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Affaires

Crédit jeunes promoteurs : les 750 MDH d’impayés qui embarrassent l’Etat

Sur 10 400 prêts accordés, 2 300 sont en situation de contentieux.
La Banque populaire somme les débiteurs de s’acquitter de leurs dettes
dans un délai de 90 jours.

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Les jeunes promoteurs qui ont du mal à rembourser leurs dettes sont terrorisés par l’idée d’aller en prison. Et leur crainte est fondée. En effet, lorsqu’il s’agit du recouvrement de la part de l’Etat (45 % du montant des concours) dans les prêts qui leur ont été accordés, le percepteur a la latitude de décider de la saisie des biens du débiteur et/ou de recourir à la contrainte par corps, si besoin est.
A côté de cela, le Crédit populaire du Maroc, la banque qui s’est le plus impliquée dans cette opération, a adressé, en février 2004, un courrier aux détenteurs de crédits jeunes promoteurs en situation de contentieux, les sommant de régler leurs dettes dans les 90 jours et ce conformément à une circulaire du ministère des Finances datée de novembre 2003.
Une initiative qui fait sortir Mouncef Kettani, président de l’Union PME/PMI et jeunes entrepreneurs du Maroc, de ses gonds. Il la juge inappropriée, surtout qu’elle est dirigée contre cette population d’entrepreneurs. Il considère la polémique actuelle comme une dramatisation de la situation d’endettement des jeunes entrepreneurs. «Les dernières statistiques disponibles, soit celles de fin 1999, montrent que les dossiers contentieux sont au nombre de 2 300 sur un total de crédits jeunes promoteurs accordés de 10 400, soit 20 %, sur 14 ans, donc moins de 2 % par an», souligne M. Kettani. Ces statistiques sont d’ailleurs confirmées par la direction du Trésor et des Finances extérieures, qui chiffre le nombre de dossiers en contentieux à 2 200, pour un montant d’impayés de 750 MDH en principal et intérêts. Ce montant comprend les parts des banques et de l’Etat.

Examen au cas par cas des dossiers

M. Kettani s’interroge sur les raisons qui poussent l’Administration à mettre en avant les échecs plutôt que les réussites, sachant que la mortalité des jeunes entreprises est élevée partout dans le monde. Elle atteint, à titre d’exemple, 50 % sur trois ans en France.
Dans cet ordre d’idées, les jeunes promoteurs déplorent le fait d’être traités de clients «de mauvaise foi» dans la circulaire du ministère des Finances adressée aux banques. «Nous ne voulons pas nous soustraire à nos obligations, mais il faudrait négocier des conditions viables pour honorer nos engagements. Cette attitude n’encourage pas les professions libérales à exercer dans leur pays», explique un groupe de jeunes médecins (voir encadré).
A la circulaire du ministère des Finances, il est aussi reproché de vouloir résoudre les créances en souffrance des crédits jeunes promoteurs de façon transversale, sans se soucier des difficultés inhérentes à chaque secteur.
Enfin, M. Kettani rappelle que l’Union des PME/PMI avait fait des observations sur l’ancienne formule du crédit jeunes promoteurs, entre autres sur l’inadaptation de la forme juridique proposée. En effet, dans cette formule, l’entreprise devait demeurer une société de personnes pendant toute la durée du crédit. Elle avait également relevé l’absence d’outils d’accompagnement et de conseil, et l’inexistence de crédits de fonctionnement. A ces problèmes s’ajoutent naturellement les difficultés inhérentes à l’acte d’entreprendre lui-même.
Comme voie de sortie de crise, l’Union des PME/PMI suggère la création d’une commission interministérielle, souveraine dans ses décisions, en vue de traiter au cas par cas les dossiers litigieux. Cette démarche avait d’ailleurs commencé en 2001-2002, lorsque Abdelkrim Benatik était secrétaire d’Etat chargé de la PME. Trois réunions avaient alors eu lieu, dont deux portant sur le secteur de la santé et une sur le secteur de l’agriculture, dont les promoteurs sont des lauréats de l’Institut agronomique. Mais ces réunions avaient été interrompues après le départ du ministre concerné. Aujourd’hui, le problème reste entier et, vraisemblablement, l’Etat n’a pas de solution.


La circulaire de la discorde
Malgré le tollé qu’elle a suscité, la circulaire du ministère des Finances est présentée par ses rédacteurs comme un outil d’accompagnement des jeunes promoteurs en difficulté. Le courrier adressé aux banques propose trois solutions. La première prévoit une prolongation de la durée de remboursement sans que celle-ci n’excède 15 ans, et sans aucun abandon de dette pour les promoteurs qui rencontrent des difficultés de remboursement en raison de l’inadéquation entre le montant de leurs échéances et leur capacité de remboursement.
La deuxième suggestion concerne les jeunes promoteurs qui optent pour un règlement immédiat de la totalité de la dette pour un solde de tout compte. A ces derniers, il est proposé une réduction des intérêts de retard à 2%, sans qu’il puisse y avoir aucun abandon des échéances initiales, principal et intérêts.
Enfin, il est programmé un recouvrement contentieux pour les promoteurs qualifiés de mauvais foi ou ayant cessé toute activité.


17 mois pour rééchelonner un crédit !
Lasituation de blocage à laquelle sont confrontés certains jeunes promoteurs n’est pas seulement due à un investissement dans un secteur sinistré, à un dossier mal ficelé ou à une mauvaise gestion. Les banques, qui ne maîtrisaient pas ce type de crédit, ont concouru au pourrissement de la situation dans certains cas. M.B., médecin spécialiste raconte : «Nous avons décidé, ma femme et moi, de revenir au Maroc pour créer un cabinet médical, après avoir achevé nos études en France. Nous avons eu la malchance de nous adresser à une banque non spécialisée dans ce type de crédit. Celle-ci nous a tout d’abord débloqué un crédit relais, en attendant la mise en place du crédit jeunes promoteurs sans que nous soyons réellement au fait des conditions d’octroi. Par exemple, le taux d’intérêt étaient de 12 % hors taxes. Le crédit jeunes promoteurs, a été débloqué une année plus tard, soit en 1996.
Le quart de million de DH emprunté a été utilisé pour l’achat du pas-de-porte du cabinet, et le tiers pour l’aménagement de ce dernier. Puis, les échéances ont commencé à tomber. Elles représentaient une traite mensuelle équivalant à 12 000 DH.
Vu les difficultés dans le domaine de la santé, l’absence de couverture médicale généralisée ou encore la concurrence déloyale des polycliniques de la CNSS, le chiffre d’affaires mensuel ne nous a plus permis, à partir de juin 1999, de continuer à honorer nos engagements vis-à-vis de la banque.
Nous avons alors sollicité un rééchelonnement, à la fin 1999. La banque a demandé un délai pour étudier le dossier. Après 17 mois de réflexion, ponctués de demandes à n’en plus finir et de va-et-vient incessants, la banque nous a répondu que le rééchelonnement ne pouvait pas concerner «la part Etat» mais uniquement la part banque. Parallèlement, les échéances se sont accumulées, les intérêts de retards avec.» C’est un comble que de vouloir s’acquitter de ses dettes et que la bureaucratie ou l’ignorance bancaire vous enfoncent davantage.