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Affaires

CDG : le difficile équilibre entre rentabilité et service public

La CDG rejette l’image d’investisseur irrationnel que des observateurs
lui attribuent n Tout en assumant sa mission d’intérêt général,
elle dit refuser d’aller au-delà de ce que ses moyens lui permettent
Les investissements à logique de rentabilité financière
visent 10 à 20 % de rendement.

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Les milieux financiers ne sont pas avares de commentaires quand il s’agit d’apprécier la politique d’investissement de la CDG (Caisse de dépôt et gestion). Sa prise de contrôle de la BNDE, avec la récupération au passage de plusieurs filiales malades de cette banque, entre autres Cellulose du Maroc, Maroc Leasing et la CMM (Caisse marocaine des marchés) a ravivé les critiques. Les mauvaises langues considèrent la caisse comme le «pompier de service» de l’Etat et s’interrogent sur la logique de ses choix. Critiques fondées ou simples attaques contre une institution dont le fonctionnement n’est toujours pas bien compris, 40 ans après sa création ? Dans tous les cas, les données figurant sur le bilan 2002 suscitent des interrogations.
A la clôture de cet exercice, le portefeuille de participations de la CDG s’est élevé à 5,61 milliards de DH en coût d’acquisition, contre à peine 3,64 milliards inscrits en net au bilan. Autrement dit, le stock de provisions pour dépréciation des titres détenus avoisine les 2 milliards de DH, ce qui correspond à plus de 35 % du total du portefeuille. Cette situation est restée stationnaire pendant l’exercice en cours. La valeur brute des participations totalise 4,4 milliards de DH pour un solde net de 2,4 milliards.
Bien évidemment, à l’instar du reste des institutionnels, la chute vertigineuse des cours enregistrée entre 1999 et 2002 est passée par là, mais les participations de la CDG comptent pour près de la moitié des titres non cotés. La plus grande souplesse en matière de provisionnement de ces derniers, notamment quand ils sont qualifiés de stratégiques, a sans doute dû lui épargner un effort encore plus coûteux.
Ainsi, le portefeuille de participation présente, dans l’absolu, un risque de marché visiblement élevé. Celui-ci est sans doute exacerbé par sa concentration. Les quatre titres, Régie des tabacs, CIH, Meditelecom et BNDE, en représentent respectivement 22,4 %, 20,8 %, 11,4 % et 7,4 %, soit 62 % du total.
Autre talon d’Achille du portefeuille tel qu’il ressort des comptes à fin 2002 : le rendement de dividende. En effet, avec à peine 116,2 MDH (contre 213,3 MDH en 2001) celui-ci s’établit à 2,1 %. Et comme la CDG n’a fait pratiquement que des acquisitions en 2002 (la seule cession a porté sur le titre Asment Temara), les plus-values sur titres de participations ne sont pas, non plus, au rendez-vous.

La performance du portefeuille risque d’être inhibée par les nouvelles acquisitions
Quant à l’exercice 2003, il ne devrait pas changer radicalement la donne. Au contraire, les mouvements opérés à ce jour risquent bien d’accentuer les motifs de critiques précités. Sur ce volet, on relève plusieurs cas.
La cession à SIGER (holding qui gère le patrimoine de la famille royale) du bloc de 3 % de l’ONA, avec un prix qualifié de «sacrifié» par les professionnels du marché, ampute le portefeuille d’un de ses titres le plus pourvoyeur de dividendes.
L’acquisition auprès de la SNI de ses 22 % de Cellulose du Maroc et la participation à l’augmentation de capital de la Comanav (145 MDH) sont des opérations de sauvetage dont la logique d’investissement s’apparente, selon des financiers, à de la spéculation. La reprise en main d’une partie des participations de la BNDE ne fera sans doute qu’inhiber la performance du portefeuille, du moins pour le moment. Car, concrètement, les 60 % additionnels de la CMM, société en proie à de graves difficultés, ou les 22 % supplémentaires dans Maroc Leasing, entreprise en perte de vitesse qui fait pâle figure devant ses principaux compétiteurs (Maghrebail et Sogelease), à tel point que toutes les sociétés de bourse recommandent sa sous-pondération dans les portefeuilles, n’apporteront pas grand-chose de sitôt.
Dans ce «bel héritage» se trouve aussi Safacred, petite société de crédit à la consommation, qui a déjà commencé à rogner son capital de 10 MDH.
L’exercice en cours est aussi marqué par des tentatives «plus ou moins coûteuses» de redressement ou redéploiement d’autres anciennes filiales en difficulté. On relève ainsi l’augmentation de capital de la SOFAC de 100 MDH, qui servira à peine à éponger les pertes cumulées à ce jour et celles attendues pour 2003 et 2004, ou le rapprochement entre Sogatour (société largement déficitaire dont les principales unités hôtelières sont N’Fis à Marrakech, Jnane Palace à Fès et Royal Golf à El Jadida) et Sotoram (filiale de la RAM).
Au demeurant, la CDG se trouve confrontée à un exercice délicat dans la gestion de son portefeuille de participations qui devrait naturellement se traduire par des choix cohérents quant à la politique d’allocation d’actifs entre les secteurs économiques. Il se résume comme suit : comment concilier entre sa mission de service public ou d’intérêt général et les objectifs de rentabilité consignés dans son rapport d’activité ?

