Affaires
Commerçants/Fisc :Ce que craignent les commerçants, ce que répond la DGI
Que reprochent les commerçants au fisc et aux services douaniers ? Leurs craintes sont-elles toutes justifiées? Dans cet entretien avec Khalad Zazou, directeur de la législation à la DGI, la Vie éco revient sur ce sujet, point par point. Décryptage.

La crise, qui s’est enclenchée en ce début d’année par la grève des grossistes de Casablanca le 3 janvier dernier, a pris des proportions importantes et plusieurs associations de commerçants de par le Royaume ont emboîté le pas (Meknès) ou prévoient de le faire… Sous le regard attentif de l’opinion publique et des réseaux sociaux, mais également des pouvoirs publics.
Les reproches des commerçants se dirigent directement vers l’Administration fiscale. Parmi les doléances formulées, l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions fiscales et les pénalités qui vont avec, l’impératif de facturation pour tous, la multiplication des contrôles, etc.
Khalad Zazou, directeur de la Législation, des études et de la coopération internationale à la Direction Générale des Impôts, a clarifié pour La Vie éco certaines zones d’ombre qui ont abouti à ce qui serait selon lui, au fond, un grand malentendu entre les commerçants et l’Administration fiscale.
L’absence de communication ou de vulgarisation de la chose fiscale
« La DGI a été prise de court », nous explique Zazou, qui s’étonne de ce mouvement de grève car selon lui, aucune association professionnelle n’a cherché à contacter l’administration fiscale pour demander des explications ou formuler des doléances, craintes ou appréhensions. La réunion entre la DGI et les commerçants grossistes de Casablanca tenue le 8 janvier dernier a été une première occasion pour les deux parties d’échanger.
La facturation au cœur du quiproquo
Pour dissiper toute incompréhension autour de la facturation, Zazou précise d’emblée qu’aucune mesure fiscale relative à la facturation n’est prévue par la loi de finances 2019. « Du côté fiscal, rien n’a changé. La facture constitue depuis toujours un document commercial. Dans le Code général des impôts, et bien avant lui, elle a été introduite et bien explicitée depuis 1997 dans la loi de finances de l’époque qui stipule que les personnes effectuant les opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée sont tenues de délivrer à leurs acheteurs et aux clients passibles de ladite taxe des factures aux mémoires pré-numérotés et tirés d’une série continue ».
Zazou considère que la facturation est le socle de la transparence. « La facture est un moyen qui consacre cet esprit de transparence, d’équité, d’appartenance et de citoyenneté ».
Cependant, toutes les personnes citées plus haut ne sont pas concernées par la facturation. Les commerçants et prestataires de services forfaitaires ne sont pas dans l’obligation de délivrer des factures. « Est-ce que vous avez déjà reçu une facture de l’épicier du coin? », poursuit notre interlocuteur, « les forfaitaires, ne tenant pas de comptabilité, ne sont pas concernés. Libre à eux de recevoir une facture en contrepartie de leurs achats. Par contre, ceux qui leur délivrent cette même facture sont généralement les grossistes qui brassent un grand chiffre d’affaires leur permettant de tenir une comptabilité ».
Quid du système informatique de la facturation?
Le responsable rappelle que les dernières dispositions en date, introduites par la Loi de Finances 2018, ne font que renforcer la transparence par la reprise de certaines dispositions obligatoires depuis longtemps (l’impératif de la facturation numérotée et en série continue), ou d’autres comme la possession d’un logiciel de facturation et d’un système d’information relié aux serveurs de la DGI.
Dans ce sens, l’article 145 du Code Général des Impôts 2019, relatif à la tenue de la comptabilité, introduit l’impératif de tenir la comptabilité sous format électronique,ou encore l’obligation de détenir une adresse électronique auprès d’un prestataire de service de certification électronique (…) permettant l’échange électronique entre l’administration fiscale et les contribuables.
Zazou explique que primo, « ces mesures sont destinées à une certaine catégorie de contribuables bien structurés ». Deusio, leur mise en application ne s’effectuera pas du jour au lendemain, mais reste conditionnée par un long processus couronné par un décret d’application. « Nous savons pertinemment que le contexte exige d’adopter une approche participative, de se réunir avec les professionnels et de se concerter avec eux autour des différentes dispositions avant d’établir une feuille de route concrète », explique-il.
Des contrôles excessivement rigoureux ?
Autre reproche des représentants des commerçants, observables sur plusieurs tracts circulant sur le net, la multiplicité des contrôles ciblant les dépôts. notre interlocuteur indique que la lutte contre la contrebande a été renforcée, et qu’il n’y a pas lieu pour les commerçants disposant des justificatifs nécessaires de s’inquiéter.
Parmi d’autres complaintes, le spectre de la « révision fiscale » que craignent certains commerçants en reprochant à la DGI de vouloir les asphyxier. Zazou livre cette comparaison : « Quand le gendarme vous arrête pour un contrôle de routine, quand est-ce que vous avez une crainte? Quand vous avez tout en règle et que votre comptabilité est bien tenue, votre scoring est bon dans le système. Ce dernier ne détecte que ceux dont la marge a été déclarée faible par rapport au secteur d’activité. C’est là où la DGI exige des justifications de la part des concernés ».
le Gouvernement intervient pour désamorcer la crise
Le Chef du gouvernement, Saâd Dine El Otmani est intervenu pour rassurer les commerçants. Il a annoncé aujourd’hui « la suspension des dernières mesures relatives au système informatique de facturation », dans l’attente des rencontres prévues entre les départements gouvernementaux concernés et toutes les parties représentant les catégories des commerçants et les professionnels en vue d’examiner les difficultés et de trouver les solutions adéquates.
Dans ce sens, une réunion est prévue lundi 14 prochain entre la DGI, l’Administration des Douanes et Impôts Indirects et les représentants des commerçants, et une autre le 16 janvier au siège du ministère de l’Industrie, de l’Investissement, du Commerce et de l’Economie Numérique.
