Affaires
CSF : les entreprises mécontentes… l’OFPPT jette l’éponge
Les entreprises paient la taxe sur la formation professionnelle mais n’arrivent
pas à se faire rembourser les frais de formation de leurs salariés.
Elles accusent l’OFPPT de blocage à travers des procédures trop contraignantes
et des remboursements qui tardent à venir.
L’office, de son côté, se défend :
il ne fait qu’exécuter une procédure décidée par une commission mixte où siège
la CGEM.
L’OFPPT a officiellement demandé à être déchargé de la gestion des contrats
spéciaux de formation.

L’Office de la formation professionnelle et la promotion du travail (OFPPT) jette l’éponge ou plutôt le voudrait bien. Pris constamment à partie par les entreprises qui, ces dernières années, en sont arrivées à considérer la formation continue comme une charge (un investissement, disent les DRH) plutôt que comme une dépense sur laquelle elles se font rembourser, l’office ne veut plus s’occuper de la gestion des contrats spéciaux de formation (CSF). Larbi Bencheikh, son directeur général, en a fait explicitement la demande lors du dernier conseil d’administration (CA) de l’établissement, qui s’est tenu le 24 janvier dernier. Certes, la validation d’une telle proposition repose sur les conclusions d’une étude que devra mener une commission constituée à cette fin, mais tout porte à croire que cette proposition de résolution arrangera finalement les affaires de toutes les parties, la CGEM, qui siège au CA, mais aussi l’office. Larbi Bencheikh, interrogé sur les motivations de ce désengagement, répond sans ambiguà¯té que «les CSF n’ont apporté que des problèmes à l’office» (voir entretien en p.30). Allusion est faite bien entendu au scandale qui avait éclaté en 2004 et dans lequel l’OFPPT s’était quasiment retrouvé au banc des accusés. Or, comme le fait remarquer M. Bencheikh, «l’office n’assure qu’un rôle de secrétariat et d’exécution et n’intervient dans la définition ni de la stratégie, ni du mode de fonctionnement, ni des moyens», qui sont du ressort d’un comité central des CSF au sein duquel siègent l’administration de tutelle (le ministère de l’emploi ou le secrétariat d’Etat à la formation professionnelle), la CGEM et les syndicats.
Les entreprises ont payé 930 MDH en 2007
Mais l’office n’est pas le seul mécontent. Les chefs d’entreprises le sont également, plus particulièrement depuis 2004. Ils ont de bonnes raisons. Les entreprises paient une taxe sur la formation professionnelle (TFP) qui représente 1,6% de la masse salariale brute imposable à la CNSS. Cette taxe, récoltée par la CNSS pour le compte de l’office, a rapporté à ce dernier 930 MDH en 2007 et devrait générer un milliard de DH en 2008. Selon les textes, 30% de la TFP doivent être alloués par l’OFPPT aux CSF, en vue de permettre le remboursement aux entreprises des actions de formation engagées au profit de leurs salariés.
Avec près de 300 MDH par an, un circuit de collecte qui assure la pérennité des ressources, la possibilité de se faire rembourser 70% des investissements en formation (pour des actions planifiées) et même les montants engagés en diagnostic des besoins en formation, le schéma, tel que pensé est séduisant, du moins sur le papier. Mais aujourd’hui, les entreprises dénoncent le fait que, sur les 30% de la TFP censés couvrir leurs besoins, elles ne voient pas grand-chose, soit en raison d’entraves procédurières les poussant à abandonner un droit légitime, soit à cause de retards dans les remboursements. Karim Zaz, président de la commission formation au sein de la CGEM, indique à ce titre que «2005 et 2006 ont été des années difficiles avec un nombre de dossiers en forte baisse, et beaucoup d’autres non remboursés». Ainsi, sur les 784 MDH représentant les 30% de la TFP entre 2004 et 2006, l’office a accordé le financement pour un montant de 389 MDH seulement et n’avait débloqué, au 31 mai 2007, que 53 MDH, soit 6,7% à peine de l’enveloppe allouée aux CSF !
Pire. L’office, selon les chefs d’entreprises, non seulement ne rembourse pas suffisamment, mais, en plus, récupère les fonds non utilisés pour les injecter dans son budget, alors même qu’ils sont spécifiquement dédiés. Ce que le DG de l’office reconnaà®t en expliquant qu’il a agi conformément aux directives de la tutelle, notamment de la direction du Budget du ministère des finances (voir encadré p. 28)
Résultat : les entreprises estiment, à juste titre, que l’OFPPT est un facteur de blocage et qu’elles ne reçoivent pas la contrepartie qui leur est due.
