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Classes moyennes au Maroc : 16,3 millions de Marocains
Selon le HCP, 53% de la population se situent dans les classes moyennes, 34% constituent la classe modeste et 13% la classe aisée.
44,5% des classes moyennes vivent de leur salaire, 30% sont des indépendants et 9% des rentiers.
Ils gagnent entre 2 800 et 6 736 DH par mois et dépensent plus que leurs revenus.
Que n’a-t-on dit et écrit sur la classe moyenne au Maroc! Ces derniers temps, notamment, beaucoup se sont interrogés sur son poids démographique, ses caractéristiques socio-économiques, sociologiques et culturelles.
Souvent, elle a été décrite comme rabougrie, se rétrécissant comme peau de chagrin, et certains sont même allés jusqu’à douter de son existence. Mais tout cela n’est que perceptions individuelles, subjectives, ne reposant sur aucun fondement scientifique. Deux initiatives récentes méritent, toutefois, d’être signalées : «La classe moyenne, c’est qui ?», une étude qualitative réalisée par le centre d’études sociales de HEM, et le colloque sur «Classes moyennes et politiques publiques au Maroc», organisé par l’Association marocaine des sciences politiques, en collaboration avec le Centre Jacques Berque.
Et cependant, tout le monde avoue la difficulté à cerner la notion de classe moyenne au Maroc, faute d’outils statistiques élaborés. Le vide est désormais comblé. Pour la première fois, en effet, une étude, élaborée selon les standards internationaux en la matière, vient d’être réalisée sur les classes moyennes (et non pas la classe moyenne) par le Haut commissariat au plan (HCP), dont le patron, Ahmed Lahlimi, a révélé le contenu mercredi 6 mai.
Très attendue, à la fois par l’opinion publique et les chercheurs, mais surtout par les décideurs qui pourront désormais s’en servir pour bâtir leurs politiques publiques, l’étude du HCP, tout en s’inspirant des pratiques internationales, a été élaborée sur la base des réalités locales concrètes, en termes de revenu ou de niveau de vie, en liaison avec le niveau réel de la richesse du pays et de sa distribution.
40% des exploitants agricoles font partie des classes moyennes
Que révèle donc cette étude ? Selon l’approche adoptée, fondée sur des critères économiques (voir en encadré l’approche méthodologique suivie), les classes moyennes au Maroc regroupent 53% de la population, soit 16,3 millions de personnes dont 62,9% vivent en milieu urbain. Les 47% restants se partageant entre la classe modeste (34%) et la classe aisée 13%.
La proportion de personnes que l’étude situe dans la catégorie des classes moyennes peut paraître élevée aux yeux de certains. Il faut bien voir que si le HCP avait adopté l’approche de la Banque mondiale en la matière, le poids des classes moyennes au Maroc serait de 84,4 % de la population. Ce poids serait de 78,% avec l’approche tunisienne, 69,1% avec la méthode utilisée par la Chine et 54,1% selon l’Institut d’études statistiques canadien (Statistic Canada). «L’approche utilisée par le HCP est une approche intermédiaire, qui tient compte des réalités socio-économiques du pays. Il était hors de question de sacrifier à quelque considération politique ou idéologique que ce soit pour minorer ou gonfler le poids des classes moyennes marocaines. L’étude se devait de cerner le plus objectivement possible la place de cette catégorie sociale, ni plus ni moins», explique M. Lahlimi.
Quelles sont maintenant les catégories socioprofessionnelles qui composent ces classes moyennes ? Elles viennent d’horizons divers et se caractérisent par un niveau de formation et de qualification intermédiaire et par des disparités dans leurs niveaux de revenu. C’est d’ailleurs pour cette raison que le pluriel s’impose quand on parle de classe moyenne. Il n’y a pas une, mais des classes moyennes. Selon l’étude du HCP, font partie des classes moyennes 63 % des employés, artisans et ouvriers qualifiés des métiers de l’artisanat ; 58,6 % des rentiers, retraités et inactifs ; 56,3% des cadres moyens, commerçants et intermédiaires financiers ; 40,2 % des exploitants agricoles et 19,5 % des cadres supérieurs et des professions libérales. D’où l’hétérogénéité du revenu moyen par ménage et par mois de ces classes moyennes. La catégorie supérieure qui représente 28 % dispose d’un revenu mensuel dépassant la moyenne nationale qui est de 5 308 DH. La catégorie intermédiaire (42 %) dispose d’un revenu qui se situe entre la médiane (3 500 DH/mois) et la moyenne nationale. La catégorie inférieure (c’est-à-dire le premier palier des classes moyennes) qui représente 30 %, a, elle, un revenu inférieur à la médiane, sans toutefois tomber en dessous de la borne inférieure fixée à 0,75 fois la médiane (voir encadré).
8,3% des Marocains des classes moyennes sont des chômeurs
En dépit de leur relative importance numérique, les classes moyennes, ou les personnes qui les composent, n’exercent pas toutes une activité rémunérée : 48% sont des actifs occupés, 8,3% des chômeurs et 43,7 % des inactifs (femmes au foyer, étudiants, personnes âgées et infirmes, retraités et rentiers et autres).
Contrairement aux ménages aisés dont le taux de chômage est de 10,4 %, soit sensiblement le même que celui qui touche les classes modestes (10,9%), les classes moyennes connaissent un taux de chômage de 14,6%. Et ce taux grimpe considérablement dans les villes (22 %). L’explication est simple : les membres composant la classe modeste ou pauvre acceptent n’importe quelle activité, ils ne peuvent se permettre le «luxe» de rester au chômage, ce qui n’est pas le cas des classes moyennes et surtout de la classe aisée.
