Affaires
Compensation : réduire, mais continuer à soutenir
La grande réforme, devant aboutir à la suppression du soutien des prix, n’aura pas lieu : trop de ménages menacés de passer sous le seuil de la pauvreté. Des solutions pour réduire la charge de compensation et des mesures pour récupérer une partie des subventions indues. Tout cela suffira-t-il pour baisser l’enveloppe de la compensation ?
La compensation : voilà un sujet qui s’obstine à occuper le devant de l’actualité, en particulier avec la flambée des matières premières concernées par le soutien des prix. L’enveloppe budgétaire dédiée à ce poste de dépense a connu une telle croissance (elle devrait atteindre entre 42 et 45 milliards de DH cette année) que la réforme du système est jugée incontournable. Tout le problème est de savoir comment s’y prendre : faut-il tout démanteler, décompenser certains produits seulement, ou alors laisser le système tel qu’il est, c’est-à-dire universel, mais en demandant aux «indus» bénéficiaires de restituer au moins une partie de ce qu’ils ont reçu ?
Dans tous les cas il faut agir, sous peine de passer «de la régulation des prix à l’endettement étatique». C’était le thème de la rencontre débat, organisée, jeudi 6 octobre par La Vie éco et à laquelle ont pris part Nizar Baraka, ministre des affaires économiques et générales, Najib Benamour, directeur de la Caisse de compensation, Eric Gosse et Abdellatif Izem, représentants respectifs du groupement des pétroliers du Maroc (GPM) et de la Fédération nationale des minotiers (FNM), et le coordinateur du rapport sur la réforme du système de compensation, Noureddine El Aoufi, président de l’Association marocaine des sciences économiques.
700 000 pauvres de plus sans les subventions
De ce débat, il ressort, grosso modo, que le soutien aux cinq produits que sont le gasoil, le fioul, le gaz butane, le sucre et la farine, ne pourra être supprimé dans l’immédiat ni même dans un horizon de moyen terme. Il participe de la solidarité nationale et sa disparition risquerait d’avoir un impact négatif important. Ainsi, selon les chiffres mis en avant par Nizar Baraka, sans les subventions, le taux de pauvreté aurait été de 11,3% au lieu de 8,9%, ce qui augmenterait la population vivant en deçà du seuil de pauvreté de 700 000 individus. A elle seule, la hausse des prix des produits alimentaires actuellement subventionnés (farine et sucre) induirait un déplacement de 4% des individus vulnérables vers la classe «des pauvres», soit quelque 214 000 individus. Il reste que les 20% de la population les plus riches «captent» 42% des subventions ; et les 20% les plus pauvres, seulement 7%.
Conclusion du ministre, la mise du système de compensation gagnerait à être corrigée pour que les subventions atteignent plus substantiellement celles auxquelles elles sont destinées. Comment ? Plusieurs pistes sont possibles, et même envisageables.
D’abord, diminuer la subvention accordée à l’industrie et notamment le fioul : ce produit étant utilisé dans des activités commerciales et industrielles, c’est «une aberration» que l’Etat le soutienne, qui plus est à un niveau très élevé, il sera donc progressivement décompensé (voir article en page 18). Le montant de l’enveloppe cette année est estimé pour ce produit à 7 milliards de DH. Pour le directeur de la Caisse de compensation, en revanche, il faudrait tout simplement supprimer la subvention sur le fioul, y compris pour le fioul ONE. Najib Benamour estime en effet que si l’Etat juge nécessaire d’aider cet organisme, il peut tout à fait le faire au moyen d’une dotation budgétaire
Seulement 9% de la subvention du gasoil profite au transport individuel
S’agissant de l’essence super, la même démarche de décompensation progressive est préconisée, sans trop de précision toutefois. Autre piste de réforme : cibler les produits du sucre à compenser. Aujourd’hui, toutes les catégories de sucre sont subventionnées (entre 3 et 4 milliards en tout, cette année) ! Par exemple, libérer le prix du sucre en morceau, qui est un produit plutôt consommé par les classes aisées ou moyennes supérieures, est tout à fait envisageable. Dans le même ordre d’idées, depuis 2008, la farine nationale de blé tendre, subventionnée à hauteur de 2 DH par kg, a été réorientée vers les zones qui ont en réellement besoin, celles présentant les taux de vulnérabilité les plus élevés, avec le marquage des prix sur les sacs.
