Affaires
Croissance : l’export n’a pas compensé le recul de la demande domestique
La croissance en 2018 devrait s’établir à 2,8% après 4% en 2017. La valeur ajoutée agricole accuserait une baisse de 2,1% et celle non agricole une hausse de 2,9%. La consommation des ménages croîtrait de 3,3% au lieu de 4% en 2017.
L’économie marocaine continue d’évoluer en dents de scie, enregistrant d’une année à l’autre des résultats assez largement influencés par la donne agricole. En réalité, cette volatilité à l’échelle macroéconomique cache deux tendances que le Haut commissaire au plan, Ahmed Lahlimi, a bien résumées, mercredi 10 janvier, lors de sa présentation du Budget économique prévisionnel 2018 (BEP). La première tendance est le maintien sur un sentier de croissance élevée de la valeur ajoutée agricole. Malgré sa volatilité conjoncturelle, celle-ci, observée sur une longue période, se situe en moyenne à un niveau élevé: 5,8% par an en moyenne sur les cinq dernières années et 6,8% depuis 2008. La seconde tendance, au contraire, est celle d’une «faible performance» des activités non agricoles. Ces dernières, en effet, ont vu leur rythme de croissance se replier de 4,2% par an en moyenne entre 2008 et 2012 à 2,2% par an depuis 2013. A partir de là, on peut tout à fait avancer que la décélération de la croissance économique depuis 2008 a pour origine l’atonie des activités non agricoles davantage que les fluctuations, au gré de la pluviométrie, du secteur agricole.
L’année qui s’ouvre ne devrait pas échapper à cette configuration. Selon le Budget économique prévisionnel du HCP, la croissance économique en 2018 devrait s’établir à 2,8% après 4% en 2017. Ce niveau de hausse du PIB serait le résultat d’une baisse de la valeur ajoutée du secteur primaire de 1,3% (-2,1% pour la valeur ajoutée de l’agriculture), d’un côté, d’une progression de celle des activités non agricoles de 2,9%, de l’autre côté, et, enfin, d’une augmentation des impôts et taxes sur les produits nets de subventions de 5,9%.
Comme en 2017, le secteur secondaire devrait croître de 2,9%, tandis que le tertiaire, porté par les services marchands (+3,4%), accélérerait sa reprise à 3% au lieu de 2,7% en 2017.
Contrairement à 2017 où elle a contribué positivement à la croissance économique, très légèrement certes (+0,4 point), la demande extérieure, selon le HCP, devrait en 2018 contribuer négativement (-0,2 point) à la hausse de l’activité. C’est donc sur la demande intérieure que reposerait la croissance de 2018. Celle-ci croîtrait de 2,7% contre 3,2% en 2017, tirée par la consommation finale nationale (+2,8% au lieu de 3,2% en 2017) et l’investissement (+4,1% contre 3,4% en 2017). Ainsi, bien que positive, la demande intérieure accuserait tout de même un ralentissement, sous l’effet notamment d’une décélération de la consommation des ménages à 3,3% contre 4% en 2017 et 5,5% en 2016. Mais ce ne serait pas nouveau : depuis 2013, indique le HCP, la demande domestique, principale variable de la croissance, non agricole en particulier, a évolué à un rythme annuel moyen de 3,2%, contre 5,3% entre 2008 et 2012. Clairement, ces évolutions posent, à tout le moins, des interrogations quant à la compétitivité de l’économie nationale. En bonne logique, le ralentissement de la demande intérieure se devait d’être compensé par la demande extérieure et, au bout, une atténuation du déficit commercial. C’était du reste l’objectif poursuivi depuis les très gros déficits jumeaux réalisés en 2012.
Le taux de pénétration des importations demeure très élevé
Pourtant, note le HCP dans son BEP, la demande étrangère a connu ces dernières années une amélioration dont l’impact apparaît dans le taux de progression des exportations : +5,6% par an en moyenne entre 2013 et 2017 au lieu de 4,2% entre 2008 et 2012. Question : pourquoi, malgré son amélioration, la demande extérieure n’a pas réussi à atténuer l’effet de ralentissement de la demande intérieure sur la croissance économique ? Lahlimi pense que la réponse se trouverait dans «la faible compétitivité du tissu productif national», non plus seulement à l’export, mais surtout sur le marché intérieur. Car, en dépit du rythme plutôt correct des exportations au cours des cinq dernières années, le taux de pénétration des importations demeure élevé : il est de l’ordre 41% selon le HCP, contre 25% en moyenne dans les pays émergents. Et ce qu’exprime ce taux de pénétration élevé, en termes simples, c’est une forte dépendance du marché domestique aux importations. Mais peut-être faudrait-il nuancer ce facteur de dépendance par le fait que le Maroc est un importateur net de produits énergétiques et qu’à ce titre il subit directement les variations que connaît le marché pétrolier mondial.
