Affaires
Cinq ans de crise pour le BTP !
Le secteur subit une sévère baisse d’activité en 2016 après une dégradation continue depuis 2012. Qu’elle soit publique ou privée, la demande recule et les charges des opérateurs sont difficiles à comprimer. Les défaillances se multiplient dans le secteur.

Le BTP va de mal en pis. Le secteur clôt l’année 2016 en catastrophe après avoir subi une dégradation continue de son activité depuis 2012. Cela ne ressort pas nécessairement dans les chiffres officiels. Le troisième trimestre 2016 spécifiquement est bien orienté. La valeur ajoutée du secteur y enregistre une hausse de 1,2% contre 0,9% sur les trois mois d’avant, selon les chiffres du Haut Commissariat au Plan (HCP). De même, le BTP a créé 5,8% d’emplois en plus au troisième trimestre par rapport à la même période de l’année passée, ce qui en fait une exception au niveau de toute l’économie. Mais la majorité des professionnels sont loin de se retrouver dans ces chiffres. «Ces évolutions favorables pourraient être le fait de quelques grands chantiers», relativise-t-on auprès de la Fédération nationale des entreprises de BTP (FNBTP). Plus spécifique, le patron d’une entreprise active sur tout le territoire national explique que cette bonne orientation est liée à une habituelle accélération des chantiers à l’approche de la fin d’année, notamment pour rattraper le retard cumulé du fait de l’interruption des travaux pendant la saison estivale et les fêtes qui lui succèdent. «En tout état de cause, tant que l’on reste à moins de 2% de croissance de la valeur ajoutée du secteur, comme c’est le cas depuis 2012, et que la progression des recrutements n’atteint pas le rythme observé avant cette date, il n’y a pas du tout lieu de parler de reprise», tranche-t-il. Singulièrement, les professionnels sont rejoints dans ce constat par le HCP. «La reprise des activités de construction reste fragile et le secteur peine toujours à retrouver sa dynamique d’avant 2009 (marquée par des croissances à deux chiffres)», estime l’institution dans sa dernière note de conjoncture. A priori, il ne faudra pas attendre longtemps avant de voir le soufflé retomber puisque le secteur retrouve déjà sa torpeur au 4e trimestre 2016, ainsi qu’il ressort des appréciations des chefs d’entreprises sur la période, recueillies par le HCP. L’activité a en effet stagné selon les retours des dirigeants, ce qui déteint sur les recrutements qui devraient afficher aussi un statu quo sur le dernier quart de l’année, selon les anticipations des opérateurs.
Si le secteur ne parvient toujours pas à se sortir de sa mauvaise passe c’est bien évidemment en raison de la faiblesse de la commande qui lui est adressée. Le flux d’affaires réalisé avec le secteur privé est nécessairement limité dans le contexte de marasme que connaît la promotion immobilière. Rappelons à ce titre que les mises en chantier de lots et de logements ont régressé de 9,1% au premier semestre 2016 par rapport à la même période de 2015, après une chute de 22% sur les 6 premiers mois de cette dernière année successivement à une autre baisse de 13% sur la première moitié de 2014. Du fait de cette régression continuelle, l’actuel volume de mises en chantier ne représente même pas les deux tiers de ce qui était initié il y a 4 ans. La commande privée profite d’autant moins aux entreprises de BTP que les promoteurs immobiliers au niveau de plusieurs régions ont créé leurs propres entreprises de construction, exacerbant ainsi la concurrence sur le secteur, ainsi que le rapportent les professionnels. Cette conjoncture fait le plus de ravages au niveau des régions dont les entreprises du BTP se sont développées en s’appuyant essentiellement sur l’immobilier. C’est notamment le cas de la région de Marrakech dont le nombre d’entreprises de construction a explosé quasi exclusivement du fait du boom immobilier vécu depuis 2005. «Avec le net recul de la promotion immobilière il y a 4 ans, plusieurs entreprises se sont retrouvées sans activité et vivent aujourd’hui une situation très difficile», rapporte Hicham Mossadek, directeur de l’entreprise Sefiani, président du bureau de la FNBTP dans la région du Tensift.
