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Affaires

Contrefaçon : les vérités que l’on ignore

Envahi par les produits asiatiques, le Maroc est importateur d’articles
contrefaits plutôt que producteur.
Depuis 1988, 41 décisions judiciaires relatives à la contrefaçon
ont été rendues.
La faiblesse des frais de justice expliquerait le nombre des litiges portés
devant les tribunaux.

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«Au profit de la société Kenzo, société de droit français, contre la société Euro Jeanes, le tribunal de commerce de Casablanca déclare la requête recevable et demande, en vertu d’un jugement rendu le 17 mars 2004, que le défendeur arrête de vendre et d’exposer tous les produits contrefaits, ceux de la demanderesse, sous peine d’une amende comminatoire de 300 DH par jour de retard d’exécution». De pareilles publications judiciaires, on en voit de plus en plus dans les journaux marocains. Et depuis 1998, 41 décisions judiciaires relatives à la contrefaçon ont été rendues par les différentes juridictions du pays. Provenant, pour la grande majorité, des tribunaux de commerce, ces décisions se rapportent à des litiges opposant des marques à des commerçants.
Dans un souci de protection et de sensibilisation et pour mettre ces décisions à la portée du public, l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC) a d’ailleurs élaboré un recueil de jurisprudence nationale en matière de propriété industrielle.
Partant de ces faits, il est utile de s’interroger sur l’ampleur de la contrefaçon au Maroc. Vu la nature de cette activité et l’impossibilité d’en maîtriser les circuits, il est difficile d’avancer des chiffres exacts ou même des estimations. L’on se heurte aux mêmes difficultés au niveau mondial. Les études menées au niveau international avancent que le marché des produits contrefaits représente 7 % de l’ensemble du commerce, soit 300 milliards d’euros (3 000 milliards de DH) par an de manque à gagner. Tout aussi impressionnantes, les pertes d’emplois occasionnées par ce phénomène avoisineraient les 200 000 annuellement. Jouets, habits, montres, logiciels, cartes de crédits… Aucune activité économique n’est épargnée par la contrefaçon. Profitant de la libéralisation des échanges, celle-ci connaît une importante croissance pour s’étendre même à certains secteurs vitaux. En effet, si, durant les années quatre-vingt, la contrefaçon touchait uniquement les produits de luxe, aujourd’hui elle touche aussi des secteurs vitaux, notamment l’industrie pharmaceutique. Selon certains chiffres avancés par des études et repris par l’OMPIC, au moins 7 % des médicaments vendus dans le monde sont contrefaits. Dans certains pays d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Asie, ce pourcentage est plus important et atteindrait même 30 %. Dans ces pays-là, la contrefaçon est le fait de structures organisées qui ont vu le jour grâce à de gros investissements.
La contrefaçon marocaine demeure artisanale
C’est ce qui fait dire à Mehdi Salmouni-Zerhouni, conseil en propriété industrielle et juridique, que le «Maroc n’est pas un pays contrefacteur», et le qualifie plutôt d’«importateur de produits contrefaits provenant de Chine et de Taïwan». Expliquant son point de vue, M.Salmouni-Zerhouni précise : «Le Maroc n’échappe certes pas au phénomène, mais celui-ci ne revêt pas la même importance que dans les pays asiatiques». Il explique que le pays «ne dispose ni des mêmes structures ni des mêmes investissements et que la contrefaçon reste artisanale et le plus souvent constitue une activité de survie pour certaines personnes». Comment expliquer alors le nombre des actions intentées en justice par les grandes marques ?
Selon Mehdi Salmouni-Zerhouni, «le Maroc se trouve au milieu des circuits de contrefaçon car, d’une part, il est envahi par les articles contrefaits en Asie, et, d’autre part, les grandes marques viennent y intenter des procès, car il y est plus facile d’attaquer des commerçants alors que les véritables contrefacteurs sont ailleurs, notamment dans les pays asiatiques». Et de préciser que la facilité des procédures judiciaires réside essentiellement dans la faiblesse des frais de justice au Maroc. A titre comparatif, un acte d’huissier au Maroc est fixé entre 20 et 40 DH alors qu’en France il est de l’ordre de
2 400 DH (240 euros). Autre exemple significatif : le coût d’une expertise, ordonnée d’office par le tribunal, ou le plus souvent demandée par la marque, varie entre 2 000 et 5 000 DH alors qu’il peut aller de 10 000 DH en Allemagne à 16 000 DH en France, sans compter les honoraires des avocats qui font, à leur tour, toute la différence. Il est donc compréhensible que les grandes marques viennent, le plus souvent, attaquer en territoire marocain.
Faut-il croire qu’au Maroc, et ceci en raison de la modicité des frais de justice, il y a un abus de recours à la justice de la part des marques ? Il est difficile de donner une réponse catégorique. Ce qui est sûr, et plusieurs avocats s’accordent à l’affirmer, c’est que le Maroc n’est pas, contrairement à ce que l’on peut croire, le berceau de la contrefaçon

«Le Maroc se trouve au centre des circuits de contrefaçon. D’une part, il est envahi par les articles contrefaits en Asie, d’autre part, les grandes marques viennent y intenter des procès, car il est plus facile d’y attaquer
des commerçants marocains».