Des pouvoirs de signature précisant les CSF !
Pour ce qui est des causes de ce blocage, les patrons n’y vont pas par quatre chemins : un personnel – de l’office s’entend – trop tatillon dans le traitement des dossiers, des procédures trop compliquées… A tel point que certains chefs d’entreprises se demandent si de tels retards ne sont pas prémédités pour éviter de dépenser toute la cagnotte.
Et sur ce registre, les anecdotes des DRH et des responsables de formation dans les entreprises ne manquent pas. Les problèmes commencent dès le départ, c’est-à -dire au moment o๠l’entreprise doit préparer son plan de formation pour l’année suivante. Un véritable parcours du combattant. A ce stade, l’entreprise a affaire, en fait, à deux entités : les groupements interprofessionnels d’aide au conseil (GIAC) et l’OFPPT. Les premiers, associations à but non lucratif, sont, depuis mai 2006, un passage obligé et donnent accès au remboursement de l’ingénierie de formation en finançant les études et diagnostics préliminaires qui permettent à l’entreprise de définir ses besoins en termes de formation. A ce niveau, rien à signaler et tout semble bien se passer. Mais si le GIAC a pour rôle premier de valider le plan de formation d’une entreprise, cet avis n’est pas un sésame permettant, dans le cadre des CSF, de se faire rembourser les actions de formation elles-mêmes. C’est l’OFPPT qui doit décider si oui ou non l’entreprise y est éligible. Un casse-tête, selon les entreprises. Elles doivent, en effet, au moment o๠le GIAC examine le plan de formation, instruire un dossier, dit administratif, auprès de l’office pour obtenir l’éligibilité aux CSF (appelé passeport CSF). Et là , le labyrinthe commence. En effet, l’entreprise doit fournir à l’OFPPT un modèle «J» de l’extrait du registre de commerce datant de moins d’un mois, une attestation d’identité bancaire (le RIB), un PV d’assemblée générale ou toute autre pièce justifiant les pouvoirs de signature des personnes habilitées à engager l’entreprise, le tout accompagné d’un formulaire (F1). Concernant cette phase, quelques anecdotes révélatrices de la lourdeur bureaucratique. Il faut nécessairement que le formulaire soit celui de l’office, même si les espaces de remplissage sont parfois courts. Les entreprises qui ont essayé de le reproduire à l’identique ont vu leur dossier rejeté. Autre exemple: il faut préciser par écrit, dans les documents justifiant des pouvoirs de signature, que les personnes habilitées à engager l’entreprise le sont en matière de contrats spéciaux de formation et sans limite de dépenses !
Plus de cabinets de formation étrangers
Dans tout cela, une autre aberration : le seul critère d’éligibilité aux CSF, pour l’année N, par exemple, est que l’entreprise soit à jour auprès de la CNSS (cotisations et TFP) entre juillet de l’année N-2 et juin de l’année N-1. Pourquoi alors toute cette liasse de documents qui découragent bien des entreprises ?
Quand l’entreprise obtient son attestation dite d’éligibilité, elle n’est pas encore sortie d’affaire. Elle devra entamer un autre dossier, dit technique, qui nécessite que le GIAC ait approuvé son plan de formation. A partir de là , l’entreprise doit remettre à l’OFPPT, avant le 30 juin de l’année concernée (année N) deux exemplaires du plan de formation approuvé dûment cachetés par le GIAC et comprenant le détail des formations prévues, les dates, les lieux, les effectifs prévus ainsi qu’une fiche détaillée sur le prestataire qui dispensera les cours. Là aussi, les anecdotes ne manquent pas. Ainsi, et spécialement depuis le scandale de 2004, l’OFPPT a décidé tout simplement de ne plus accepter les dossiers o๠la formation doit être dispensée par un prestataire étranger. Motif du refus : l’office n’a pas les moyens de vérifier l’authenticité des cabinets étrangers. Du coup, quand la présence d’un formateur étranger s’impose, les entreprises doivent s’ingénier à trouver les moyens de contourner la difficulté. Certains ont trouvé une solution : faire passer la formation par un cabinet de la place qui, lui, fera venir le formateur de l’étranger, le but étant que ce soit une entité marocaine qui facture.