La mission de service public est limitée aux projets équilibrés

A la caisse, les dirigeants, qui ont reçu, chacun de son côté, La Vie éco, se montrent très sereins. Dans l’interview qu’il nous a accordée (voir page suivantes), Mustapha Bakkoury, son DG, est revenu plusieurs fois sur la rentabilité comme principal critère de choix des investissements. Il précise que le public a une fausse image de la CDG, qui prend librement ses décisions, sans aucune pression de la part de l’Etat. Dans la foulée, M. Bakkoury rappelle que la caisse ne gère pas des fonds publics (au sens littéral du terme) mais de l’argent privé. Bref, elle est tenue de le faire fructifier, tout en participant, sans aller au-delà de ce que ses moyens lui permettent, à la mise en place de conditions économiques destinées à accélérer la croissance, avec des retombées sur son activité.
Ce souci est expliqué autrement par Ahmed Draouich, directeur du pôle participations et placements. Pour lui, l’investissement des fonds propres est fondé sur deux points : une logique de rentabilité financière pure et une logique de rentabilité économique. Pour la première, les objectifs sont conformes aux standards du marché. Les investissements initiés dans ce cadre doivent assurer un retour sur investissement compris entre 10 % et 20 %. La seconde est fondée sur la mission de service public, mais toutes les opérations financières doivent être équilibrées ou menées avec un objectif de rentabilité équivalent au rendement des bons du Trésor à 10 ans, soit entre 4 % et 5 %. «Rien ne se fait à perte», assure le directeur du pôle participations et placements qui souligne, tout comme Hassan Boubrik, que la caisse est un investisseur à long terme, ce qui lui permet de «faire ce que le privé ne peut pas faire».

Les fonds de la CNSS seront rémunérés sur la base d’un taux variable

Autre précision importante: la majeure partie des risques n’est prise que sur ses fonds propres. La caisse investit environ 80 % du total des ressources (environ 70 milliards de DH, y compris les ressources des organismes de retraite) dans les obligations, 7 % sont placés dans des actions cotées et non cotées et 13 % dans des actifs physiques et non physiques. Une gestion de père de famille qui se traduit dans la nouvelle stratégie par la diversification des risques, marquée, entre autres, par la création de fonds d’investissement spécialisés.
Les quelques «dégâts» qu’il y a eu, la direction générale s’engage à les réparer. Cette décision s’est traduite par la montée en puissance dans la BNDE, opération destinée à préserver les participations et les créances détenues dans cette banque, mais «non commandée», rappelle avec force M. Bakkoury qui bénéficie toujours, sur la place, de préjugés très favorables.
L’on présume ainsi que les ressources, notamment nos retraites, sont entre de bonnes mains. Il n’empêche, certains gros déposants veillent au grain et réclament même un peu plus en termes de rendement. C’est par exemple le cas de la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale) qui ne veut plus se contenter de 4,75% sur ses avoirs (14 milliards actuellement) confiés à la CDG. «Les deux parties se sont mises d’accord sur le principe d’un taux variable», indique Abdessalam Aboudrar, secrétaire général et toujours en charge du pôle prévoyance. Le corollaire de cet accord est que la stratégie de placement sera arrêtée en commun. Une ouverture qui, il y a quelques années, relevait de l’impensable