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Affaires

CDG, des interventions pas toujours bien comprises

L’emprise de la caisse sur l’économie en agace plus d’un.
Elle multiplie les acquisitions d’entreprises, en crée de nouvelles
et lance des projets d’envergure.
Ses responsables répètent à l’unisson que toutes
les interventions s’inscrivent dans la stratégie de développement
de l’Etat.

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Ilne se passe plus un mois, depuis l’année 2000, sans que la CDG ne soit au cœur de l’événement économique. Elle achète à tour de bras des structures, s’y renforce ou en crée de nouvelles : CIH, Atlanta/Sanad, Meditelecom, Afriquia Gaz, Maghreb oxygène, Comanav, Maroc Leasing, Caisse marocaine des marchés, Cellulose du Maroc, Sothermy, Accès capital, Sindibad, Maghreb Titrisation, Maroclear, Upline technologies, Maroc hôtels villages, Kora développement, Sabr aménagement… tous les secteurs sont investis.

Mais ce dynamisme ne date pas de ces quatre ou cinq dernières années, comme on serait tenté de le croire. «La CDG multiplie les projets qui s’inscrivent dans la stratégie de développement de l’Etat, depuis sa création, en 1959», précise Abdesselam Aboudrar, directeur général adjoint de la CDG. Tous les responsables du groupe, qui ont longuement reçu La Vie éco, mardi 15 mars, répètent à l’envi que «c’est parce que la caisse communique davantage à propos de ses activités que les observateurs ont le sentiment qu’elle est partout».

La CDG est souvent désignée comme le bras armé de l’Etat, qui accompagne ses élans de développement après qu’elle ait accumulé un trésor de guerre. Une mission difficilement acceptable, car les observateurs partent du principe que les fonds propres de la CDG ont été générés grâce aux retraites des salariés du privé (CNSS) et d’une partie du public (RCAR et CNRA). Et que la richesse accumulée leur appartient en retour. L’emprise de la CDG sur l’économie n’est pas toujours bien acceptée. Les mêmes questions reviennent à chaque fois que la CDG est évoquée. Quel est son rôle ? A quoi sert son action ? D’où viennent les fonds investis ? Comment se voit-elle confier des projets publics de gré à gré ? Qu’est-ce qui justife même son intervention ?

Les premiers éléments de réponse nous viennent d’abord de son histoire. En créant un établissement public pour gérer les retraites des salariés, l’Etat voulait préserver des fonds importants pour l’équilibre social. Les placements effectués exclusivement dans les obligations étatiques généraient des rentrées d’argent importantes, dont une partie revenait à la caisse au titre de ses frais de gestion. «Ce capital, qui n’appartient ni à l’Etat ni aux déposants, devait être fructifié; la caisse allait investir dans le tourisme pour accompagner l’élan de l’Etat», explique Khalid Laraïchi, directeur de cabinet de Mustapha Bakkoury, directeur général de la CDG. Et d’ajouter que «la nature de ces fonds – une épargne à très long terme – permettait à la CDG de se lancer dans une telle aventure pour créer le courant». On est en 1967, une période marquée par un renforcement des investissements dans l’industrie hôtelière. La CDG s’implique alors activement dans cette nouvelle «wave» par la création d’un nombre important d’unités hôtelières, notamment dans le Nord, par le biais de sa filiale Maroc-Tourist.

En multipliant les investissements, 40 ans plus tard, la CDG se retrouve avec un trésor de guerre qui donne aujourd’hui le tournis. A côté de sa mission originelle de gestionnaire des retraites et dépositaire des avoirs privés et réglementés, elle est présente partout. «Et nous ne comptons pas nous arrêter à ce niveau, nous projetons d’être numéro un dans tous les domaines d’ici 2010», martèle M. Laraïchi.

Des actions centrées sur la région
«Il faut voir dans nos interventions une action structurante pour l’économie nationale. Nous créons le courant pour que d’autres suivent le mouvement», souligne Khalid Laraïchi. La CDG fait aujourd’hui de l’action régionale son fer de lance. «Nous jouons un rôle de fédérateur de tous les acteurs locaux pour lancer des projets structurants pour la communauté», précise notre interlocuteur. Cette nouvelle stratégie est représentée par la mosaïque des entreprises de CDG Développement, qui interviennent dans les activités opérationnelles du groupe. M. Laraïchi note que «les élus et les autorités locales sont encore en train d’apprendre les mécanismes de la région». Des premières expériences de la caisse avec les acteurs du développement régional, il retient «la difficulté d’établir des relations d’affaires et entretenir une cadence nécessaire pour le démarrage des projets. Mais nous y allons coûte que coûte parce que nous sommes investis d’une mission». La CDG s’est fortement impliquée dans cette voie en adoptant une stratégie spécifique, qui prend en compte les potentialités, les moyens et les demandes de la région. «Notre action est motivée, d’un côté, par la volonté des populations locales de s’impliquer dans la construction de leur avenir, et de, l’autre, par l’accroissement des pouvoirs et des responsabilités institutionnelles des élus sur le plan du développement économique, social et culturel», explique M. Laraïchi. Et d’ajouter: «C’est parce que les politiques de développement ont toujours été décidées au niveau central et ne prennent que partiellement cet aspect participatif des populations que la caisse lance des études et analyses pour comprendre chaque région, ses moyens de décollage économique et la réalité de ses besoins. L’essentiel, c’est notamment de savoir exprimer les besoins, ce qui, dans la majorité des cas, fait défaut au niveau des collectivités». L’idée est d’arriver à poser les vrais problèmes et à mettre en place une forme de partenariat, selon les possibilités d’intervention des uns et des autres, pour dégager une vision globale et une stratégie d’exécution dans un cadre de concertation de place avec tous les intervenants. «Mais il ne faut pas appliquer les mêmes stratégies à toutes les régions, car c’est en valorisant le patrimoine local que l’on réussit les programmes», fait remarquer M. Laraïchi. Il donne dans ce sens le mauvais exemple des régions qui, sans disposer des moyens nécessaires au développement d’un projet, s’y lancent et se trouvent par la suite confrontées à des difficultés énormes. Certaines régions ne disposent pas des ressources humaines ni des finances suffisantes et adéquates pour étudier les choix de développement possibles. Et la CDG intervient dans ce sens pour dégager des potentialités, chercher les financements et mettre en place les compétences nécessaires pour les concrétiser.