Des entreprises relancées à la dernière minute
Une fois le dossier envoyé, l’entreprise doit attendre 10 jours pour entamer son plan de formation et rester très vigilante tout au long de l’année : au cas o๠pour une raison ou une autre (maladie, incident, empêchement familial ou tout simplement raison de service), un des salariés prévu à une formation ne s’y rend pas, l’entreprise doit obligatoirement en informer l’office et en temps réel, par fax, et garder copie de l’accusé de réception. Quand on dispose d’un fax avec papier thermique qui s’efface au bout de quelques mois… Si l’entreprise n’avertit pas l’office et si un contrôle surprise à la séance de formation relève un effectif inférieur à celui programmé, le remboursement est annulé pour le formé en question et parfois pour tout le groupe ! Pire, en cas de changement de programmation, de lieu ou d’intervenant, chose qui peut arriver à la dernière minute, l’entreprise doit en aviser l’OFPPT… cinq jours à l’avance. Il faut prévoir les imprévus !
Entre-temps, l’entreprise doit garder un Å“il sur un détail déterminant pour le remboursement : le contrat spécial de formation. En effet, une fois la demande de financement déposée, et si le dossier est accepté, l’office est censé, dans un délai ne dépassant pas deux mois à compter de la date de dépôt de la demande, adresser à l’entreprise une demande l’invitant à venir retirer son contrat. Lequel contrat doit être signé et légalisé puis retourné à l’office avant le 31 décembre. Pas de contrat, pas de remboursement !
Or, en 2007, l’office n’a relancé les entreprises pour venir récupérer leur contrat et le faire signer qu’à une semaine de la fin de l’année, période o๠beaucoup de responsables sont en vacances. En décembre 2007, les entreprises ont eu droit à un délai de trois jours pour faire signer leurs contrats et les légaliser, ce qui a privé, on s’en doute, nombre d’entre elles du bénéfice du remboursement des formations engagées. «Absolument pas», rétorque le DG de l’office qui assure que les entreprises ont été relancées à temps et que beaucoup ne se sont pas présentées à temps pour compléter leurs dossiers ou pour retirer leurs contrats. «Nous avons un système d’information qui permet aujourd’hui à chaque entreprise de suivre l’état d’avancement de ses dossiers et rien ne les empêchait de venir réclamer leurs contrats avant, nous les leur aurions remis». Il reste que, selon le manuel de procédure, c’est l’office lui même qui doit demander aux entreprises de venir retirer leurs contrats et au plus tard le 31 août, soit deux mois maximum après le délai de dépôt du dossier fixé au 30 juin.
Pour les plus chanceux qui auront surmonté ses épreuves, reste une dernière étape : le remboursement. Pour cela, l’entreprise doit déposer un dossier financier au plus tard le 30 avril de l’année N+1 (l’année qui suit celle o๠a eu lieu la formation). Et c’est à ce niveau que cela se corse. Beaucoup d’entreprises se plaignent de la lenteur et des niveaux des remboursements.
A.Z., DRH dans un groupe hôtelier de la place, atteste que «les remboursements au titre des formations réalisées en 2006 atteignent à peine un taux de 40%». Un confrère, dans le secteur des nouvelles technologies est du même avis. «La situation, déplore-t-il, ne fait qu’empirer. Nous courons encore après des remboursements qui devaient être faits il y a plus d’une année. C’est dire que les procédures sont longues et très compliqués. Il faut sans cesse produire des pièces, des factures déjà fournies, pour prétendre au remboursement».
En résumé, les entreprises, lassées de devoir accomplir un parcours aussi ardu, d’affecter une ressource dédiée uniquement à la gestion de ces problèmes de paperasse et d’aller-retours incessants, d’avoir plusieurs interpétations d’une même procédure de la part de l’OFPPT et d’attendre, en plus, un remboursement très hypothétique, en sont arrivées à la conclusion que l’office faisait le maximum pour décourager le remboursement de la formation.
Larbi Bencheikh, tout en s’inscrivant en faux contre les accusations de mauvaise foi, reconnaà®t que le contrôle est devenu extrêmement sévère et peut engendrer une lourdeur. Son argumentaire : l’office ne fait qu’exécuter des dispositions qui ont été décidées par un comité o๠siègent les entreprises. Non, la lenteur n’est pas uniquement le fait de l’office mais aussi des entreprises elles-mêmes qui ne sont pas réactives, et du ministère des finances qui s’occupe de débloquer les fonds. M. Bencheikh fait d’ailleurs remarquer qu’à fin novembre 2007 l’OFPPT a pu apurer l’équivalent de 254 MDH de remboursements qui étaient en souffrance au titre des années 2002 à 2005. Quant au contrôle, il n’en démord pas : il continuera d’en faire. Pour le plan d’action 2008, pas moins de 1 200 opérations de contrôle sont prévues. Gare aux fraudeurs! Les entreprises, elles, devront faire preuve de patience.
