Affaires
Commerce de gros : les affaires reprennent, mais pas pour tout le monde
Signe de reprise, la demande de cartons utilisés ou revendus par les commerçants de gros est en hausse de 3 à 4%. Même si la demande est cyclique pour certains produits, la tendance générale est à la hausse.

Aux abords de Derb Omar, des camions chargent et d’autres déchargent. Les magasins ne désemplissent pas. Commerçants et clients marchandent durement. La même effervescence est observée un peu plus loin, à Derb Ghalef, Souk Korea et Garage Allal. Dans ces marchés de gros, les affaires ont repris. Du moins, c’est l’impression qui se dégage ! «Nous avons dépassé le marasme des deux dernières années. Bien qu’elle ne soit pas exceptionnelle, la demande revient doucement», acquiesce un grossiste, également président d’une association de commerçants affiliée à la Chambre de commerce, d’industrie et de services de Casablanca. Ce constat est confirmé par d’autres acteurs. Selon Mounir El Bari, directeur général de GPC, la demande de cartons, notamment les «caisses américaines», spécialement utilisées ou revendues par les commerçants de gros, est en hausse de 3 à 4% sur l’année. Ce qui dénote d’une amélioration de l’activité de gros.
Un bémol est cependant apporté par le directeur d’une agence bancaire de la rue Karachi. Il parle certes d’un léger regain de dynamisme chez plusieurs grossistes, mais ces derniers n’arrivent pas à retrouver leur niveau d’activité d’antan. Autre phénonème, «nous constatons que l’activité est de plus en plus cyclique. Plusieurs grossistes et semi-grossistes se battent encore pour se remettre des difficultés du ralentissement économique qui touche les secteurs avec lesquels ils sont en affaire et pour s’adapter au calendrier annuel où se succèdent les périodes de forte demande que sont Ramadan, l’été, Aïd Al Adha et la rentrée scolaire et celles d’accalmie», explique-t-il. Confirmant les propos de ce banquier, Hammad Kessal, universitaire et patron de Rayane, entité spécialisée dans le négoce de gros de fruits secs, affirme que son activité a progressé vers février-mars par rapport à 2014, pour rechuter quelques mois après. «Cela n’a jamais été aussi cyclique», s’exclame-t-il. Les grossistes des épices et des dattes le savent mieux que quiconque. De leurs propres aveux, après le tassement en début d’année, les affaires ont bien tourné, notamment grâce à Ramadan, la saison des mariages et récemment les festivités d’Aïd Al Adha avant de revenir au calme à la rentrée. Idem pour les marchands de fruits secs qui ont très bien profité de la «haute saison» qui démarre chez eux en mai-juin.
Quant aux grossistes de produits alimentaires, notamment fromages, thé, conserves de fruits et de légumes, riz et jus, ils font état, pour leur majorité, d’une hausse de rythme plus régulière depuis le début de l’année. Pour ces commerçants, la compétitivité des prix des produits importés a aidé à soutenir la demande.
Les marchands de produits d’hygiène corporelle et de produits de beauté ne chôment pas non plus. Leur activité retrouve de la vigueur. L’année en cours est jugée meilleure que la précédente, bien que les prix s’orientent à la baisse en raison de la concurrence de la vente directe qui prend de l’ampleur. Les grossistes de l’habillement ne sont pas non plus mal servis. D’après un grossiste connu à Ain-Sebaâ et qui alimente Derb Omar et Souk Koréa, les ventes se sont appréciées de 30% à fin août.
Ces évolutions de l’activité sont confortées globalement par les chiffres de l’Office des changes. Rien que pour les six premiers mois de l’année, les importations d’épices ont progressé de 52%, à 150 MDH et celles des dattes ont augmenté de 27%, à 790 millions. Les conserves de fruits et de légumes affichent une hausse de 20% (258 MDH). Même trajectoire pour le riz, dont la facture a augmenté de 54%, à 17 MDH, et le thé, en hausse de 7%, à plus d’un milliard de DH. Savons, shampooings et produits de parfumerie ou de toilette sont aussi très demandés : les importations ont totalisé 1,46 milliard de DH, s’accroissant de plus de 10%.
