Affaires
Comarit : les dessous du plan de sauvetage proposé par Toufiq Ibrahimi
Il a créé avec des ex-dirigeants de Comanav Morocco Ferries en mars dernier. L’objectif était de renflouer la Comarit pour lui permettre de ne pas rater la haute saison en attendant une solution pérenne. La solution a été jugée trop risquée par les banques.
L’information est passée inaperçue dans le flot des centaines d’annonces légales qui paraissent chaque jour. En mars dernier, Toufiq Ibrahimi, ex-PDG de Comanav, décidait de créer la société Morocco Ferries, spécialisée dans le transport maritime.
Dotée d’un capital de départ d’un million de DH, la structure compte dans son tour de table, outre M. Ibrahimi, trois personnes physiques, dont Abdelaziz Allouch (ex-directeur central) et Adnane Filali (ex-directeur général) en plus d’une personne morale du nom de SIZ.CO. Une incursion dans un secteur déjà miné par les problèmes de rentabilité ? Plutôt un montage financier destiné à trouver un vital sursis de quelques mois pour la société Comarit, celle-là même qui avait acquis, en février 2009, auprès de Comanav, alors présidée par Toufiq Ibrahimi, sa filiale, Comanav Ferry.
Il faut dire que Comarit et ses filiales (entre autres Comanav Ferry), dont l’actionnaire de référence est la famille Abdelmoula, se débattent dans des problèmes financiers qui ont fini par bloquer son activité. Navires saisis dans les ports pour redevances non acquittées depuis le début de l’année, salaires non payés depuis plus de six mois et endettement bancaire entre crédits long terme et lignes de fonctionnement atteignant 2 milliards de DH, dont la Banque populaire et Attijriwafa bank se partagent le plus gros. Autant dire que la société est quasiment en faillite.
Quand les banques exigent des garanties de l’Etat…
S’agissant d’un secteur hautement sensible, la question qui relève non seulement, sur le plan économique, de 1 700 emplois à sauvegarder mais également, et sur le plan politique, du maintien d’un pavillon national (aux côtés de l’autre compagnie marocaine IMTC) dans une activité de transport maritime de voyageurs fortement trustée par les compagnies espagnoles, a bien évidemment fait l’objet de consultations avec les responsables étatiques, les banques et des professionnels du secteur aussi bien des compagnies étrangères qui seraient prêts à entrer dans le capital que des hommes du métier appelés à s’occuper de la gestion. C’est dans le cadre de ces consultations que Toufiq Ibrahimi, a été approché. L’homme connaît bien le secteur puisqu’il a été l’artisan du redressement et de la privatisation de Comanav (vendue en 2007 à CMA-CGM) entreprise qu’il a présidée entre août 2001 et juillet 2010, lorsqu’il a été nommé à la présidence de l’Agence spéciale Tanger-Méditerranée.
Un moment, il fut question que M. Ibrahimi prenne en main la gestion de la compagnie. Sauf que cela ne résolvait pas le problème du financement. En février dernier déjà, la compagnie avait un besoin urgent de 200 MDH que les banques ont refusé d’accorder, exigeant pour cela des garanties de l’Etat. Un comité interministériel a même été formé mais il n’a pu qu’intervenir pour empêcher que les bateaux saisis ne soient mis aux enchères…
Un mandat de gestion pour permettre de lever 200 MDH en engagements par signature…
C’est alors que Toufiq Ibrahimi a proposé une solution intermédiaire : accorder à la Comarit le nécessaire sursis qui lui permettrait de ne pas rater la saison estivale (juin-septembre), porteuse de chiffre d’affaires, au cours de laquelle le flux de voyageurs est à son maximum du fait des entrées de MRE et des touristes. Les rentrées d’argent qui en découleraient permettraient de parer aux problèmes les plus urgents en attendant une recapitalisation qui passerait obligatoirement par une entrée d’un «industriel» dans le capital.
Le scénario proposé par l’ex-patron de Comanav s’apparente, dans le jargon bancaire, à une avance sur marché. Concrètement, la société Morocco Ferries apporterait en fonds propres 100 MDH et lèverait auprès des banques 200 autres millions (sous forme de garantie) qui serviraient au redémarrage de l’activité. Munie d’un mandat de gestion de la part de Comarit, trop endettée pour pouvoir emprunter davantage, Morocco Ferries devrait, avec un financement potentiel de 300 MDH, débloquer les saisies sur les navires bloqués, les mettre à niveau ainsi que le reste de la flotte en arrêt technique, payer les arriérés de salaires et ceux à venir pour la période estivale, gérer l’activité commerciale et encaisser les recettes pour compte. A l’issue de la haute saison, le mandataire qui table sur des recettes équivalentes à ses 300 MDH d’engagements (en comptant celles provenant de la cession de 2 parmi les 11 navires de la compagnie) prévoyait le réglement des problèmes urgents de Comarit, tout en rémunérant le capital apporté et les intérêts bancaires sur l’engagement par signature.
En somme, Morocco Ferries devrait se substituer à Comarit le temps de la haute saison et le temps de trouver une solution de plus long terme, car, affirme un armateur, «avec l’arrivée d’un industriel et un apport en capital, les banques auraient accepté une restructuration d’une dette qu’elles savent sérieusement compromise». En fait l’un conditionne l’autre : les banques exigeaient une solution pérenne et un apport d’argent frais pour continuer à prêter à la compagnie et les investisseurs ne veulent pas s’engager dans une affaire à qui on a coupé le financement bancaire.
Pour séduisant qu’il est, le plan de Toufiq Ibrahimi était-il viable ? On ne le saura pas, puisque, selon des banquiers eux-mêmes, le pool bancaire concerné a refusé de cautionner la solution proposée par Morocco Ferries. En attendant, Comarit s’enfonce chaque jour un peu plus et ne pas être au rendez-vous de la saison estivale pourrait lui coûter son existence. Affaire à suivre.