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Cuir : les exportations de peaux explosent, les industriels demandent à l’Etat d’intervenir
Les tonnages ont augmenté, mais le prix moyen déclaré est passé de 200 à 20 DH le kilo en deux ans. Les industriels soupçonnent la reprise de l’exportation de cuir semi brut, le wet blue, malgré son interdiction. Tanneries et fabricants de produits finis tournent au ralenti.

Les pouvoirs publics et les professionnels déploient leurs efforts pour encourager les exportations. En principe, c’est la règle générale. Mais parfois les bonnes performances à l’étranger peuvent susciter des polémiques. Il en est ainsi des expéditions de cuir semi-fini. Les exportations ont progressé à tel point que la Fédération marocaine des industries du cuir (Fédic) est montée au créneau pour tirer la sonnette d’alarme. Elle vient de saisir les autorités concernées pour leur demander de prendre des dispositions visant à arrêter «l’hémorragie». Une partie des industriels est inquiète parce qu’il s’agit d’une matière première indispensable à leur activité. Le wet blue (peau brute légèrement transformée) étant interdit à l’export depuis 2 000, le problème concernerait essentiellement le stain (peau qui a subi un degré de tannage un peu plus avancé).
Les exportations sont montées en flèche, passant de 919 tonnes en 2009 à plus de 13 000 tonnes en 2010. Des professionnels parlent même d’une pénurie sans précédent en matière de peaux brutes. «La plus grande partie de la matière première est acquise par des intermédiaires qui la revendent à des importateurs turcs, italiens, portugais et chinois qui raffolent de la qualité du cuir marocain», signale Jamal Bahhar, directeur général de la Fédic.
Certains professionnels soupçonnent toutefois des opérations peu scrupuleuses. Ils n’écartent pas, en effet, la possibilité que ce soit le wet blue que l’on exporte massivement en le faisant passer pour du stain. «Grâce à un procédé chimique, on peut maquiller le produit semi-brut pour lui donner l’apparence de la variété stain et, de cette façon, on peut l’exporter sans être inquiété», explique M. Bahhar.
A l’en croire, plusieurs très petites entreprises (TPE) ont fermé boutique, notamment à Fès, capitale de l’activité de tannerie du pays. Et la plupart des tanneries tournent, selon la même source, à 20% de leur capacité de production. Pire, de grandes sociétés de transformation industrielle n’ont pas été épargnées. Certaines unités de fabrication de vêtements en cuir pour le compte de marques internationales prestigieuses, dont l’activité est dédiée exclusivement à l’exportation, trouvent de plus en plus de difficultés à honorer leurs engagements. L’une d’entre elles, basée à Marrakech, «souffre pour pouvoir répondre à une commande de 100 000 pieds carré par mois», souligne le DG de la Fédic. D’après les estimations de cette organisation professionnelle, la majorité des sociétés industrielles ne tournent plus que trois jours par semaine.
Le ministère du commerce extérieur a pris le dossier en main
Saisi par la fédération, le ministère du commerce extérieur a constitué un comité pour examiner la situation. Les premières constatations semblent corroborer les craintes des professionnels. «Nous avons remarqué que le volume des exportations a considérablement augmenté mais, en parallèle, la valeur des transactions, elle, a largement diminué», estime Zahra Maâfiri, directrice de la politique commerciale extérieure au sein de ce ministère.
Par contre, les recettes n’ont pas suivi la même tendance. De 186,6 MDH en 2009, elles passent à seulement 271 MDH en 2010. Quand on rapporte la valeur au tonnage, le constat est sans appel : le prix déclaré moyen passe de 203 à 21 DH le kilo alors que, paradoxalement, les cours mondiaux eux ont battu des records.
C’est sur la base de ces éléments que le comité, mis en place par le ministère du commerce extérieur, engagera une enquête pour «examiner la qualité réelle du produit exporté, vérifier s’il n’y a pas en effet de fausses déclarations et, par la même occasion, étudier toutes les ramifications de ce commerce», souligne Mme Maâfiri.
Les professionnels ne demandent pas plus en fait. «Nous ne voulons pas de restrictions qui mettent en cause la liberté de commerce mais tout simplement un contrôle très rigoureux au niveau de la douane de manière à connaître avec précision la nature des produits vendus à l’étranger, l’identité des exportateurs et la valeur déclarée. Ce n’est qu’à partir de ce moment qu’on pourra examiner l’impact sur l’ensemble du secteur», précise-t-on à la Fédic. Une situation qui rappelle fortement celle qu’avait connue il y a quelques années les industriels de la métallurgie et de la fonderie qui n’arrivaient pas à trouver de matière première, les déchets de métaux récupérés dans un circuit parallèle étant exportés parce que rapportant plus à l’étranger. La Douane imposa alors à tout exportateur de déchets métalliques de justifier dûment l’origine de ses cargaisons en produisant des factures. Depuis, les choses sont plutôt rentrées dans l’ordre.