En réalité, même en tenant compte de la donne énergétique, la question de la compétitivité des exportations demeure posée. Sinon, comment expliquer qu’en 2017, alors que les prix du pétrole ont augmenté par rapport à 2016, et que la facture énergétique a représenté 16% des importations totales de biens jusqu’à fin novembre, contre 13,2% à la même période de 2016, la contribution de la demande étrangère ait été positive en 2017 et fortement négative en 2016 (-4,7 points) ? Evidemment, à l’échelle globale, il faut sans doute tenir compte non plus seulement du prix du pétrole, mais aussi du niveau de la demande adressée à l’économie, en lien avec l’évolution du commerce mondial.
Mais quoi qu’il en soit, le fait est que le commerce extérieur ne donne pas des signes d’amélioration de son solde déficitaire à la mesure du recul de la demande domestique. Pour 2018, le HCP prévoit que le déficit commercial représenterait 18,2% du PIB, contre 17,8% en 2017 et 17,1% en 2016. Le compte courant de la balance des paiements, pour sa part, verrait son déficit s’aggraver à 4,8% du PIB en 2018, au lieu de 4,4% en 2017 et 2016 et…2,1% en 2015. En termes clairs, ce déficit courant exprime un besoin de financement de l’économie que l’on retrouve, par ailleurs, dans l’écart entre le niveau de l’épargne nationale et celui de l’investissement ; raison pour laquelle le HCP anticipe une hausse de la dette publique à 82,3% du PIB en 2018, contre 80,9% en 2016 (voir les détails dans focus).
Dans ce tableau global assez fortement nuancé, on ne peut tout de même pas passer sous silence le fait que les finances publiques, au regard des statistiques du ministère de l’économie et des finances, se sont notablement améliorées depuis quelques années. Le déficit budgétaire, sous l’effet de la maîtrise des dépenses et de l’amélioration des recettes, devrait, comme en 2017, se limiter à 3,5% du PIB en 2018, après 4% en 2016 et 4,1% en 2015. Cela dit, la Cour des comptes, dans son dernier rapport, semble avoir un autre avis sur l’état des finances publiques, considérant que dans le solde budgétaire, les responsables des Finances n’auraient pas tenu compte de certaines dépenses, comme les crédits de TVA par exemple. Mais ceci est une autre histoire…
[tabs][tab title = »Estimations et prévisions du HCP« ]
• L’inflation, appréhendée par le niveau général des prix, s’établirait à 1,5% en 2018, contre 0,2% en 2017 et 1,6% en 2016.
• Le déficit commercial devrait représenter 18,2% du PIB en 2018 au lieu de 17,8% en 2017.
• Le taux d’investissement se maintiendrait au même niveau (33,1% du PIB) en 2018 qu’en 2017.
• L’épargne nationale reculerait légèrement à 28,4% du PIB en 2018 contre 28,9% du PIB en 2017, tandis que l’épargne intérieure se situerait respectivement à 22,7% du PIB contre 23,1% du PIB.
• Le déficit budgétaire, qui était de 4% du PIB en 2016, se stabiliserait à 3,5% du PIB en 2017 et 2018.
• Le compte épargne/investissement dégagerait un déficit de 4,8% du PIB en 2018 contre 4,4% en 2017 et 2016.
• La dette du Trésor représenterait 65% du PIB en 2018 contre 65% en 2017 et 64,7% en 2016.
• La dette publique atteindrait l’équivalent 82,3% du PIB en 2018, au lieu de 81,6% en 2017 et 80,9% en 2016.
• Les réserves internationales nettes couvriraient 4,9 mois d’importations de biens et services en 2018, contre 5,5 mois en 2017 et 6,1 mois en 2016.[/tab][/tabs]