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Crédit : les banques contraintes de chercher des ressources alternatives

Les banques n’ont pas de problématique de ressources, mais la montée des créances en souffrance pèse sur la distribution du crédit. La structure des ressources a été marquée par une montée de la dette obligataire en 2017 et 2018. Pour plusieurs banques, les activités en Afrique consomment de manière substantielle les ressources, les obligeant de s’endetter davantage. Pour certaines, le coefficient d’emploi atteint ou dépasse 100%.

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Depuis quelques années déjà, la baisse du rythme d’octroi des crédits divise banquiers et opérateurs. Quand les premiers invoquent un déficit de projet «bancable», les seconds parlent d’une insuffisance de l’offre. Qui des deux camps a raison ? Est-il normal que les banques, qui vivent de la marge d’intérêt, refusent de satisfaire une demande saine ? Y-a-t-il alors une difficulté structurelle dans la transformation des ressources collectées et levées en emplois (dépôts en crédits) ? Ou serait-on plutôt en présence de tensions sur les ressources qui brident le financement de l’économie? Dans quelle mesure ? Et quelles ressources alternatives qui s’offrent aux établissements de crédit pour mieux irriguer l’économie et relancer la machine du crédit ?

D’abord un petit regard sur l’évolution des crédits et des ressources en face sur les trois dernières années. A fin février, les encours de crédit se sont établis à 859 milliards de DH, en hausse de 4,2%. Ceux en faveur du secteur privé ont crû dans une moindre mesure: 3,6% à 673 milliards de DH. En 2017, les banques ont distribué pas plus de 845 milliards, en légère hausse de 3,2% par rapport à 2016. Si l’on neutralise l’effet de la hausse des comptes débiteurs et crédits de trésorerie de 10,7% à fin février (puisque ces concours ne reflètent pas le financement de vrais projets), le crédit à l’équipement accuse encore le coup : l’encours a timidement progressé de 1,8%. Sur les trois dernières années, la hausse ne dépasse pas 3% !

Les crédits augmentent moins vite que les dépôts

Côté ressources, les dépôts reçus de la clientèle se sont montés à 909 milliards de DH à fin février, en hausse de 3% sur une année. En 2018, l’on était également sur le même rythme par rapport à l’année précédente. Un an auparavant, les dépôts avaient marqué une amélioration de 4,4% à 850 milliards de DH par rapport à 2015 (voir encadré).

A voir ces données, deux constats apparaissent. Premièrement, on est loin des années fastes d’avant-2011 où les dépôts et crédits évoluaient à deux chiffres. En deuxième lieu, les emplois ont crû à un rythme légèrement moins soutenu que les ressources.

«Sur les dix dernières années, les crédits ont progressé moins bien que les dépôts. Clairement, nous ne sommes pas en présence d’un souci de ressources, mais les banques surveillent méticuleusement le profil de risque des clients», explique Nabil Adel, économiste et enseignant chercheur. Pour lui, la montée préoccupante des créances en souffrance (67 milliards de DH en hausse de 4% à fin février) pèse lourdement sur les politiques de distribution des crédits de l’ensemble des établissements de la place. Fitch rating a d’ailleurs émis une alerte sur le niveau atteint au cours des deux dernières années.

Abondant dans le même sens, El Mehdi Fakir, économiste et spécialiste des finances, estime que «les banques ont assez de ressources pour financer de manière optimale l’économie, mais l’enjeu est ailleurs : c’est le risque de contrepartie qui dicte l’octroi et l’étendue des financements». Il souligne en outre que «les banques sont demandeuses de bons dossiers à financer ; puisqu’il y va de leur pérennité». L’économiste explique en substance que, d’une part, chaque banque a sa manière de percevoir le risque de contrepartie inhérent au demandeur, et, d’autre part, la banque centrale impose des limites de prise de risque et de concentration par secteur et par acteur institutionnel.

Peu de projets bancables !

Un manager d’une grande structure de corporate finance de la place nuance l’analyse. «Il ne faut pas perdre de vue que le marché du crédit est parmi les plus minutieusement régulés et fait bien jouer l’offre et la demande. Quand la ressource se fait rare, les taux augmentent systématiquement. On accède au crédit plus difficilement et la procédure d’octroi devient plus sélective», commente-t-il.

A ce titre, M.Fakir est convaincu que le ralentissement économique explique en grande partie la situation de la demande actuellement et la manière dont les banques essayent de la satisfaire. M.Adel ajoute de son côté que la panne du crédit est surtout à lier à la baisse de régime des secteurs qui utilisent l’effet de levier, notamment la promotion immobilière et le BTP. Pour le reste, les petits projets, quand ils sont bancables, ne contribuent que légèrement à la croissance des encours. Leurs montants moyens étant limité par rapport aux enveloppes demandées par les grands secteurs capitalistiques. Et «il faut pas s’en cacher, nous avons du mal à dénicher des dossiers de crédit convaincants et porteurs sur le plan économique. Si nous satisfaisons toutes les demandes qui nous arrivent aujourd’hui, nous allons financer plutôt des projets de faillite», confie le DGA en charge du marché de l’entreprise d’une grande banque.

