Affaires
Délais de paiement : le barème des indemnités bien accueilli, mais l’application n’est pas garantie
5,25% est le minimum à facturer aux clients qui retardent le paiement. Ce niveau de pénalités sera relevé d’un point à partir du 1er janvier 2021. La non-réclamation des indemnités de retard peuvent constituer un motif de rejet de la comptabilité. Des notes circulaires attendues de la DGI pour dépasser les difficultés pratiques de l’application.

Voilà ce qui doit donner fin à plusieurs mois de flottement et de passivité ! La grille des indemnités pour paiement hors délais des dettes fournisseurs a été dévoilée. L’arrêté émanant du ministre de l’économie et des finances et celui du commerce et de l’industrie, publié dans le Bulletin officiel du 14 août 2019, dispose que les factures en souffrance datant entre le 1er janvier et le 14 août se verront appliquer des pénalités de retard de 9,25%. A partir du 15 août (jour d’effet du texte) et jusqu’au 31 décembre 2020, le taux est de 5,25%. Ce taux sera relevé d’un point à partir du 1er janvier 2021 pour atteindre 6,25%, soit le taux directeur actuel augmenté de 4 points de pourcentage.
A voir ce barème, tant attendu par le milieu des affaires et qui mettait en veilleuse toute la loi sur les délais de paiement, le taux des indemnités a été significativement réduit. Pour rappel, le premier taux qui était retenu, sans trop se soucier de son incidence sur les différents opérateurs et secteurs, faut-il l’admettre, était de 10% à l’entrée en vigueur de la première mouture de loi le 8 novembre 2012. Quelques mois plus tard, et en tenant compte des discussions entre les parties prenantes de ce grand dossier et l’évolution du taux directeur de Bank Al-Maghrib, le taux a été réduit à 9,25%. En somme, «le niveau retenu actuellement est réduit du tiers de ce qu’il était avant le texte. Ce qui représente un avantage pour ne pas pénaliser l’entreprise, notamment les petites structures en leur facturant de lourdes charges financières», explique un responsable au ministère du commerce et de l’industrie.
L’Exécutif a cherché à ménager les susceptibilités
En baissant le tarif des indemnités, l’Exécutif a, en quelque sorte, tenu compte de la proposition du patronat qui militait pour un taux inférieur à celui retenu au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi (10%). A cette époque, deux grands courants s’opposaient. Le premier, qui compte une majorité des opérateurs, voulait des taux qui dépassent celui du découvert bancaire pour empêcher les entreprises de retenir les paiements de leurs fournisseurs et se financer sur leur dos, au lieu de s’adresser aux banques et de demander des facilités de caisse. Le second camp militait contre des indemnités lourdes qui peuvent peser sur l’activité des entreprises.
En sondant plusieurs sources du marché, il semble que le niveau retenu arrange la majorité des opérateurs. «L’Exécutif semble avoir coupé la poire en deux pour ménager les sensibilités, tout en restant porté sur l’esprit de la loi», explique le directeur général adjoint d’une grande banque de la place. «Il était également question de se rapprocher, ne serait-ce que de quelques points, du niveau des intérêts moratoires appliqués aux marchés de l’Etat, fixés à 2,40% actuellement. Bien que le taux reste largement supérieur», analyse un tax advisor chez un cabinet des big four.
La réclamation des indemnités n’est toujours pas systématique
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que ce barème n’est en fait qu’un plancher. «Le taux de 5,25% est un taux minimum. Les opérateurs peuvent se mettre d’accord, par écrit, en plus du délai de paiement, sur l’application d’indemnités au-delà de ce taux réglementaire, et, le cas échéant, appliquer des intérêts de retard», explique le spécialiste du cabinet. Pour les experts, le niveau retenu actuellement est bien réfléchi parce qu’il donnera la possibilité à chaque opérateur de fixer son propre taux dans les contrats avec les clients en fonction des produits ou services vendus, du secteur d’activité et du préjudice subi en raison du retard de paiement.
A ce titre, la loi vient certes d’être complétée par un texte d’application très crucial, mais ce n’est pas ça qui garantit son application systématique ! Beaucoup d’entreprises ne réclament pas et voient mal le fait de facturer des pénalités à des clients, de peur de froisser les rapports commerciaux (voir page 9). Aussi, «la conjoncture fait en sorte que beaucoup de partenaires, fidèles, font face à des difficultés. Les fournisseurs préfèrent les soutenir en leur accordant plus de temps, au lieu de leur facturer des charges, et les perdre une fois pour toutes», commente un expert-comptable.
Sur un plan plus technique, les fournisseurs sont doublement pénalisés en raison du retard subi dans le paiement et aussi en raison du traitement fiscal, s’ils ne réclament pas les pénalités. Le client, quant à lui, ne peut aspirer à la déduction fiscale que si la pénalité est effectivement encaissée.
Quoi qu’il en soit, les indemnités doivent être réclamées lorsque la loi sera systématiquement appliquée. Au sens de la loi sur les délais de paiement, la non-application des indemnités de retard est une carence comptable. «Selon son impact sur les comptes, ces derniers peuvent donner lieu à des réserves lors de la certification ou de voir carrément la comptabilité rejetée par les agents du fisc», avertit le tax advisor. En dehors de ce point de l’application délibérée de la loi, des difficultés pratiques peuvent surgir pour ceux qui veulent s’y conformer. Des sources proches du ministère de l’économie et des finances n’excluent pas la publication de notes circulaires de la DGI dans les jours qui suivent pour aider les opérateurs pour une application progressive et correcte de la loi.
