SUIVEZ-NOUS

Affaires

Code du travail et réforme des retraites : la nécessaire cohérence à  retrouver

Pour garder un travailleur atteint par la limite d’à¢ge, l’entreprise doit obtenir le feu vert de l’administration. A fin 2013, ce sont 14 269 salariés à¢gés de 61 ans et plus qui travaillent encore, soit 0,6% de l’ensemble des salariés déclarés à  la CNSS .Sur ce point, le code du travail paraît en complet déphasage avec la réalité des caisses de retraite.

Publié le


Mis à jour le

retraite maroc 2015 01 01

Le débat sur les retraites est aujourd’hui focalisé sur la CMR, qui couvre les salariés de la fonction publique, et cela est bien normal en raison des difficultés financières que celle-ci connaît. Mais le système de la retraite de base dans le secteur privé, géré par la CNSS, interpelle également tant il paraît, par certains aspects, en décalage, voire en opposition par rapport à la tendance globale en ce domaine, celle de l’allongement de la durée d’activité, en lien avec l’augmentation de l’espérance de vie, d’un côté, et la dégradation du rapport démographique, de l’autre côté. Ce décalage s’exprime au moins sur un point : l’obligation faite aux entreprises de mettre à la retraite tout salarié qui atteint l’âge de 60 ans (article 526 du code du travail). Certes, cette obligation est atténuée (dans le même article) par la possibilité donnée à l’entreprise de maintenir en activité le salarié atteint par la limite d’âge, mais à condition qu’elle en soit autorisée par l’autorité gouvernementale chargée du travail, c’est-à-dire, aujourd’hui, le ministère de l’emploi et des affaires sociales. Cette disposition est pour le moins anachronique. A l’heure où les caisses de retraite, y compris la CNSS, ont plus que jamais besoin de cotisants, il faut solliciter une autorisation administrative (sous forme d’un arrêté, plus exactement) pour pouvoir garder un salarié qui souhaiterait continuer à travailler ! Il est bien vrai que cette exigence, dans l’esprit du législateur, est à lier à l’obligation faite à l’employeur (article 528 du code du travail) de remplacer tout salarié mis à la retraite par un autre salarié. Mais une telle disposition, osons le mot, semble surréaliste, en tout cas économiquement non fondée. Quelle idée en effet d’imposer, par oukase, à un chef d’entreprise de recruter s’il ne juge pas opportun de le faire par lui-même. Le code du travail de 2004 est certainement une avancée ne serait-ce que parce qu’il a unifié la législation du travail (qui était auparavant exprimée dans une infinité de textes, presque impossible à connaître tous), il n’en comporte pas moins des incohérences, des dispositions qui ne se prêtent guère à application, et celles-ci ne sont d’ailleurs pas appliquées. L’obligation de remplacer un salarié mis à la retraite en fait partie. Résultat : tandis que l’obligation d’obtenir une autorisation administrative pour maintenir un salarié atteint par la limite d’âge est respectée (pour autant qu’elle est vraiment sollicitée), celle de remplacer un salarié mis à la retraite ne l’est point ! Du coup, cet article (526) du code du travail ne revêt aucun intérêt, puisque la corrélation qu’il est supposé établir entre les deux obligations n’advient pas.

Statistiquement, le nombre de salariés âgés de 61 ans et plus qui figurent sur les tablettes de la CNSS s’élèvent à 14 269, à fin 2103, soit 0,6% de l’ensemble des salariés déclarés. Pour l’essentiel, ils travaillent dans la construction, les services, le commerce, l’agriculture et la pêche. 82% de ces salariés touchent moins de 4000 DH par mois, 4% seulement perçoivent un salaire variant de 6 000 à 10 000 DH par mois, selon des données recueillies auprès de la CNSS.

Le séniorat coûte moins cher que de remplacer un salarié mis à la retraite

Face à ce constat, une question s’impose : pourquoi si peu de salariés de plus de 60 ans dans les entreprises alors que la loi le permet ? Est-ce parce que les entreprises ne sont pas intéressées par ce type de salariés ? Ou bien parce que, leurs salaires se bonifiant avec le temps, ceux-ci «coûtent» plus cher? Un expert international en ressources humaines, a son avis sur le sujet. Primo, «une bonne partie des entreprises marocaines n’a pas de gestion de carrières et des plans de succession». Secundo, les chefs d’entreprise, dit-il, «ne sont pas au courant des détails de la législation et de la réglementation du travail leur permettant d’avoir des dérogations dans ce sens. Il en existe cependant qui, pour éviter des procédures administratives qui leur paraissent éreintantes, préfèrent, en connaissance de cause, laisser partir leurs salariés atteints par la limite d’âge tout en continuant à solliciter de ces derniers des prestations de services rémunérées». Notre expert, qui a déjà travaillé pour de nombreuses entreprises et multinationales, affirme par ailleurs que les considérations de coût, comme on peut le supposer, n’interviennent nullement dans cette pratique plutôt courante des employeurs qui consiste à recourir aux services de leurs anciens salariés. «Il faut savoir que dans le contexte d’aujourd’hui, garder un senior coûte moins cher que de le remplacer. Nous ne sommes plus dans les années 60, 70 ou même 80 où le séniorat coûtait en effet cher».

Avis aux entreprises. Mais surtout aux pouvoirs publics confrontés à la problématique de la diminution progressive des ressources des caisses de retraite. Un salarié en activité est un salarié qui cotise, et en l’absence de certitude (qui peut vraiment être sûr de cela?) que les sortants seront remplacés, il vaut mieux, comme dit l’adage, «un tiens vaut mieux que deux tu l’auras». De ce point de vue, la réforme du code du travail sur ce point (comme sur beaucoup d’autres d’ailleurs) semble nécessaire. Mais que ce soit bien clair : ce n’est pas l’âge d’admission à la retraite qu’il s’agirait de modifier (quoique, à travers le monde, il reste très peu de pays où l’âge de la retraite est encore à 60 ans), mais de laisser la possibilité à ceux qui le désirent de continuer à travailler si l’entreprise est d’accord, sans qu’il soit nécessaire pour cela d’obtenir le feu vert de l’administration.