De l’avis du manager de corporate finance, l’incidence de la situation des ressources sur les politiques des banques en matière de crédit, de conditions d’octroi, notamment les taux débiteurs et de taux créditeurs est paramétrable à longueur d’année et aussi sur le moyen terme par les techniques de gestion ALM ( Actif-Passif). Si elles ne sont pas très confortables dans leurs matelas de dépôts, ce qui est le cas, le coefficient d’emploi (dit aussi taux de transformation) dépassant 98% en 2018, les banques peuvent faire appel à d’autres ressources sur le marché.

C’est ce qu’elles font de plus en plus ! A en croire les données de Bank Al-Maghrib, les dépôts collectés auprès de la clientèle contribuent, en effet, pour près de deux tiers à la croissance des ressources bancaires. Dans cette configuration, les ressources sous forme de fonds propres et de dettes obligataires se sont renforcées.

«La structure des ressources, tout en restant globalement stable, a été marquée par une montée de la dette obligataire dont l’encours a augmenté de 14,2% à 100 milliards de DH dont près de 60% constitués de titres de créances émis et le reste de dettes subordonnées», explique une source à la banque centrale.
Aussi, les banques ont eu recours, sur les deux dernières années, de manière accrue aux avances de Bank Al-Maghrib, sous l’effet d’un resserrement de la liquidité bancaire en dirhams, consécutif à une augmentation des avoirs bancaires en devises à l’aune de la flexibilisation du régime de change. «Cette évolution fait suite à l’acquisition par les banques de devises en lien avec des opérations de couverture du risque de change de la clientèle», explique-t-on à BAM. Le montant moyen des interventions de la banque a atteint 50 milliards, contre 20 milliards auparavant. Ces avances sont constituées dans la majorité d’avances à 7 jours et dans une moindre mesure de prêts garantis accordés dans le cadre du programme de refinancement des TPME. «Mais cette situation s’estompe graduellement avec le retour de la liquidité sur le marché», indique l’économiste (voir encadré).

La dette interbancaire semble pour sa part régresser quoique à un rythme moindre, avec un taux de 3,6%, reflétant une baisse de 3,8% des valeurs données en pension et de 0,8% des emprunts de trésorerie et une hausse de 22,5% des emprunts financiers. Les emprunts auprès des établissements de crédit à l’étranger ont fortement fléchi de 40,2% à 13,9 milliards de DH, en lien avec la position longue en devises des banques marocaines.

Les banques confrontées à l’inadéquation de maturités entre ressources et emplois

Si les données sectorielles démontrent un coefficient d’emploi d’environ 98%, il y a des banques dont le ratio de transformation dépasse les 100%. Pour ces entités, la demande de crédits a été satisfaite dans une mesure plus importante que les dépôts collectés. «Pour plusieurs établissements dans ce cas de figure, les activités en Afrique ont consommé de manière substantielle les ressources les poussant à aller se financer sur le marché obligataire», explique M.Adel.

C’est le cas, par exemple, de BMCE bank of Africa qui a annoncé un nouveau plan stratégique étalé sur la période 2019-2021 axé essentiellement sur le renforcement des fonds propres. La banque prévoit un plan de financement d’un montant de 5 milliards de DH. Ces ressources seront mobilisées à travers une augmentation de capital de 900 MDH par conversion optionnelle des dividendes de l’exercice 2018 et le renouvellement de cette opération pour l’exercice prochain du même montant. A cela s’ajoute une autre augmentation de capital par appel public à l’épargne de 1 milliard de DH. De plus, le groupe bancaire, très actif en Afrique, devra bientôt accueillir un nouvel actionnaire étranger dans le tour de table. Ce dernier devrait apporter 200 millions de dollars. La banque compte aussi procéder à l’émission de dette subordonnée avec clause d’absorption des pertes et à une augmentation de capital réservée aux salariés du groupe de 1 milliard de DH. En principe, ces opérations devraient contribuer à faire face au développement organique du groupe bancaire et au resserrement des fonds propres, en raison des changements réglementaires (voir encadré). D’autres établissements, avant BMCE BOA, ont levé des fonds sous forme de certificat de dépôt et de dette subordonnée.

Cela dit, la Direction de la supervision bancaire fait observer qu’«en dépit des mesures prises pour renforcer leur gestion Actif-passif, les banques demeurent confrontées au défi de la mobilisation de ressources diversifiées et mieux adossées aux emplois pour lesquels il est observé un allongement des maturités».
Ces derniers sont, en effet, constitués à hauteur de près de 45% d’emplois à court terme et 55% à moyen et long terme, alors que les ressources des banques sont composées à hauteur de 59% de ressources sans échéance, 20% de ressources à court terme, et 21% de ressources à moyen et long terme (voir encadré).

