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Comment des millions de DH échappent aux caisses de la Commune de Mohammédia

Dans un rapport, la Cour régionale des comptes (CRC) de Casablanca tire à boulets rouges sur la gestion des recettes de la ville. Une manne financière conséquente échappe chaque année aux caisses de la commune. La culture de la reddition des comptes et celle du contrôle sont quasiment absentes.

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Commune de Mohammedia 1

Les comptes de la Commune de Mohammédia sont très mal gérés. Tel est le constat qui ressort de la première version d’un rapport élaboré par les magistrats de la Cour régionale des comptes (CRC) de Casablanca à l’issue d’une mission de contrôle de gestion qui couvre la période 2008-2017 (la version finale sera rendue publique après appréciation des réponses de la commune). Le document de 199 pages, dont La Vie éco dévoile en exclusivité certains détails, étrille des anomalies et des dysfonctionnements à la pelle qui touchent les différents cycles de gestion des recettes, de l’évaluation de l’assiette à la liquidation, en passant par le recouvrement. Taxe professionnelle, taxes liées à l’urbanisme, celles liées aux opérations économiques, recettes patrimoniales…, toutes les sources de recettes sont touchées par la mauvaise gestion.

Mohammédia, un paradis fiscal !

S’agissant d’abord des taxes et impôts rétrocédés à la commune par l’administration fiscale, à savoir la taxe professionnelle (TP), la taxe d’habitation (TH) ou la taxe des services communaux (TSC), les magistrats pointent du doigt le non- recensement de la population fiscale ainsi que des cas d’exonérations indues au profit de certains redevables. D’après les investigations des magistrats, une population estimée à 7 000 contribuables ne s’acquitte pas de la TH et la TSC, tandis que d’autres sont indûment exonérés de la TP. Ajoutons à cela le faible effort de recouvrement qui constitue une autre tare aggravant la situation avec un taux qui n’a pas dépassé 42% en 2015.

Le tableau n’est pas plus reluisant pour ce qui est des six taxes relatives à l’urbanisme qui représentent -en moyenne sur les trois dernières années- un peu plus de la moitié des recettes propres de la commune. A titre d’illustration, les propriétés soumises à la taxe sur les terrains urbains non bâtis (TNB) ne font pas, elles aussi, l’objet d’un recensement par le service de l’assiette communale, comme le stipule la loi n°47-06 relative à la fiscalité des collectivités locales. Bien qu’une mission de la l’Inspection générale de l’administration territoriale (IGATT) en 2016 avait incité la commune à former une commission chargée du recensement, celle-ci n’a pas changé la donne selon les magistrats du fait «du manque de motivation de ses membres» et du «rôle démissionnaire du président de la commune».

D’après le rapport qui cite une estimation du manque à gagner par la commune réalisée par l’IGATT, le laxisme de la commune coûterait à la ville au moins 56,6 MDH. A en croire les magistrats, ce montant peut être facilement revu à la hausse en cas d’enquête plus poussée vu que la base de données communiquées à l’IGATT par la Conservation foncière n’est pas exhaustive. Ajoutons à cela que celle-ci contient des titres sans indication de l’adresse des propriétés ou parfois avec une indication incomplète, ce qui rend impossible la communication des avis d’imposition. Ainsi, rien que pour la catégorie des titres dont l’adresse des propriétaires n’est pas disponible, les magistrats de la Cour régionale des comptes ont relevé 87 qui feraient perdre à la commune 4,4 MDH. Fait insolite, les magistrats ont découvert 17 titres n’ayant aucune information d’identification et 157 titres sans indication de la CIN des propriétaires.

Outre les tares affectant l’évaluation de l’assiette, une série d’anomalies touche tant les procédures de liquidation que celles de recouvrement. Ainsi, les cas d’exonérations indues relevés pour la TP fusent également dans le TNB. Exemple édifiant: deux terrains appartenant à un seul propriétaire sont exonérés indûment de la TNB depuis 2009 sous prétexte qu’ils se trouvent dans une zone n’ayant pas accès au réseau d’assainissement, alors que la loi ne prévoit l’exonération que pour les terrains situés dans les zones non raccordées au réseau d’eau potable et d’électricité. Le manque à gagner pour ces derniers est de 13,3 MDH. Autres dysfonctionnements: l’imprécision de l’arrêté fiscal fixant le barème des redevances à payer au m2 par type de terrain ou des manières de faire qualifiées de «bâtardes» par la CRC en ce qui concerne la comptabilisation des surfaces imposables. Pour ce qui est des procédures de recouvrement, le rapport fait état du laxisme vis-à-vis des redevables défaillants et du développement des pratiques de dégrèvements.