Les délais de paiement de l’Administration toujours longs
Il reste naturellement la commande publique qui représente plus de 70% de la demande adressée au secteur. Si l’on met de côté l’actuel contexte de formation du nouveau gouvernement qui limite nécessairement la visibilité, cette manne reste prometteuse sur le papier. En effet, les budgets alloués à l’investissement public depuis 2011 se maintiennent autour de 55 milliards de DH et ils ont même augmenté de 11% en 2016, à 61,4 milliards de DH. A cela s’ajoutent les montants mis à la disposition des démembrements de l’Etat (établissements et entreprises publics, SEGMA, comptes spéciaux du Trésor…), ce qui ressort une moyenne annuelle de plus de 170 milliards de DH sur les six dernières années. Mais les professionnels nuancent les retombées concrètes de cette manne. D’abord, par la force des choses, cette enveloppe est inégalement répartie entre les régions. «Depuis 7 ans, l’investissement public alloué à la région de Souss-Massa Draa est en baisse constante. Elle n’a même hérité que de 3% sur les deux dernières années en dépit de ses importants besoins d’infrastructures», illustre Abdellatif Abid, directeur de Somelecad, président du bureau de la FNBTP dans le Souss. Ensuite, les professionnels assurent que l’évolution de l’investissement public est loin d’accompagner le rythme de création des entreprises. «Face à la quasi-stagnation de la commande publique, le nombre d’entreprises a crû fortement sur les dernières années. Les opérateurs sont donc condamnés à voir leur activité baisser du fait qu’ils sont plus nombreux à se partager le même gâteau», assure un professionnel. Ceci en rappelant aussi que l’on ne réalise jamais effectivement toute l’enveloppe d’investissement budgétée. Les crédits engagés mais non ordonnancés sont par exemple estimés à 16,5 milliards de DH cette année, ce qui représente plus du quart du budget alloué à l’investissement.
Surtout, les marchés publics restent contraignants par leurs délais de paiement selon les opérateurs. Au niveau de plusieurs régions, les administrations ne descendent pas en dessous de 9 mois, selon les retours du terrain. Et cela peut dépasser dans les situations extrêmes une année. C’est notamment le cas des Académies régionales de l’éducation qui cumulent une ardoise de plusieurs centaines de millions de DH remontant à 2014. Ceci alors que ces mêmes organismes ont été la cause des déboires de plusieurs entreprises auparavant, ce qui a déjà poussé le ministère des finances à débloquer des fonds à plusieurs reprises pour apurer ces arriérés.
Le nœud du problème pour les entreprises est qu’elles doivent à tout prix stabiliser leur chiffre d’affaires, dans un marché qui se prête peu à cela, pour survivre. Il s’agit en effet de maintenir un niveau d’activité qui permet la couverture des charges fixes, expliquent les professionnels. Etant à préciser que ces charges ont fortement augmenté ces dernières années chez une majorité d’opérateurs qui ont investi dans du matériel et qui ont étoffé leurs effectifs dans le contexte porteur d’avant 2012.
Mais toutes les entreprises ne tiennent pas le coup. Les professionnels rapportent ainsi une multiplication des faillites, le phénomène ayant même tendance à se banaliser dans certaines régions particulièrement sinistrées. Notons à ce titre que les entreprises de BTP pèsent fortement parmi plus de 6 000 cas de défaillance estimés par l’Observatoire du commerce de l’assureur crédit Euler Hermes en 2016. L’année d’avant n’est pas plus positive puisque la part des entreprises de BTP défaillantes y a pointé à 16% selon une récente étude du spécialiste de l’information commerciale Inforisk. La montée de la casse est à l’œuvre depuis quelques années maintenant puisque les défaillances ont crû de 150% entre 2009 et 2014 avec une aggravation de 14% sur la seule période 2013-2014, selon l’Observatoire d’Eler Hermes. Et encore! ces statistiques n’incluent pas les structures informelles sur lesquelles l’actuelle conjoncture fait encore plus de ravages, selon les professionnels.
Pour leur part, les entreprises qui tiennent encore ne reculent devant rien pour maintenir leur activité. Les opérateurs ont ainsi fait sauter les barrières régionales et étendent leurs terrains de chasse en s’intéressant jusqu’aux plus petits marchés publics, rapportent les professionnels. «Il devient normal de voir des groupes de premier rang qui ne sortaient de leur zone d’activité habituelle que pour des marchés de 20 à 30 MDH, se positionner aujourd’hui sur des commandes de moins de 10 MDH», explique un patron. Ceci sachant que les entreprises membres de la FNBTP sont censées adhérer à un «Gentlemen agreement» qui encourage les opérateurs à soumissionner à des marchés correspondants à leur taille afin de garantir un flux d’activité pour toutes les entreprises.
[tabs][tab title = »Retour aux prix des années 1990 !« ]Pour continuer coûte que coûte à alimenter leur activité les entreprises bradent de plus en plus leurs prix. «La situation est telle aujourd’hui que les entreprises de BTP pratiquent les niveaux de tarifs qui avaient cours dans les années 90», explique un professionnel. Ainsi, selon les opérateurs, les prix sont au bas mot 25 à 30% en dessous de ce qu’ils devraient être si l’on devait respecter la logique. L’administration, pour sa part, surfe sur la vague avec la fixation de budgets par les maîtres d’ouvrage systématiquement sous-évalués, ainsi que le rapportent les professionnels.[/tab][/tabs]
