Il y a quelques jours, deux jeunes promoteurs, l’un de Beni Mellal et l’autre de Souk Larbaa, ont été mis en garde à vue – la formule est du ministère des Finances – pour défaut de paiement. Ces deux cas, précisent toutefois les services du ministère des Finances, remontent à avant 1999, date à laquelle la procédure de recouvrement contentieuse a été mise entre parenthèse.
Certes, il est toujours regrettable qu’une personne soit arrêtée,mais il s’agit, sur un total de 12 642 bénéficiaires, dedeux cas sur les 2656 promoteurs en situation de cessation de paiement et pourlesquels les banques, gestionnaires du système, ont émis des étatsde liquidation.
A Rabat on se veut rassurant en affirmant que le dossier, dans sa totalité,est en cours d’étude et que des solutions devraient bientôtvoir le jour. Mercredi 30 novembre, la direction du Trésor (ministèredes Finances) avait en effet reçu les associations de jeunes promoteurs,dont l’Alliance nationale de santé libérale (ANSL), présidéepar le Dr Saad Benmansour (voir entretien ci-dessous). Selon une source au ministèredes Finances, des mesures prises par l’administration en concertation avecles banques seront annoncées au courant de ce mois de décembrepour clore le dossier. «Il s’agit d’un traitement favorabledes cas de jeunes promoteurs en difficulté, mais en même temps,ces mesures seront limitées dans le temps», déclare la mêmesource. «Comprenez bien qu’il est question de l’argent du contribuablequ’il faudra de toute façon recouvrer. D’autre part, n’oublionspas qu’il y a dans le lot la part des banques. Enfin, passer l’épongeserait dangereux car cela créerait un précédent qu’ildeviendrait impossible de gérer par la suite, sachant que des bénéficiairesde crédits jeunes promoteurs n’ont pas encore achevé le remboursementde leurs dettes et une politique laxiste vis-à-vis de certains pourraitleur donner des idées», explique-t-on au ministère des Finances.D’autres emprisonnements à venir ?
Seuls 43 dossiers litigieux ont été traités depuis l’année2000
Les associations de jeunes promoteurs, en ce qui les concerne, paraissent satisfaitesdes résultats auxquels a abouti la réunion du 30 novembre. Le DrBenmansour annonce en effet qu’«une ébauche de solutions sérieusesa été proposée par la direction du Trésor, mêmesi l’aspect global du problème, du point de vue fiscal, bancaireet environnemental, reste à débattre». Sans doute est-cepour discuter de l’ensemble de ces points qu’une rencontre réunissantles jeunes promoteurs, tous secteurs confondus, aura lieu, samedi 17 décembre, à lafaculté de médecine et de pharmacie de Casablanca.
Mais comment en est-on arrivé là ? Créé en 1988 envue d’insérer les jeunes diplômés dans la vie active,le crédit jeunes promoteurs consiste en un cofinancement Etat/
banques (50/50) à des taux préférentiels et sur des duréesrelativement longues. Le système a été renforcé en1995 et en 2000 à travers la mise en place respective des créditsjeunes entrepreneurs et du programme d’appui à l’auto-emploi.Depuis 1995, la part financée par les banques bénéficied’une garantie à hauteur des 2/3. Enfin, en 2002, ce systèmede financement a été abrogé par la Charte de la PME, publiéeen septembre de la même année, pour lui substituer le Fonds de garantiede la jeune entreprise, dont le démarrage effectif a commencé enfévrier 2003.
Entre-temps, ce sont 12 642 jeunes promoteurs qui ont bénéficié deces mécanismes de financement. Près de 80 % d’entre eux peuvent êtreconsidérés comme ayant réussi à monter puis à gérerleur propre affaire. Les 20 % restants (soit 2 656 promoteurs), pour différentesraisons, se retrouvent en situation de cessation de paiement.
Pour le ministère des Finances, les causes ayant entraîné cesdifficultés de remboursement peuvent être résuméesen quatre points : le manque d’expérience et de formation dans lagestion des affaires ainsi que l’absence de perspectives bien étudiéesdes projets élaborés ; les litiges entre associés ; lesdéménagements fréquents d’une adresse à uneautre et, enfin, la dilapidation des prêts dans des dépenses ostentatoires.
