Affaires
Ce que sera l’assurance Takaful au Maroc
Les opérateurs devraient adhérer au modèle économique de la Wakala où leur rémunération sera restreinte aux commissions déduites à la source des contributions des clients. Ils ne devraient pas être intéressés aux excédents annuels répartis exclusivement entre les clients.

Si les principes de fonctionnement des banques participatives commencent à être connus progressivement du grand public, tout reste à faire en matière d’assurance participative, dite Takaful. Déjà, comment cette activité garantit-elle sa conformité à la Charia ? L’assurance conventionnelle soulève trois interdits chariatiques, rappellent les experts de l’Association marocaine des professionnels de la finance participative (AMFP). Il s’agit de l’incertitude et du hasard sur lequel se base par la force des choses cette industrie. S’ajoutent à cela les placements non conformes opérés par les assureurs ou encore les produits d’épargne qu’ils proposent et qui peuvent comporter de l’intérêt. Le Takaful traite le dernier point d’une manière relativement facile, avec un univers de placement étudié et en faisant le tri dans son catalogue de produits. Difficile en revanche d’écarter l’incertitude et le hasard en matière d’assurance. Aussi, au lieu de fonctionner dans le cadre de contrats d’échanges, comme cela se fait habituellement, les contrats Takaful obéissent au régime de la donation, pour lequel l’incertitude et le hasard sont tolérés par la Charia. «En pratique, le Takaful est un fonds alimenté par les donations de participants qui sont propriétaires de ces fonds», résument les experts de l’AMFP.
Au-delà de ce principe de fonctionnement général, les opérateurs Takaful peuvent obéir à différents modèles économiques. La loi 59-13 qui a introduit le Takaful au Maroc n’impose pas, de manière explicite, de modèle précis aux opérateurs nationaux. Cependant, en interprétant la réglementation, les spécialistes de l’AMFP assurent que le schéma qui s’imposera pour l’industrie nationale est celui de la Wakala. Dans cette configuration, l’opérateur est mandaté par les participants pour gérer les fonds Takaful (d’où le nom Wakala). Sa gestion couvre les volets techniques et placement, moyennant une commission de gestion prélevée des contributions apportées par les participants au fonds. C’est là la seule rémunération de l’opérateur qui n’a aucun droit sur les résultats techniques et financiers du fonds. Ceux-ci sont répartis exclusivement entre les participants après paiement des sinistres et des charges de réassurance et la constitution des réserves réglementaires et prudentielles, et après intégration du rendement financier total provenant des placements. L’excédent peut être distribué aux participants en numéraire ou sous la forme de baisse des contributions ou toute autre forme convenue. L’opérateur n’est concerné par les résultats techniques et financiers que s’ils sont déficitaires. A ce moment le gestionnaire du fonds Takaful doit fournir un prêt sans intérêts (Qard hassan), en s’appuyant sur ses fonds propres, pour couvrir le déficit. Ce prêt est remboursé par les futurs excédents annuels du fonds Takaful.
Les spécialistes recommandent de favoriser un modèle alternatif de Wakala modifié
Ceci ne sera pas sans poser quelques problèmes, selon les anticipations de l’AMFP. «Le fait de restreindre la rémunération de l’opérateur aux commissions fera que ces dernières seront plus élevées par rapport à l’assurance conventionnelle où la rémunération vient surtout de l’excédent technique. Les primes des produits Takaful seront donc plus importantes que celles des produits conventionnels, ce qui constitue un handicap concurrentiel majeur», estime l’association. Autre point gênant, le fait de ne pas intéresser l’opérateur sur les excédents ne l’encourage pas à optimiser sa gestion technique (acceptation des risques, indemnisation des sinistrés, réassurance…) et financière (placements) des fonds, estime l’AMFP. Le risque est ainsi que l’opérateur Takaful néglige cet aspect important de sa mission et se contente de la gestion administrative. Pour résoudre ces problèmes, les spécialistes recommandent de favoriser un modèle alternatif de Wakala modifié, que l’on juge plus approprié au contexte national, surtout au démarrage de cette nouvelle industrie. Ce schéma répandu en Arabie Saoudite et en Malaisie (détenant respectivement 50% et 25% du marché mondial du Takaful) permet une rémunération de l’opérateur par des commissions mais aussi par une partie de l’excédent technique.
L’AMFP montre la voie pour introduire cet intéressement tout en préservant la conformité à la Charia. Dans la jurisprudence islamique des affaires, un prestataire peut être intéressé en liant une partie de sa rémunération à la qualité du travail accompli. Une sorte de commission de performance. Il s’agirait donc concrètement de fixer un seuil de l’excédent technique, au-delà duquel l’opérateur percevra une partie en guise de prime de performance.
