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Affaires

Commerce équitable : le Maroc produit mais ne consomme pas encore

L’essentiel des recettes se fait à  l’export, le marché local est encore très étroit.
Les grandes surfaces impliquées dans l’essor de ce mode de consommation.
La création label marocain et d’un organisme certificateur est à  l’étude.

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De l’huile d’argan, du safran, de l’eau de rose, de l’huile d’olive… Autant de produits locaux qui peuvent être vendus à un prix juste, c’est-à-dire un prix qui tienne compte des conditions de travail des producteurs. Le concept de commerce équitable, comme il a été baptisé, fait déjà fureur sur les étals des grandes et moyennes surfaces (GMS) européennes ou sur le Net. Rien qu’en France, le chiffre d’affaires dépasse 240 millions d’euros (2,7 milliards de DH). Qu’en est-il au Maroc ? Les consommateurs marocains auraient-ils l’esprit du «capitalisme compassionnel» ?
La participation du Maroc dans le commerce équitable tend à se diversifier ces dernières années. Le pays est d’abord un fournisseur habituel de matières premières qui entrent dans la composition des produits cosmétiques et alimentaires. C’est dans ce contexte qu’a été créée en 2004 la plateforme marocaine du commerce équitable (PMCE), une association à but non lucratif qui ambitionne de développer les filières du commerce équitable au Maroc. Elle se veut également une plate-forme de rencontres et d’échanges entre les acteurs du commerce équitable au Maroc et à l’étranger. A l’image d’Abdelhay Ben Messaoud, un MRE fondateur de Scenethik basé à Villeneuve D’Ascq (voir encadré) et membre de la PMCE.
Mais comme l’explique Banacer Himmi, président de la PMCE, le Maroc doit approfondir sa démarche. Il préconise ainsi la fabrication sur place de produits finis plutôt que la seule exportation de matières premières. Une façon d’optimiser les bénéfices du commerce équitable en matière d’emploi au niveau local.
Loin d’être la panacée, le commerce équitable a tendance à rendre dépendantes de la consommation du Nord des populations du Sud. D’où l’importance de consommer local.

Un marché local très timide
A l’occasion de la première édition du Salon international de l’économie sociale et solidaire qui s’était tenu en juin 2008 à Casablanca, une convention de partenariat entre les GMS et le ministère des affaires économiques et générales à travers la direction de l’économie sociale a été signée. L’objectif était d’accompagner une cinquantaine de producteurs locaux, constitués en Groupement d’intérêt économique (GIE), et de les préparer à la mise en vente de produits «Economie sociale et solidaire» (ECOSS) dans les GMS marocaines. Une quarantaine d’intervenants participent à l’initiative, notamment Label’Vie, Marjane et Aswak Assalam, l’Agence de développement social (ADS), les collectivités locales et l’Office du développement et de la coopération (ODCO).
Néanmoins, depuis la signature, seul Label’Vie a pris le risque de proposer près de 150 produits alimentaires issus du commerce équitable sur un stand dédié au magasin Carrefour de Salé. «Il s’agit d’une opération de pure bienfaisance. Nous avons fait des efforts avec les producteurs et leur avons accordé des offres avantageuses au niveau de la logistique et de la formation», confie Riad Laissaoui, dg adjoint du groupe Label’Vie. Cette phase pilote prévoit l’intégration progressive des produits «ECOSS» parmi les produits traditionnels. Mais l’attention du client est moins captée et les produits se vendent difficilement. «La mise en avant est un atout majeur pour l’écoulement de tels produits», confirme M. Laissaoui. C’est au GIE de faire la promotion de ces produits.
In fine, plusieurs produits devraient être proposés, l’idée étant d’élargir à d’autres types de produits une fois que les produits alimentaires attireront les clients dans les rayons habituels. Dans l’immédiat, ce mode de consommation trouve difficilement son public.

Les quantités proposées sont encore faibles
Toute une étape de sensibilisation, de communication et d’enquête auprès des consommateurs doit être menée afin de capter l’attention du consommateur marocain.
Par ailleurs, l’absence de données statistiques sur la question complique l’activité. La PMCE, simple association, ne recense pas les chiffres de ses membres. Il est donc très difficile, voire impossible, d’estimer l’apport du commerce équitable aux producteurs marocains. Tout comme il est impossible de connaître le chiffre d’affaires ou les quantités exportées et vendues au Maroc et à l’étranger. Un manque dont les organismes publics ont pris conscience. C’est pourquoi une étude est actuellement menée par la direction de l’économie sociale, au sein du ministère des affaires économiques et générales, afin d’effectuer un bilan sur la situation du secteur au Maroc.
De même, la PMCE a noué un partenariat avec l’Ecole nationale de commerce et de gestion (ENCG) d’Agadir pour développer des sujets de thèses relatifs à ce domaine.
L’une des difficultés également signalées par le DG adjoint du groupe Label’Vie tient à la gestion. Les professionnels s’accordent en effet à dire que le commerce équitable doit s’accompagner de régularité, de suivi de la production et de solutions logistiques adéquates. Pour ce faire, les petits producteurs constitués en GIE sont assistés par des experts comptables et des formations leur sont offertes par les délégations régionales de l’ADS et de l’ODCO.
Au fur et à mesure des mises à niveau, d’autres producteurs sont invités à rejoindre le groupement.
D’autres problématiques restent également à résoudre. Il en est ainsi de la disponibilité nationale des produits. Il y en a que l’on ne trouve que dans quelques régions. Il s’agit alors de faire un effort de production pour proposer des quantités plus importantes à offrir sur l’ensemble du réseau des GMS.
Vient enfin la problématique du prix. Aujourd’hui, un produit issu du commerce équitable coûte de 20 à 100% plus cher qu’un produit conventionnel. D’où des difficultés à attirer le consommateur classique plus enclin à rechercher le meilleur rapport qualité/prix.

La création d’un label en cours de réflexion
Pour développer ce créneau, la direction de l’économie sociale réfléchit à la possibilité de créer un label officiel. Si le principe de certification est entériné, les producteurs devront participer au lourd investissement que cela engendre, avec la création d’un organisme certificateur compétent. Notez que la certification doit répondre à un cahier des charges figé.
En l’absence de label, il est difficile de vérifier l’origine d’un produit qui s’auto-qualifie de «commerce équitable». La PMCE a donc rédigé une charte qui permet de répondre à certains critères comme l’équité dans les termes de la relation commerciale, en particulier du prix, l’exigence sur les conditions de travail ou encore le respect de l’environnement. Quant à M. Ben Messaoud de Scenethik, il coopère directement avec son unique producteur, l’Association féminine de développement de la famille (AFDF) constituée par une cinquantaine de femmes dans la région de Boumalen Dadès (entre Ouarzazate et Errachidia), et s’assure lui-même de l’origine des produits. Et lui aussi prône la mise en place de labels officiels, garants d’après lui d’une meilleure transparence que les labels privés comme AlterEco et Max Havelaar.