Pour permettre à ces jeunes en difficulté de rembourser leurs dettesdans des conditions convenables, le ministère des Finances avait mis en œuvredès l’année 2000 une série de mesures de facilitation.La première avait consisté, d’une part, en un rééchelonnementde la part étatique aux taux d’intérêt de 5 % (au lieude 7 %), avec exonération des intérêts de retard; et, d’autrepart, en un gel de toutes les poursuites engagées contre les promoteursdéfaillants et ayant fait l’objet d’un recours contentieuxet à l’encontre desquels des ordres de recettes ont été émis.Ces mesures, précise-t-on aux Finances, avaient concerné 989 promoteurspour des dettes de 400 MDH. «Malheureusement, près de 90 % des promoteursconcernés n’ont pas adhéré à ces solutions»,se désole-t-on. Suite à quoi, une deuxième sériede mesures de facilité a été élaborée en novembre2003 : des facilités de paiement pour les jeunes promoteurs dont les montantsde remboursement sont en inadéquation avec la capacité de remboursement(allongement de la durée de remboursement jusqu’à 15 ans); et pour ceux qui souhaitent régler immédiatement la totalité deleur dette pour solde de tout compte, traitement des arriérés autaux de 2% applicable à chaque échéance depuis sa date devaleur initiale, ce qui implique, selon les Finances, «l’abandond’une partie des intérêts de retard appliqués aux échéancesimpayées». Là encore, regrettent les services de Oualalou,l’adhésion des promoteurs a fait défaut. «Seuls 43dossiers ont fait l’objet de liquidation». Peut-être cettefois-ci sera-t-elle la bonne
Les solutions proposées jusque-là ont été inadaptées
La Vie éco : Pourquoi ces difficultés chez les jeunes promoteurs,en particulier ceux opérant dans le secteur de la santé ?
Saad Benmansour : Qui aurait pensé en 1987 qu’unmédecinpourrait avoir des difficultés ? Le crédit jeunes promoteurs estvictime de deux anomalies. Primo, des anomalies intrinsèques : lenteurdans l’étude des dossiers, crédits relais aux taux prohibitifsde 18 %, désavantages fiscaux et douaniers. Secundo, des causes extrinsèques: la baisse du pouvoir d’achat, l’absence de couverture médicale,des filets sociaux handicapants voire inexistants, l’exercice illégalde la médecine et des professions de la santé…
Malgré cela, on peut dire que le bilan, après dix ans d’expérience,est plutôt positif : sur 13 000 bénéficiaires de créditsjeunes promoteurs, seuls 1 300 cas étaient en difficulté. Aux Etats-Unisou en France, et même en Tunisie, les responsables auraient applaudi.Onne peut pas réussir dans ce domaine à 100 %.
L’Etat avait mis en place, depuis 2000, une batterie de mesures pour aider les jeunes promoteurs en difficulté à trouver des solutions pour le remboursement de leurs dettes. Mais ces mesures ont suscité une très faible adhésion de ces derniers…
Le ministère des Finances et de la Privatisation avait effectivement proposé des solutions techniques et financières, mais des solutions handicapantes, car considérant tous les jeunes promoteurs comme de mauvais citoyens et de mauvaise foi. Ainsi, le capital initial s’est vu doubler ou tripler par le rajout aux intérêts normaux des intérêts de retard, plus les intérêts sur différé pour la part étatique. Ce faisant, le jeune promoteur, ne pouvant payer une échéance mensuelle de 7 000 DH, a obtenu un nouveau tableau d’amortissement avec des échéances mensuelles de 12 000 DH !
Aucune discussion sérieuse avec les ONG s’occupant des jeunes promoteurs et des PME/PMI n’a été entamée. Comment un jeune promoteur ne pouvant honorer 7 000 DH/mois pourrait honorer 12 000 DH ? La batterie de mesures a donc entraîné un climat de morosité chez tous les jeunes promoteurs.
2 600 dossiers en contentieux dont les 2/3 concernent le secteur de la santé. Comment résoudre le problème ?
Tout d’abord, il faudrait instaurer un climat de confiance et ne plus considérer la difficulté comme signe de mauvaise foi. Ensuite, il faut savoir que les jeunes promoteurs, de la santé ou autres, sont les premiers à vouloir restituer l’argent pourvu que les solutions traitent les véritables causes des difficultés et ne restent pas axées sur des mesures purement techniques et financières ayant pour base une loi vieille de 17 ans. Il faut dédramatiser l’action d’entreprendre et laisser, le cas échéant, la justice et non les percepteurs trancher les cas litigieux.
Concernant les solutions concrètes, il y a plusieurs cas de figure : la liquidation
judiciaire ou le redressement judiciaire de certains projets; la transformation des dettes en services par contrat à conclure entre jeunes promoteurs opérant dans la santé et le secteur public de la santé ; le retour aux capitaux initiaux empruntés, avec arrêt définitif du compteur des pénalités de retard et remboursement mensuel et obligatoire d’un montant déductible du capital initial, cette dernière solution pouvant résoudre 80% des cas litigieux.
Propos recueillis par salah agueniou
6 milliards de DH de crédits !
6 milliards de DH : c’est le montant des investissements réalisés dans le cadre de ce dispositif depuis son lancement en 1988 jusqu’à son abrogation en 2002.
49 000 emplois ont été générés par ces investissements.
12 642 : c’est le nombre de bénéficiaires du crédit jeunes promoteurs, dont 48 % proviennent du secteur de la santé (médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes), suivis des diplômés de la formation professionnelle (25 %).
4 banques : la BCP (61 %), le Crédit agricole du Maroc (11 %), la BMCE Bank (9 %) et Attijariwafa Bank (5 %) sont les principales banques qui ont financé le système de crédit jeunes promoteurs.