Dans cette configuration, les banquiers commencent à réfléchir à des ressources alternatives moins chères, par exemple les lignes de financement des organismes internationaux données à des taux préférentiels, qui peuvent faire redémarrer la machine du crédit et rendent la politique des banques plus volontaristes en matière d’octroi. Evidemment, en attendant des meilleurs jours pour une dynamique économique plus vigoureuse.

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[tab title=”Les dépôts non rémunérés représentent le gros des ressources des banques” id=””]Selon BAM, les dépôts à vue se sont améliorés de 8,3%, à 553,3 milliards de DH, et les dépôts sous forme de comptes d’épargne ont augmenté de 5,4 %, à 153,4 milliards. A l’inverse, les dépôts à terme ont accusé une contraction de 2,2%, à 168,2 milliards, observée tant au niveau des entreprises que des particuliers en relation avec les niveaux bas des taux de rémunération. Les autres dépôts, constitués essentiellement de valeurs données en pension à caractère volatil ont progressé de 4,2%, ressortant à 26,5 milliards. En conséquence, les dépôts à terme ont vu leur poids de nouveau baisser à 18,7%, en faveur des dépôts à vue dont la part s’est renforcée à 61,4%, celle des comptes d’épargne s’étant maintenue à 17%.
Par agent économique, les dépôts des particuliers résidents ont enregistré une hausse de 6,4% à 452,5 milliards de dirhams. Parallèlement, la hausse des dépôts des Marocains résidant à l’étranger (MRE) s’est légèrement atténuée de 5,5% à 5,1% pour totaliser 181,6 milliards de DH.[/tab]
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[tab title=”De nouveaux ratios prudentiels pour les ressources des banques en 2019″ id=””]BAM va surveiller cette année la mise en place graduelle de deux ratios réglementaires qui touchent les ressources.

• Le Ratio de levier

C’est un nouveau filet de sécurité pour les banques. A la différence du ratio de solvabilité, son calcul se base sur l’ensemble des engagements (bilan et hors bilan). Fixé à 3%, il permet de limiter la part des actifs de la banque qui est financée par la dette. Autrement dit, une banque ne peut pas engager plus de 33 fois ses fonds propres. Ainsi, plus le ratio de levier est élevé, moins la part de la dette dans le financement des actifs (prêts, actions, obligations, instruments dérivés, etc.) de la banque est importante. Inversement, plus il est bas, moins la part de fonds propres dans le financement des actifs de la banque est élevée.
La finalité de ce ratio est surtout l’instauration d’un plancher qui vise à limiter l’effet de levier. Ce dispositif obligera donc les banques marocaines à poursuivre le pilotage de leurs fonds propres, alors que ces dernières surveillent déjà leurs risques pondérés et leur liquidité à court terme, via le ratio LCR.

• Le Ratio NFSR

Si le LCR a pour but d’éviter des crises de liquidité à court terme, le NSFR (Net Stable Funding Ratio), lui, est un ratio structurel de liquidité à long terme. La définition donnée par la BRI à ce ratio est la suivante: “Le NSFR correspond au montant du financement stable disponible rapporté au montant du financement stable exigé. Ce ratio devrait, en permanence, être au moins égal à 100 %. Le «financement stable disponible» désigne la part des fonds propres et des passifs censée être fiable à l’horizon temporel pris en compte aux fins du NSFR, à savoir jusqu’à 1 an. Le montant du financement stable exigé d’un établissement est fonction des caractéristiques de liquidité et de la durée résiduelle des divers actifs qu’il détient et de celles de ses positions de hors-bilan.”
En clair, ce ratio de liquidité, déterminé à long terme, restreint les financements longs des banques aux ressources longues dont elles disposent. Son respect va contraindre les banques à détenir davantage de ressources longues en face de leurs emplois longs, ce qui va à l’encontre du métier traditionnel du banquier (transformation bancaire), consistant à prêter à long terme et se refinancer à court terme.[/tab]
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[tab title=”Les facteurs du risque de liquidité ” id=””]Le risque de liquidité est appréhendé à travers deux familles de déterminants :

• Facteurs externes : risques systémique (crise de confiance et contagion) ; environnement (politique, réglementaire, juridique,…) et FALB ou les facteurs autonomes de la liquidité bancaire (réserves en devises, interventions du Trésor, politique monétaire et monnaie fiduciaire);

• Facteurs internes : dispositif de gestion des risques bancaires (crédit, taux, change, marché, opérationnel) et dispositif de gestion du risque de liquidité (transformation, actifs liquides).

Les banques affichent par ailleurs un coefficient de liquidité à court terme de 152%, contre 143% en 2016, témoignant d’une situation de liquidité excédentaire, en lien justement avec l’évolution modérée du crédit bancaire.[/tab]
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