Affaires
Croissance : le rattrapage pour 2021 ?
• Plusieurs organismes internationaux s’attendent à un rebond de la croissance entre 4 et 5,5% en 2021.
• Diversification sectorielle, exposition modérée sur l’extérieur, industries locales montantes, dynamisme des secteurs non agricoles, demande intérieure vigoureuse…, autant de points forts pour espérer un rattrapage rapide.
• Passée la stabilisation économique et sociale, la reprise progressive serait amorcée dès septembre.
C’est définitif ! La récession est là, et elle sera bien installée pour un bon bout de temps. Partout, les mesures de riposte sont prises juste pour limiter la casse ! Les Etats essaient avec les moyens du bord de sauvegarder le tissu productif des faillites en cascade et le pouvoir d’achat des ménages pour espérer redémarrer la machine le plus tôt. La croissance au 1er trimestre n’a pas dépassé la barre de 1% selon les dernières remontées officielles. Au deuxième trimestre, l’on s’attend à un recul net du PIB de l’ordre de 6,8%. Pour toute l’année 2020, les prévisions du Haut Commissariat au plan, faites au tout début de l’année, ne sont plus d’actualité. De façon globale, toutes les prévisions des organismes nationaux et internationaux ont été revues en raison de l’impact de la crise pandémique. L’on s’attend à un recul de la croissance de 3 ou 4%, le plus prononcé en deux décennies. La Banque mondiale s’attend à ce que le taux de 2,3% réalisé en 2019 régresse à -1,7% en 2020. Le FMI a prédit que l’économie marocaine entrera en récession cette année sans donner de prévisions chiffrées. De son côté, le Centre marocain de conjoncture (CMC) vient d’actualiser sa prévision de croissance pour 2020. Plutôt très optimiste, le centre prévoit une baisse de 0,8% du PIB à prix constants. Pour Euler Hermès, le choc sera important. Les économistes de l’assureur-crédit s’attendent à une contraction de la croissance de l’ordre de 3,9% en 2020. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) évoque dans son dernier rapport économique, rendu public le 13 mai ,un scénario de récession modérée. A en croire les projections de la banque, l’économie marocaine devrait se contracter de 2% en 2020. La dernière édition de Regional Economic Prospects de la BERD, qui rend compte des perspectives économiques dans ses régions d’opérations, souligne que ce ralentissement sera dû à une nette diminution des rentrées de tourisme, aux mesures destinées à contenir la propagation de la pandémie, aux récoltes probablement mauvaises, à une récession en Europe et à une baisse des prix des matières premières.
Dans ce tableau peu reluisant et aux teintes plutôt sombres, une bonne lueur se fait entrevoir au bout du tunnel : le retour à la croissance ne prendra pas beaucoup de temps et le rattrapage de création de richesse se fera de sitôt. Plusieurs prévisions tablent sur une reprise rapide dès 2021. La plus optimiste est celle de la Banque mondiale qui prévoit une hausse de 5,5% en 2021 puis 4,2% en 2022. Corroborant cette projection, les économistes d’Euler Hermès estiment que le rebond se fera dès 2021 avec 5% de croissance. Enfin, la BERD s’attend à une hausse du PIB de 4% en 2021. A noter que le Haut-Commissariat au plan a jugé plus opportun de ne pas émettre des prévisions lointaines en raison du contexte très incertain de l’économie mondiale.
Les plans de relance gagneraient à être synchronisés avec ceux des pays partenaires
Pour plusieurs économistes sondés, l’étape d’urgence sanitaire et de stabilisation économique et sociale laissera la place à l’étape de redynamisation de l’économie. Cette dernière, très vitale, ne pourra être abordée de façon sérieuse qu’après levée des contraintes de circulation de la population. «Si la distanciation sociale reste en vigueur beaucoup plus longtemps que prévu, la récession pourrait être bien plus profonde et il faudra des années avant de retrouver les niveaux de production par habitant de 2019», estiment les économistes.
La relance, si elle se prépare rapidement, sera progressive et probablement envisageable à partir de septembre. Elle sera plus rapide si elle est synchronisée avec les plans de relance des principaux pays partenaires économiques, notamment ceux de l’Union européenne (dont plusieurs ont commencé dans la première semaine de mai la levée progressive des restrictions).
Plusieurs points forts plaident pour une convalescence rapide de l’économie. Deux types de facteurs sont évoqués dans ce registre. Il existe des données liées à la structure de l’économie et d’autres en lien avec la dynamique de crise elle-même.
