Affaires
Ce que leur a apporté le microcrédit : les clients racontent
Démarrage d’une activité, reconversion, sauvetage de la faillite, amélioration des revenus : chacun a recouru au microcrédit pour une raison particulière.
Si le système ne donne pas l’occasion de devenir riche, il permet à des familles de vivre dans la dignité.
Tous n’en sont pas à leur premier prêt.
Après avoir connu son heure de gloire, le secteur du microcrédit au Maroc, tout comme dans d’autres contrées, tire les leçons de ses erreurs et s’assagit avec un nettoyage entamé, depuis un an et demi, et une restructuration des associations du secteur. Aujourd’hui, le taux d’impayés du secteur, que l’on présentait comme exemplaire avec un niveau inférieur à 1%, est monté à 5% environ, mais le secteur a subi une mutation profonde, et le portefeuille de clients indélicats a été quasiment nettoyé. Selon la définition du ministère de l’économie et des finances, «est considéré comme microcrédit tout crédit dont l’objet est de permettre à des personnes économiquement faibles de créer ou de développer leur propre activité de production ou de service en vue d’assurer leur insertion économique. Le montant du microcrédit ne doit pas excéder 50 000 DH». Loin des success stories présentées à la télé qui permettent au microcrédit d’être le tremplin de la naissance de véritables PME, ce crédit a l’avantage de permettre à des familles de vivre dans la dignité. La Vie éco est allée à la rencontre de cinq clients ordinaires, mais pas tant que ça, car tous ont un parcours atypique.
Naïma C., Vendeuse de produits cosmétiques : Elle travaille pour ses enfants, et ne veut pas qu’ils deviennent des délinquants.
Nos premiers clients sont Casablancais et ont contracté un prêt auprès d’une des grandes AMC de la place. Nous les avons rencontrés à l’agence de Derb Ghallef, à Casablanca. Cette agence affiche un taux d’impayés de 0,36%. Autant dire qu’elle est l’une des rares dans le pays.
Naïma, la cinquantaine, dynamique, est ainsi commerçante depuis trente ans. Grâce au microcrédit, elle vend aujourd’hui des cosmétiques en se déplaçant de bureaux en bureaux, chez ses clientes fonctionnaires. La clientèle est fidèle, selon Naïma. Il y a cinq ans, elle avait souscrit un prêt solidaire avec deux autres femmes, leur activité ne leur offrant que cette solution à l’époque. Leur premier prêt s’élevait alors à 3 000 DH. Depuis lors, elles renouvellent sans cesse leur prêt et leur encours actuel est de 14 000 DH. Le microcrédit, Naïma y a recours essentiellement pour gérer les stocks de marchandise. Elle aurait préféré souscrire un prêt individuel, «pour être tranquille», avoue-t-elle. Naïma, comme tous les clients que nous avons rencontrés, n’a pas de compte en banque. «Trop cher», avance-t-elle. Alors elle a décidé de confier son argent à Western Union pour seulement 5 DH l’année. Le mari de Naïma travaille dans la mécanique. Il se charge des dépenses habituelles de la maison. Quant aux revenus apportés par Naïma, ils permettent de gâter les enfants. «Je travaille surtout pour mes enfants. Je veux éviter qu’ils ne deviennent des délinquants», nous confie Naïma. C’est pour cela qu’elle envisage de continuer à travailler. «J’aurais aimé trouver un travail fixe. J’ai une formation de sténographe. Je n’ai pas réussi. Aujourd’hui, je suis satisfaite car je sens bien que mes revenus augmentent».
Fatima M. Couturière : Elle arrive même à épargner entre 1 000 et 2 000 DH par mois.
Fatima a 60 ans et elle est couturière. Avec sa fille, elle coud et brode des caftans traditionnels. C’est aux côtés de Naïma qu’elle contracte son premier prêt. Dans leur groupe solidaire, elle avoue avoir déjà eu à rembourser les traites de la troisième personne. «Cela ne m’a pas alarmée. Nous sommes solidaires entre nous», témoigne Fatima. Avec le microcrédit, elle a pu acheter une machine sur-jeteuse. Elle a également pu aménager une chambre dédiée à son activité. Pour Fatima, les revenus générés par son activité, entre 1 500 et 3 000 DH par mois selon les périodes, lui servent principalement à financer les médicaments de son mari et à s’approvisionner en matières premières à moindre coût. A l’occasion, ils lui servent également à décorer la maison : «Les hommes ne s’occupent pas de ça», rigole Fatima. Pour les dépenses habituelles, c’est la retraite de son mari qui permet d’en assurer la charge. En fonction de son activité, Fatima arrive à épargner entre 1 000 et 2 000 DH par mois. Très souvent, elle aide ses voisines à payer leur loyer ou même à fabriquer un caftan que le client ne peut pas encore entièrement financer. La générosité dont fait preuve Fatima est surtout le résultat d’une bonne maîtrise des dépenses et recettes.