Le circuit de la contrebande continue de prospérer
Le fait révélateur de cette reprise de la demande est que le niveau de la facture tient surtout à l’appréciation des volumes par rapport au premier semestre 2014. Qui plus est, pour toutes ces familles de produits, les chiffres officiels ne reflètent pas la totalité des quantités échangées. En effet, le circuit de la contrebande alimente massivement le marché, même ses petits recoins, et n’épargne aucune activité. Par exemple, pour les dattes et fruits secs, les contrebandiers ont profité de la hausse des prix d’environ 60% cette année pour inonder le marché, selon un grossiste. Aujourd’hui, ces produits se vendent 20 à 25% moins cher que dans le circuit légal. «La différence est au moins égale à la TVA, étant donné que le gros est une filière qui travaille souvent dans le noir et est défiscalisée en aval», relève un producteur local.
Pire encore, une pratique qui se généralise de plus en plus dans le commerce de gros consiste à s’activer dans les deux circuits. «Pour dix tonnes de contrebande, les grossistes achètent une tonne de marchandise conforme, manière de prouver à la clientèle le respect des standards de qualité et de tromper les vérificateurs en montrant des factures de fournisseurs transparents», informe le président de l’association de commerçants. De l’avis d’un producteur local de produits agroalimentaires, sur les trois dernières années, la contrebande n’a jamais été aussi intense et avoir atteint un tel degré inquiétant.
Mais si la demande de biens de consommation courante évolue favorablement, le commerce des appareils électroménagers, des meubles pour maison et des objets de décoration n’est guère florissant. Même avec des baisses de prix intéressantes, la demande est en berne. Selon Hicham Alaoui Bensaid, directeur engagements d’Acmar, le tassement est lié à la baisse des nouvelles unités vendues dans l’immobilier. De plus, avec un pouvoir d’achat qui reste limité, les ménages donnent la priorité aux dépenses courantes. Changer de téléviseur ou de salon peut attendre. M. Bensaid ajoute une autre explication d’ordre psychologique. «En période de crise et d’incertitude, les ménages se détournent des grandes dépenses et préfèrent y substituer de petites expériences de consommation : changer de portable ou acheter de nouveaux vêtements pour revigorer le moral», explique-t-il.
Egalement touchés par le tassement dans l’immobilier, les grossistes de produits céramiques sont en mauvaise posture. Leur activité a fondu de plus de 30% sur une année, d’après quelques commerçants.
Une «centrale des risques» informelle pour éliminer les mauvais payeurs
Reste que tout le marché continue de souffrir de l’allongement des délais de paiement. Selon un banquier, il est de plus en plus courant de rejeter des chèques de gros montants. D’ailleurs, il confie que beaucoup de grossistes n’en émettent plus et fait remarquer que les effets de commerce n’ont plus aucune valeur à part celle juridique d’attester le lien commercial, si la justice est saisie.
Dans ce contexte, le paiement en espèces, en une seule fois pour les nouveaux clients et fractionné sur trois ou quatre fois pour les anciens, devient monnaie courante.
Cela dit, selon des sources à Derb Omar, de grands grossistes profitent du décalage entre les délais fournisseurs et clients pour spéculer sur le foncier ou des appartements. A défaut de dénouer leurs opérations à temps, ils allongent les délais de paiement.
Pour s’adapter à ces turbulences, les grossistes passent dorénavant au peigne fin la clientèle avant de s’engager dans une transaction. Mieux encore, ils ont institué une sorte de «centrale de risque» informelle entre eux pour débusquer les moins scrupuleux et ceux dont l’historique est entaché d’incidents.