Les économies ayant le plus fait les frais de cette crise sans précédent sont celles à composition de PIB très concentrée sur quelques secteurs. Par exemple, plusieurs pays qui axent leurs activités sur le secteur pétrolier, le tourisme ou les métiers financiers ont de grands soucis dans l’exécution de leurs Lois de finances et sont en proie à de sérieux déséquilibres budgétaires. Pour le Maroc, l’économie est assez diversifiée, ce qui amortit le choc et permet une répartition équilibrée entre secteurs pourvoyeurs de la croissance et ceux à l’origine de contre-performances.
Aussi, l’économie marocaine est-elle dépendante de l’étranger de manière modérée. Ce qui lui donne un degré d’autonomie par rapport aux crises mondiales. Au premier trimestre, le taux d’ouverture calculé par La Vie éco s’établit à environ 65% sur la base de flux du commerce extérieur à fin mars de 185 milliards de DH ( selon l’Office des changes) rapporté à un PIB trimestriel d’environ 275 milliards de DH. De façon générale, moins l’économie est extravertie, plus rapide sera la convalescence et le retour à la croissance.
Cela dit, l’économie peut capitaliser sur les acquis de plusieurs branches. Selon la dernière livraison d’Oxford Business Group (OBG), le pays peut tirer profit de son secteur industriel qui a su se structurer au cours des dernières années grâce au Plan d’accélération industriel (PAI). OBG rappelle qu’au moment où la seconde phase du PAI, pour la période 2021-2025, s’organisait, les entreprises privées, en coordination avec le secteur public, se sont donc concertées pour adapter leur production industrielle et se reconvertir pour répondre aux besoins de la période.
De plus, il existe des industries locales sur lesquelles peut compter le pays. C’est le cas de l’industrie pharmaceutique. OBG assure que 80% des médicaments vendus au Maroc, princeps ou générique, sont fabriqués localement.
Dans le même registre, la croissance pourrait être favorisée par l’essor des secteurs non agricoles, en particulier l’industrie minière, principalement en raison de l’impact négatif de la pandémie de Coronavirus sur la production de phosphate en Chine. «Le Maroc, deuxième producteur mondial de phosphate, pourrait en tirer parti», soutiennent les économistes de la Banque européenne pour la reconstruction et de développement.
En plus de cette dynamique sectorielle, la fenêtre de demande liée à la démographie appelée «dividende démographique» (qui devrait bénéficier à l’économie entre 2021 et 2035) plaide en faveur de l’essor de la consommation des ménages et une croissance boostée par la composante locale de la demande intérieure (www.lavieeco.com).
Hormis ces facteurs endogènes à l’économie, le propre des crises est de laisser place à des années meilleures. Ce scénario est soutenu par plusieurs institutions financières internationales qui s’attendent à une réelle embellie une fois la crise pandémique derrière nous. A ces facteurs plaidant pour un retour rapide de la croissance s’ajoute l’effet de «report de la demande». En effet, les économistes s’attendent à ce que les consommateurs qui ont ajourné leurs achats vont concrétiser leurs intentions reportées une fois la crise dépassée. Ce qui représentera une demande additionnelle pour les opérateurs économiques tous secteurs confondus.
Un bémol toutefois, plusieurs vulnérabilités doivent être surveillées de près pour ne pas retomber dans des scénarios de récession. La reprise plus lente que prévue dans les pays européens partenaires et la méforme persistante de la production agricole, en raison de conditions météorologiques défavorables et de l’évolution des prix, pourraient constituer des facteurs de risque freinant le retour à la croissance. Dans ce sens, la reprise pourrait être tronquée à cause du recul sans précédent du commerce extérieur. La zone Euro, qui représente le premier partenaire économique du Royaume, devrait voir son activité reculer de plus de 9% en 2020. L’impact négatif du Coronavirus devrait se manifester également dans le tourisme, sachant que 78% des touristes viennent d’Europe. Dans le même sens, la baisse brutale des transferts issus des voyages et des envois monétaires des expatriés (MRE) va mettre les devises sous pression. A ces vulnérabilités s’ajoute le fort ralentissement prévu dans les flux d’investissement direct étranger (IDE). Pour faire face à tous ces facteurs de risque, il est grand temps pour l’économie marocaine d’accélérer sa transformation structurelle (voir encadré) et d’aller vers un nouveau modèle de développement fort, cette fois, de sa résilience aux chocs externes.