Qu’en-t-il de la gestion des recettes des autres taxes liées à l’urbanisme, en l’occurrence la taxe sur les opérations de lotissement (TOL), la taxe sur les opérations de construction (TOC), la redevance d’occupation du domaine public pour usage lié à la construction ? A l’unisson, ces taxes ne sont pas mieux collectées et l’évolution des recettes est erratique.

Absence de manuel des procédures et GRH défaillante

Pareil pour les taxes en lien avec les activités économiques (débits de boisson, taxe de séjour, taxe sur les licences de cars et de taxis) dont les recettes sont totalement déconnectées de la réalité économique de la ville.

Énièmes exemples de gabegie : 14 établissements ne s’acquittent pas de la taxe sur les débits de boissons, 100 panneaux publicitaires non autorisés en 2016 ainsi que l’absence de contrôle de la surface occupée dans le cadre de la redevance de l’occupation temporaire du domaine public à usage commercial.

Les magistrats de la CRG se sont également attelés à expliquer certaines des causes de la gestion calamiteuse des recettes en mettant le doigt sur des problèmes transverses. Sur le plan organisationnel, il a été relevé que la commune a longtemps fonctionné sans organigramme avant d’en adopter un en 2015. La Cour pointe également du doigt l’absence d’un manuel des procédures. Concernant le volet RH, les magistrats font état d’une répartition inefficace et inéquitable du personnel -bien que l’effectif dont dispose la commune soit bien fourni (811 en 2015)-, de l’absence de formation continue ainsi que l’inadéquation des profils avec les postes occupés. Autre phénomène : les changements fréquents et injustifiés du personnel; ce qui prouve selon la CRG que la division RH est dépassée par les chefs de service qui se permettent d’empiéter sur leurs missions en termes d’affectation du personnel. Ajoutons à cela qu’un projet de digitalisation de la gestion de quatre services (la régie, l’urbanisme, le bureau d’ordre et le service économique) a été sabordé en interne bien que la commune y avait dépensé 720 000 DH. Toujours dans le cadre du management, la culture de la reddition des comptes et celle du contrôle sont quasiment absentes, y compris dans les services chargés de la fiscalité, tranchent les magistrats de la CRC. Contacté par La Vie éco, Hassan Antara, président du Conseil communal sous les couleurs du PJD, n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Comme en politique on ne se fait pas de cadeau, Mehdi Mezouari, membre du conseil et chef de file du groupe de l’USFP, a saisi l’occasion pour tirer à vue sur ses adversaires politiques. Interpellé sur les faits révélés par le rapport de la CRC, l’ex-député du parti de la rose fait savoir que «la mauvaise gestion dépasse le champ des recettes».

Revenant sur l’évolution en dents de scie des recettes et leur gestion calamiteuse, il précise qu’«il y a une machine bien huilée derrière ce laisser-aller» avant d’enfoncer le clou : «Quand certains fonctionnaires n’émettent pas d’avis d’imposition, il ne s’agit pas d’une omission, mais d’actes délibérés». Selon lui, le problème est tout d’abord lié à l’absence de leadership politique et de la prépondérance de l’incompétence parmi les élus. «Nous respectons le choix des électeurs qui ont porté le PJD à la tête des partis de la ville. Et c’est pour cette raison que nous nous sommes toujours inscrits dans un soutien critique au départ, mais au fil des premiers mois, il s’est avéré que nous ne partageons pas la même vision par rapport aux priorités de la ville», explique M. Mezouari. Il accuse le présent conseil de se comporter comme si de rien n’était, même si tout le monde est conscient qu’il a hérité d’un déficit structurel estimé à 25 MDH. Pire, déplore l’ex-député, la commune ne dispose même pas de programme d’action communal (PAC) durant la première année du mandat comme le prévoit la loi, alors que de petites communes rurales de la région en ont. Ensuite, M. Mezouari liste les problèmes d’hygiène et de propreté, l’anarchie dans les parkings et les plages, les routes délabrées pour illustrer de nouveau les défaillances d’une ville dont le budget d’investissement, dit-il, «ne dépasse guerre les 8%». A l’en croire, le conseil a même failli dans la gestion des affaires courantes dont il s’est fait la spécialité.

Quid de la solution ? L’Usfpéiste réclame tout bonnement le départ pur et simple de l’actuel président. Il confie qu’une commission d’enquête au niveau communal, créée conformément à la loi organique 113-14, a le soutien de 15 des 22 conseillers communaux du PJD. En passant, il regrette «la passivité pour ne pas dire la démission du PAM qui ne joue pas son rôle dans l’opposition, chose qui n’arrange rien à cette situation inédite que vit ce conseil».

Com’ese

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