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Ce que coûte la flambée des matières premières alimentaires au Maroc

En 2011, les importations de blé, maïs et sucre ont coûté 6,7 milliards de DH plus cher qu’en 2010, soit l’équivalent de 4% des réserves de change. La suspension des droits de douane sur les importations de blé à  partir d’octobre occasionnera un manque à  gagner de près de 1,2 milliard de DH.

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Après plusieurs mois de relative stabilité, les cours des matières premières alimentaires connaissent à nouveau une hausse significative. En un peu plus de trois mois, soit du 13 juin au 21 septembre 2012, le cours du blé à Paris a enregistré une hausse de 28,6%. Pareil pour le maïs, dont le cours a grimpé de 26,8% sur la même période. Seul le sucre semble échapper jusqu’à présent à cette flambée, mais son cours reste volatil et une hausse n’est pas à exclure.

En plus des sécheresses que traversent certains des principaux pays exportateurs de céréales (Etats-Unis, Russie, Kazakhstan…), l’explication de ces hausses désormais structurelles des cours tient à la fragilité des principales bourses mondiales et la financiarisation de plus en plus poussée des marchés des matières premières et alimentaires. En effet, l’augmentation des risques sur les marchés actions en cette période de crise oriente les grands investisseurs mondiaux vers le marché des matières premières en général et celui des matières agricoles en particulier, jugé plus sûr et plus rémunérateur. Le phénomène est amplifié par les politiques monétaires d’assouplissement quantitatif opérées par la Réserve fédérale américaine en 2008, 2010 et en 2012 (rachats d’obligations aux banques en faisant tourner la planche à billet pour relancer l’économie), ce qui a créé davantage d’inflation sur le marché des matières premières alimentaires, en plus de diluer davantage la valeur du dollar, principale monnaie d’échange des denrées alimentaires.

Le Maroc fait partie des pays structurellement dépendants des importations de céréales pour garantir la sécurité alimentaire de leurs populations, et, par conséquent, les plus vulnérables face à la flambée des cours mondiaux de ces denrées. Et cette dépendance du Maroc existe, quel que soit le niveau de la production locale annuelle de céréales. Cela se traduit par un niveau d’importation relativement élevé de matières alimentaires, dominé principalement par les céréales. La part du volume des importations de céréales dans le total de la demande nationale céréalière tourne autour de 47% sur la période 2000-2012.

On importe la moitié de ce qu’on consomme en céréales

Cependant, le problème ne réside pas seulement dans le volume des importations de céréales qui est relativement stable dans le temps, mais réside principalement dans le prix de ces dernières. Ainsi, la part en valeur des importations des matières alimentaires dans le total des importations n’a cessé d’augmenter depuis 2009 : elle est passée de 9,2% à 10,8% en 2011, et ce, malgré la forte hausse du dénominateur (importations globales) en raison du renchérissement des cours du pétrole. Et tout porte à croire que la tendance sera maintenue en 2012 au vu de la récolte moyenne de céréales et des prix qui demeurent élevés à l’international. A fin août, la part de l’alimentaire dans les importations demeure à 10,8% mais il faut savoir que la saison des importations de céréales n’a pas encore démarré et que les achats de céréales, souvent effectués à terme, n’étaient pas encore impactés par la flambée actuelle des cours.

N’empêche que cette hausse des cours pèse lourdement sur les finances de l’Etat marocain, aussi bien en termes de subventions qu’en termes de réserves en devises du fait du surcoût des importations. Et cela dure depuis des années.

A titre d’exemple, en 2011, les importations de blé, de maïs et de sucre, qui représentent à elles seules 54,4% du total des importations alimentaires, avaient coûté 6,7 milliards de DH plus cher qu’en 2010 (+46%), soit l’équivalent de 4% du total des réserves de change au titre de l’année 2011, ceci alors que les quantités importées n’ont progressé que de 11,8%. Ce surcoût, il a fallu le puiser dans ces mêmes réserves qui ne représentent plus que 3,8 mois d’importations à l’heure actuelle. Par rapport à 2009, le surcoût s’élève à 9,3 milliards de DH, soit une hausse des importations de près de 80%.
A cette dégradation de la balance commerciale et son impact sur les réserves de change s’ajoutera la future suspension des droits de douane à l’importation de blé à partir du mois d’octobre, telle qu’annoncée par différentes sources gouvernementales, en vue d’assurer un approvisionnement régulier du Maroc en blé. Cette mesure occasionnera un manque à gagner en devises estimé à peu près à 1,2 milliard de dirhams.

Ainsi, bien que les hydrocarbures constituent toujours la principale charge en termes de devises pour le Maroc, il n’en reste pas moins que l’effet combiné de la baisse des réserves de change et de la hausse soutenue des cours des denrées alimentaires fera que, dans les prochaines années, la charge des importations alimentaires sera de plus en plus lourde sur nos avoirs extérieurs.
Sur un autre plan, la résilience de l’économie marocaine face à la flambée des cours des matières premières est grandement tributaire du système de compensation et de subvention qui existe au Maroc. Cependant, le prix à payer est lourd. En 3 ans, soit de 2009 à 2011, la charge de compensation pour le sucre uniquement a atteint 13,3 milliards de DH. Si on y ajoute les dépenses destinées aux farines subventionnées, on atteint un total de 21,2 milliards de DH, soit presque le double du budget de la Santé pour 2012. D’autant plus que le déficit public ne cesse de s’aggraver.

Le poids des subventions n’est plus soutenable

Si ce système était relativement gérable avant 2007, soit avant que l’instabilité et la flambée des prix au niveau des marchés des matières premières n’atteignent ces proportions, il est désormais évident qu’un changement de paradigme s’impose, au vu de la durabilité de cette hausse des prix, et dont personne à l’heure actuelle ne peut prédire exactement l’évolution future (voir encadré).

La balle est dans le camp du gouvernement qui aura assurément besoin de courage politique et d’audace pour régler durablement, d’une manière ou d’une autre, le problème de la charge de compensation qui devient de plus en plus ruineuse pour les finances de l’Etat. D’un autre côté, les finances extérieures risquent ainsi d’être mises à rude épreuve les prochains mois, et tous les regards se tournent vers les réserves de change, sachant que l’une des clauses de l’octroi de la ligne de crédit de 6,2 milliards de dirhams au Maroc par le FMI est de garder les dites réserves à un niveau minimum de 4 mois. Plus facile à dire qu’à faire, d’autant qu’une autre épée de Damoclès risque de planer sur nos finances, celle des cours du pétrole et du gaz, qui sont également promis à une augmentation significative. Comme le dit l’adage, «un malheur n’arrive jamais seul».