Rentabilité et intérêt général
«La mauvaise coordination des différentes interventions au niveau de la région et le manque de ressources adéquates pour des besoins économiques et sociaux spécifiques retardent l’éclosion d’une réelle dynamique», souligne M. Aboudrar. Le groupe peut, dans ce sens, structurer tout ou partie des projets, financer ou simplement assister les acteurs en vue de concrétiser leurs stratégies, dans un esprit d’harmonie avec les spécificités financières, économiques et sociales de chaque région. M. Laraïchi notera enfin que la région devrait développer ses propres moyens financiers. En ce sens qu’une réforme de la fiscalité s’impose.

Parmi les projets pilotés dans la région, citons celui de l’Aguedal, à Marrakech, qui s’étale sur une superficie de 9 ha, avec une capacité de 7 000 lits. Ce projet s’intègre dans une vision globale d’aménagement de la ville, en partenariat avec la collectivité locale. «Nous sommes dans une logique économique similaire à celle de tout autre investisseur ; nos ne profitons pas de subventions étatiques», note Mohamed Esqalli, directeur général de Maroc hôtels villages. Cette filiale, créée en 2002, prend déjà en charge plusieurs projets importants comme les parcs industriels de Casashore (Casablanca), Bouznika, Gueznaya (Tanger), Jorf Lasfar (El Jadida), et les zones touristiques et d’aménagement de Zahrat Annakhil et Aguedal, à Marrakech, Ghandouri, à Tanger, Boulemane, à Fès, ou encore la cité d’offshoring Technopolis, à Casablanca.

La majorité de ces projets ont été confiés de gré à gré à la CDG. Et les opérateurs ont le sentiment que l’Etat la privilégie au détriment d’autres groupes de la place qui peuvent les prendre en charge tout aussi convenablement que la caisse. «Détrompez-vous, il n’y en a pas beaucoup au niveau national qui peuvent s’inscrire dans une logique de rentabilité, conditionnée par l’intérêt général», fait remarquer Mohamed Esqalli. Selon lui, «la CDG a capitalisé un savoir-faire et une notoriété qui lui permettent à chaque fois de mener à bien ses projets structurants, avec un engagement de les entretenir dans la durée».

Certaines opérations critiquables
Le modèle que développe la CDG n’est pas unique dans le monde. Celui de la Caisse de dépôt et de consignation française est dans la même logique. «Nous sommes un établissement public qui gère des fonds privés et nous avons la responsabilité de les faire fructifier», souligne M. Laraïchi. «La gestion s’est beaucoup améliorée sur la dernière décennie», confie M. Aboudrar. La caisse fait aujourd’hui une nette distinction entre les liquidités des retraites qui lui sont confiées et ses propres fonds. «Ce sont nos propres fonds que nous investissons dans des activités de développement national, alors que les retraites sont investies dans des placements sûrs, notamment les bons du Trésor», explique-t-on au sein de la CDG.

Mais l’engagement de transparence de la CDG est encore mal cerné. Ses responsables rechignent à démontrer par des chiffres la rentabilité des projets entrepris et indiquer les horizons de placement qui permettent à la caisse de récupérer sa mise. Les chiffres sont consolidés, ne facilitant pas une lecture de la stratégie de la caisse. Ce sentiment est partagé par la majorité des observateurs auxquels la question a été posée. «Autant nous comprenons que la CDG s’engage dans TangerMed, ou l’Aguedal, pour servir la communauté, car la fluidité de ses procédures permet une prise en charge rapide des premières dépenses nécessaires à la conception des projets, autant nous nous demandons ce qui justifie ses interventions dans la BNDE, le CIH, le microcrédit ou le reboisement», soulignera un chef d’entreprise. Autrement dit, certains choix d’investissement sont bel et bien guidés par la main invisible de l’Etat.

Mais pour convaincre, M. Laraïchi rappellera que, si «la CDG s’engage dans des projets comme le Fonds de refinancement des associations de microcrédit, qui peuvent paraître à première vue s’écarter de ses activités de base, elle est motivée par un souci d’équilibre vertueux entre rentabilité et intérêt général. Nous sommes dedans car c’est une activité qui se développe bien et qui rapporte beaucoup d’argent. Et nous sommes prêts à multiplier de tels succès à chaque fois que l’opportunité s’en présentera».

«Elle doit penser à partager avec les petits»

bouchaïb Benhamida Président de la Fédération nationale des BTP

«Des projets d’aménagement et des programmes de logements sociaux sont confiés à la CDG de gré à gré. La réglementation de passation des marchés publics prévoit la procédure, mais la conditionne à des critères. Il faut que le bénéficiaire justifie qu’il est le seul à pouvoir prendre en charge ce projet. Or, comment démontrer le contraire si les collectivités locales n’organisent pas systématiquement un appel d’offres. Au sein de la Fédération des BTP, nous ne nous sommes pas encore penchés sur ce dossier pour évaluer la pertinence de cette démarche. Mais nous le ferons bientôt en nous rapprochant de la CDG pour mettre en place de nouvelles formes de partenariats. Je pense que la CDG peut procéder au lotissement de ces projets au profit des entreprises nationales du secteur.