En proportion, l’Oriental devant les régions de Rabat, Tanger et Marrakech
Mais toute la fragilité des classes moyennes apparaît à travers deux indicateurs notamment. D’une part, le chômage des diplômés parmi elles est très élevé, il est de 31,7% soit plus de trois fois le niveau du chômage national, toutes catégories sociales confondues et pour l’ensemble de la population active du pays. D’autre part, le poids économique des classes moyennes, que ce soit en termes de revenu ou de consommation, ne reflète pas leur poids démographique. Le revenu des classes moyennes représente en effet 44% des revenus des ménages marocains et 49 % des dépenses de consommation de ces mêmes ménages (sachant que les classes moyennes, au niveau du premier palier, dépensent plus qu’elles ne gagnent). Selon l’étude du HCP, en effet, le revenu moyen des classes moyennes, par ménage et par mois, est de 4 402 DH en milieu urbain et 4 219 DH en milieu rural. Normal, pourrait-on dire, quand on sait que le salariat constitue la source principale (44,5%) de ces revenus (voir graphe).
Bien évidemment, comme toutes les autres classes sociales, les classes moyennes recourent au crédit, mais dans des proportions un peu moindres que les ménages aisés. La proportion des ménages endettés parmi les classes moyennes est en effet de 31%, contre 37,5% des ménages riches, mais seulement 27,3 % des classes modestes. Et la classe moyenne étant plurielle, ceux qui sont dans le palier supérieur s’endettent plus (34,8%) que ceux qui sont au milieu (30%) ou dans ceux qui ferment la marche (26,8 %).
Comme on peut le deviner, les classes moyennes s’endettent d’abord pour les besoins de la consommation courante (59 % des cas), ensuite pour l’immobilier (25,1 %) et enfin pour l’acquisition d’équipements ménagers et de moyens de transport (15,9%). Mais ces valeurs varient à l’intérieur des classes moyennes, suivant le palier où se trouvent chaque catégorie (inférieur, intermédiaire ou supérieur).
Autre signe de fragilité révélé par l’étude, et donc d’inégale répartition des richesses, 65% des ménages appartenant aux classes moyennes et modestes déclarent que leur niveau de vie s’est amélioré ou stagné entre 1997 et 2007, alors que cette proportion est de 77% dans les classes aisées. Ce n’est donc pas un hasard si 58% des personnes constituant les classes moyennes ont pour préoccupations majeures les difficultés liées au coût de la vie, au niveau du revenu et aux aléas de la sécheresse.
Enfin, la distribution régionale des classes moyennes révèle quelques petites surprises, comme le fait, par exemple, que, proportionnellement à la population locale, l’Oriental compte plus de personnes issues des classes moyennes que Rabat-Salé-Zemmour-Zaer, que Tanger-Tétouan ou que Marrakech-Tensift-Al Haouz. Les régions de Gharb-Chrarda-Beni Hssen se situant en queue du peloton, alors que, sans surprise, le Grand Casablanca occupe la première place, suivi de Chaouia-Ourdigha et de Fès-Boulemane, comme pôles de concentration des classes moyennes.
L’école publique a servi d’ascenseur social ?
Les classes moyennes étant par nature mouvantes (dans le sens ascendant ou descendant), il serait intéressant de connaître leur évolution dans le temps afin de mesurer les impacts des politiques publiques sur leur promotion ou, au contraire, leur stagnation voire leur recul. C’est l’objet de la deuxième partie de cette étude du HCP, qui sera livrée dans les jours à venir.
Le rôle de l’éducation nationale, et donc de l’école, dans la promotion des classes moyennes mérite à cet égard d’être examiné. Car, c’est connu, en France et dans de nombreux pays, la construction et la consolidation de la classe ou des classes moyennes s’est faite par l’école qui a servi de puissant ascenseur social à tous ceux qui, n’ayant pas hérité de fortunes, aspirent à améliorer leur statut social. A bien des égards, et comme le notent certains analystes, le Maroc, à un moment donné de son histoire, semble avoir plutôt privilégié la reproduction des élites, plutôt que l’émergence de nouvelles catégories sociales promues par l’école. D’où ce sentiment, qui a longtemps perduré, d’un Maroc à deux vitesses où il y aurait des gens aisés d’un côté, et des laissés-pour-compte de l’autre. Cette image est sans doute un peu caricaturale, car de nombreux dirigeants d’entreprises et cadres moyens ou supérieurs de la fonction publique sont issus de l’école publique. Mais le tout est une question de proportion. Surtout, partant du principe que les classes moyennes sont la pierre angulaire de toute société, l’important est que les politiques publiques s’orientent vers la construction d’une société en forme de losange avec des extrémités réduites et un «ventre» aussi large que possible. C’est apparemment le choix des pouvoirs publics. Certains membres du gouvernement confient, en privé, leur impatience de prendre connaissance des conclusions de l’étude du HCP. «Nous en avons impérativement besoin pour pouvoir intégrer dans les politiques publiques, donc les budgets à venir, les mesures nécessaires, en faveur des classes moyennes», confie un ministre. Ce dernier a même précisé que les mesures fiscales déjà décidées (baisse de l’impôt sur le revenu) et le projet de logement à 800 000 DH sont les premières actions prises dans ce sens.