Abderrahim H., Fabricant de chaussures : Il a pu rebondir grâce à un prêt de 5 000 DH.
Notre dernier client casablancais s’appelle Abderrahim Il a 62 ans et s’est lancé dans l’aventure du microcrédit il y a 5 ans, lorsque son activité rencontrait quelques difficultés. Vendeur et fabricant de chaussures depuis 45 ans, Abderrahim dispose d’un local depuis déjà 26 ans. Le microcrédit qu’on lui a octroyé, 5 000 DH au début, lui a surtout permis d’acheter du matériel et de financer le fonds de roulement avec l’achat de matières premières à moindre coût, au comptant. Depuis, et ce malgré la pénurie de matières premières, il a observé que ses conditions de vie et de travail s’étaient nettement améliorées. Il perçoit actuellement entre 5 000 et 6 000 DH par mois. Toutefois, les trois premiers mois de l’année avec juillet et août sont toujours des mois difficiles. Mais Abderrahim gère d’autant mieux ces aléas qu’il en a l’habitude. Dans ces périodes difficiles, il puise dans l’épargne qu’il a pu mettre de côté. Comme beaucoup, Abderrahim ne dispose pas d’un compte en banque. Cela ne l’empêche pas de rembourser ses traites à temps.
Zhor G., Maîtresse d’école : Elle a monté une crèche qui lui rapporte 4 000 DH par mois.
A une vingtaine de kilomètres de Rabat, à Aïn Aouda, les associations bataillent pour attirer les 30 000 habitants de la petite ville. Parmi eux, Zhor. Chez elle, elle accueille, depuis 9 ans déjà, une quarantaine d’enfants, âgés de 3 à 6 ans, avant qu’ils ne rejoignent le cycle public. En 2006, elle contracte son premier prêt auprès d’une association de la place. Elle équipe ainsi la salle du rez-de-chaussée servant d’école. Deux ans plus tard, elle contracte un autre prêt auprès d’une deuxième association. Zhor fait donc partie des nombreux clients qui connaissent l’endettement croisé. Ce phénomène a été pointé du doigt lorsque les impayés sont devenus récurrents. Zhor a pu contracter ce deuxième prêt tant que les règles d’octroi de prêt n’avaient pas été revues. Pour rembourser les traites, elle s’appuie sur les contributions des parents des élèves, soit entre 60 et 100 DH par mois et par enfant. Aidée de sa sœur qui donne des cours du soir aux adultes du quartier, Zhor peut espérer améliorer et agrandir l’école avec le renouvellement du matériel et l’achat de jouets. Ses revenus, entre 3 500 et 4 000 DH avant le remboursement des traites, l’aident également à acheter la nourriture et les médicaments pour le traitement de sa mère. Zhor n’a jamais connu de difficultés de paiement. C’est en effet la première fois que le remboursement de ses traites connaît un retard. Cela fait 15 jours que la jeune maîtresse attend les contributions des parents.
Laïla T., Eleveuse de moutons : Ses revenus lui ont permis d’ouvrir une épicerie.
A quelques kilomètres de là, à Al Menzah, Laïla, 24 ans, et sa mère ont monté un élevage de moutons. Laïla détient ainsi un prêt à la Fondation ARDI tandis que sa mère dans une autre AMC. Grâce aux prêts, elles ont construit un enclos solide pour les bêtes. Aujourd’hui, l’élevage compte 15 moutons, mais également 3 chevaux, utiles pour le transport. Tout récemment, elles ont aménagé une pièce en épicerie avec un capital de départ de 3 500 DH issus des revenus de l’élevage. Depuis la fenêtre, les clients se font nombreux. Il faut dire que la demande est là et aucune autre épicerie alentour pour la satisfaire. La maison a également profité du microcrédit. Le premier étage est en cours de rénovation. Déjà l’escalier extérieur arbore une jolie mosaïque tandis que le sol est carrelé au fur et à mesure de l’entrée de recettes. Un bel exemple où les femmes prennent les choses en main. Dans le microcrédit, plus de la moitié des clients sont des femmes.
