Affaires
Comment les Finances ont mis la main sur 2 milliards de DH !
L’Etat a plafonné des fonds d’indemnisation des victimes d’accidents du travail pour récupérer le surplus et l’intégrer au budget.
Cafouillage autour de la gestion de ces fonds.

Après la surprise créée par la réimposition des plus-values sur les valeurs mobilières et celle de la suppression des exonérations de la TVA sur certains produits ou en faveur d’organismes étatiques, la Loi de finances 2006 réserve une troisième surprise. A la lecture de l’article 12, qui plafonne à 1 milliard de DH les fonds de majoration des rentes (850 MDH), de garantie (100 MDH) et de solidarité des employeurs (50 MDH), on ne se doute de rien. Sauf que ces fonds, destinés à l’indemnisation et/ou la valorisation des rentes des victimes d’accidents du travail et des risques non couverts par les assureurs, présentaient un solde d’environ 3 milliards de DH à fin 2005. Le même article autorise donc que «le solde disponible supérieur audit montant [soit] versé au Budget général». Soit 2 milliards de DH que l’argentier du Royaume à récupéré pour équilibrer les comptes de l’année en cours. Et ce n’est pas tout : l’article 19 de la Loi de finances a créé un SEGMA (service d’Etat géré d’une manière autonome) dénommé «Division des accidents du travail» qui bénéficiera, lui, de 6% du solde annuel des fonds avant d’injecter le surplus au Budget.
La CDG perdra 120 MDH de produits financiers
Aussi anecdotique que cela puisse paraître, Mustapha Bakkoury, directeur de la CDG, dépositaire de ces fonds, n’a rien vu venir – au même titre que les parlementaires, les syndicats ou les assureurs -, jusqu’à ce que le Trésor lui réclame le transfert du «butin». Selon des cadres du ministère des Finances qui ont requis l’anonymat, M. Bakkoury a confié à son entourage qu’il aurait pu bloquer la mesure, s’il avait été informé avant la promulgation de la Loi de finances (une information que nous n’avons pas pu recouper). Toujours est-il qu’il a certainement dû être contrarié par cette mesure car «la manne rapportait annuellement à la CDG jusqu’à 120 millions de DH de produits financiers», selon une source au ministère de l’Emploi.
Les fonds en question (qui emploient 400 personnes) sont logés depuis leur création, entre 1927 et 1943, au ministère de l’Emploi, et sont alimentés chaque année par des prélèvements sur les primes d’accidents du travail (AT). Le Fonds de garantie et le Fonds de solidarité ne le sont plus depuis quelques années déjà. Seul le Fonds de majoration des rentes continue de bénéficier, depuis 1986, de 15 à 35% de cette prime. Pour l’année 2005, il devra récupérer (à fin mars) 20 % des 1,25 milliard de DH des primes émises par le secteur. Au titre de l’année 2006, encore, le fonds récupérera 15%.
Selon un responsable au ministère de l’Emploi, «si l’Etat s’est servi dans ce fonds, c’est parce que les réserves mathématiques couvrent convenablement les engagements futurs». Il précise que ces fonds prennent en charge quelque 100 000 rentes des victimes d’AT, totalisant 200 millions de DH. Autre argument avancé : l’Etat reste le garant de la bonne marche de ces entités et peut intervenir à tout moment pour les renflouer. Contacté à ce sujet, le directeur du Budget (ministère des Finances) était toujours injoignable à l’heure où nous mettions sous presse.
Au sein de la Fédération des assureurs (FMSAR), les responsables se demandent si l’Etat a le droit de puiser dans des fonds alimentés par les cotisations du secteur privé.
Aux Finances, des cadres estiment que «ces fonds ont toujours fonctionné de manière opaque». Le responsable du ministère de l’Emploi affirme toutefois que «les trois fonds ont fait l’objet d’un audit en 2003». Les compagnies d’assurances, elles, affirment n’avoir pas d’information à ce sujet.
A fin décembre 2005, les trois fonds totalisaient 3 milliards de DH. La Loi de finances 2006 a ramené leur solde maximal à un milliard. Un tour de passe-passe.
