Affaires
Circulation des billets de banque : la sécurité est-elle défaillante ?
Le braquage du fourgon de transport de fonds à Tanger remet les questions sécuritaires sur le devant de la scène. Absence de traçabilité, de système antivol de neutralisation des billets, ou encore d’armes réellement dissuasives dans les fourgons…, la réglementation est encore loin de garantir une circulation infaillible du cash.

Le braquage d’un fourgon de transport de fonds le 24 février dernier à Tanger continue d’alimenter les discussions de salons. Au-delà de son aspect criminel, ce fait divers remet en effet au goût du jour les questions sécuritaires liées aux activités de transport de fonds et sur la manière dont circule l’argent liquide dans notre économie.
Bien que cette activité soit régie par des textes réglementaires depuis 2012, «l’affaire du fourgon de Tanger» démontre qu’elle est loin de présenter un niveau de sécurité infaillible. Ceci est notamment le cas dans l’utilisation des moyens de dissuasion en cas d’attaque ou de tentative de vol.
Les agents employés par la société victime du braquage n’avaient pas en effet de moyens pour rivaliser avec des braqueurs munis d’armes à feu. Pourtant, selon la loi 27-06 qui régit le secteur, ces agents devraient disposer «d’armes leur permettant de faire face à toute tentative de vol». Cependant, un décret d’application publié quelques mois après la promulgation de cette loi est venu limiter les armes autorisées à de simples matraques et à des générateurs d’aérosols incapacitants ou lacrymogènes.
Le seul dispositif contre les armes à feu inclus dans la législation est cité par l’arrêté ministériel publié en mars 2012 et fixant les caractéristiques des véhicules utilisés pour le transport de fonds. Ceux-ci doivent en effet être blindés contre les armes à feu individuelles. S’agirait-il ici d’une faille réglementaire? Cela en a, en tout cas, tout l’air, même s’il est difficile d’avoir une réponse officielle sur la question, tant les opérateurs du secteur semblent réticents à discuter des dispositifs sécuritaires. Nous avons en effet tenté en vain de joindre le vice-président de l’Association professionnelle du secteur, par ailleurs General manager de Brink’s.
Les malfrats évoluent… mais pas la sécurité
Quoi qu’il en soit, si le Maroc a longtemps été épargné par les problèmes liés aux armes à feu grâce à une législation et un contrôle très strictes dans le domaine, ces dernières années, plusieurs actes de violences menés avec de tels moyens ont été répertoriés par les services de la Sûreté.
Cette situation est encore plus problématique puisque les sommes transportées par les convoyeurs de fonds ont significativement augmenté. Dans le secteur, on parle aujourd’hui de 5 à 7 milliards de DH transportés quotidiennement. Le rôle des convoyeurs de fonds dans la circulation des billets et des pièces de banque s’est même renforcé ces dernières années, avec l’introduction d’un nouveau schéma de circulation de la monnaie. En effet, depuis 2005, la Banque centrale a autorisé la création de centres privés de tri.
Selon BAM, leur mission principale est de séparer les billets en bon état des usagers. Du fait de leur activité, ces centres de tri sont devenus une sorte de caisse où se retrouve également le surplus de cash disponible au niveau des banques. «Dans la pratique, chaque agence ne peut garder dans ses coffres qu’un montant limité en cash, qui peut aller de quelques centaines de milliers de DH à plusieurs millions de DH, et ce, selon l’importance de l’agence et selon l’assurance souscrite dans ce cadre», explique un haut cadre bancaire.
Le surplus est donc automatiquement transféré vers les centres de tri, ce qui renforce le recours aux prestataires de transport de fonds. Une situation qui n’est pas sans risque. Par contre, nul n’ignore qu’un convoi sortant de la Banque centrale est toujours escorté par les forces de l’ordre (généralement des motards de la Gendarmerie royale), ce qui réduit amplement leur exposition aux risques de braquage.
L’identification d’un billet volé après sa mise en circulation est hypothétique
L’autre aspect, et non des moindres, que soulève le braquage de Tanger, est lié à la traçabilité même des billets de banque qui sont transportés dans les fourgons des convoyeurs de fonds. Selon plusieurs sources bancaires interrogées, il est aujourd’hui impossible de connaître les numéros de série des billets qui transitent, que ce soit entre les centres de tri et les banques, ou par le circuit économique dans son ensemble. Le seul cas où cela est possible, c’est lorsque les billets fraîchement fabriqués par Dar As-Sikkah sont introduits dans le circuit par la Banque centrale.
Une fois en circulation, il est quasi impossible d’identifier les billets de banque qui disparaissent lors d’un braquage, même quand ils retournent dans le circuit bancaire. De même, aucun dispositif de destruction automatique des billets volés, au moyen d’un agent dégradant, n’existe au Maroc, ni pour le cash qui circule dans les fourgons ni pour celui disponible au niveau des agences bancaires. Pourtant, dans plusieurs pays développés, ce mécanisme est couramment utilisé pour empêcher l’accès non autorisé aux valeurs monétaires.
C’est dire que les moyens existent pour éviter que le fait divers tangérois ne se reproduise. Il reste maintenant à prendre conscience de la nécessité d’en user.