Pour le gasoil, qui absorbe la part la plus importante des subventions (entre 19 et 20 milliards cette année, selon Najib Benamour), les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît. Le ministre des affaires économiques et générales, Nizar Baraka, s’appuyant sur une étude réalisée par son département, a ainsi tenu à battre en brèche un certain nombre d’«idées reçues», vite brandies toutes les fois qu’il s’agit de parler de la compensation. Sur le point précis de la subvention du gasoil (y compris le gasoil de pêche), le ministre a révélé que 72% de l’enveloppe dédiée au gasoil profite au secteur du transport. Et, plus important, le transport en commun et de marchandises profite de plus de 90% de l’enveloppe dédiée au secteur du transport. Autrement dit, le transport de tourisme ou individuel ne bénéficie «que» de 9% des subventions. A partir de là, le calcul est pour ainsi dire simple : si la vérité des prix était appliquée à ce produit (le gasoil), le prix du ticket de transport en commun, pour prendre seulement cet exemple, aurait augmenté de 1 DH d’un seul coup. C’est une lourde responsabilité qu’il est difficile d’assumer, en par ticulier dans la conjoncture actuelle. Mais, jusqu’à quand ? La question vaut la peine d’être posée et Eric Gosse, le président du GPM, s’il refuse d’intervenir dans le débat politique, indique en homme du métier que les simulations faites par le groupe Total, dont il préside la filiale marocaine, ne plaident pas en faveur d’un assagissement des cours du baril de Brent qui tourneraient toujours aux alentours de 100 dollars pour les trois prochaines années.
Enfin, pour le gaz butane, dont la bouteille de 12 kg coûte 40 DH au lieu de 120, il paraît là encore difficile d’envisager une hausse. Selon les enquêtes effectuées par le ministère, même une hausse de 5 DH est difficilement acceptée. Un état d’esprit sans doute dû au fait que le prix de la bonbonne de gaz n’a pas changé depuis 15 ans !
Plus de taxes pour continuer à dépenser plus ?
Plus généralement, Nizar Baraka considère, sur la base des résultats d’une enquête effectuée auprès de 1 600 ménages, que la compensation, en réalité, profite d’abord aux classes moyennes, ensuite aux riches et, en dernier lieu, aux pauvres. Le défi est donc de maintenir la subvention pour les classes moyennes pour leur éviter de tomber dans la pauvreté, d’un côté, et de retirer une partie au moins de la subvention aux riches pour la transférer (moyennant les opérations de ciblages) vers les plus démunis. Ce schéma de réforme de la compensation, on en trouve déjà les éléments dans le projet de Loi de finances 2012, comme la hausse des taxes pour les “riches” à travers l’augmentation de la vignette et des droits d’enregistrement, l’augmentation de la taxe sur le ciment, le prélèvement d’un pourcentage sur les résultats des banques et assurances, l’augmentation du tarif du kWt pour la tranche de consommation d’électricité supérieure à 400 kWt, etc. Il s’agit, par ces mesures, de récupérer tout ou partie de la subvention dont ces catégories de populations ont bénéficié. On le trouve aussi à travers les programmes Tayssir (scolarité contre aide directe) et Innaya (prise en charge des soins sociaux) dont bénéficient les populations pauvres. L’idée est, selon le ministre, de réduire le cycle intergénérationnel de la pauvreté qui fait que les enfants de pauvres ont aujourd’hui de fortes chances de le devenir à leur tour. Un point de vue que partage Nouredine El Aoufi, qui estime même que le système de compensation, par son rôle de stabilisateur social, présente plus de vertus qu’on ne le pense.
Reste à savoir ce que toutes ces mesures permettraient de réduire dans l’enveloppe de compensation et est-ce qu’elles seront suffisantes pour ramener la charge du soutien des prix à l’objectif visé de 3% du PIB. Une préoccupation à laquelle nous n’avons pas eu de réponse.
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