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Université d’entreprise : Entretien avec Omar Benaini, Directeur associé de LMS ORH

Ancrage dans la stratégie de l’entreprise, amélioration de la performance, développement du leadership et de la conduite du changement, transfert du savoir-faire…, les universités d’entreprises répondent à plusieurs objectifs. Elles remplissent également une mission complémentaire pour la culture d’entreprise.

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Au Maroc, on en compte une vingtaine de structures portant plusieurs appellations : université d’entreprise, institut, campus, académie, fondation…

Certaines sont affiliées à de grandes entreprises ou holding publiques ou encore les ministères qui ont développé de façon pionnière des établissements de type Université d’Entreprise. Quels sont leurs objectifs ? Quelles sont les questions essentielles que doivent se poser les dirigeants avant de décider de mettre en place ces structures et pour quel retour sur investissement ? Eléments de réponse avec Omar Benaini, directeur associé de LMS ORH.

Académie, université d’entreprise, institut de formation, campus… Beaucoup d’entreprises ont mis en place ces structures. Répondent-elles vraiment à un besoin ?

L’origine de ce terme générique «Université d’Entreprise» nous vient des Etats-Unis. La première université d’entreprise remonte à 1919 et fut créée par Général Motors. Le «Général Motors Institute» avait à l’époque pour vocation exclusive de former les salariés de l’entreprise à l’ingénierie.

Ces structures ont alors essentiellement vocation à compléter les formations métiers de leurs salariés, le système scolaire ne permettant pas de développer les compétences techniques requises. 

Le PDG John F. Welch considérait que «de nouvelles compétences managériales définies par la stratégie de l’entreprise doivent être acquises pour mettre en place les activités planifiées». Au service de la stratégie de l’entreprise et impulsée par ce PDG emblématique, cette initiative pose les bases de ce qu’est une Université d’Entreprise par opposition à un centre de formation classique.

Les Universités d’Entreprise vont véritablement émerger dans les années 70 et 80 avec de grandes enseignes comme Mc Donald’s, Motorola et Disney qui ont créé leur propre structure de formation dans le but de garantir une homogénéité du développement des compétences et des valeurs d’un pays à un autre. Elles sont donc étroitement liées au développement international des entreprises.

Depuis, beaucoup de choses ont changé dans l’univers des Universités d’Entreprise : la gouvernance, les bénéficiaires, les technologies, la vitesse de déploiement, les contenus, les méthodes d’apprentissage, les modes d’organisation…Pour schématiser on peut considérer qu’il y eu trois phases d’évolution : le centre de formation, l’Université d’entreprise et la Corporat Academy.

Le centre ou Institut de formation a une vocation strictement opérationnelle et vise le développement des compétences individuelles des salariés dans une logique d’efficacité.

L’université d’entreprise joue le rôle d’alignement des cadres avec la stratégie de l’entreprise par la mise en réseau, l’implication et le développement du leadership des cadres.

Enfin, la Corporate Academy qui a une vocation éminemment stratégique et qui situe son action au cœur des projets de transformation de l’entreprise. Au-delà de sa contribution au développement de nouvelles compétences et de l’innovation chez les collaborateurs, elle appuie la transformation des organisations et des métiers en lui donnant du sens. Elle vise aussi à diffuser une culture homogène et commune à travers toutes les entités de l’entreprise.

Quels sont les bons exemples qui existent actuellement au Maroc et à l’étranger ?

Actuellement, on estime à plus de 4 000 le nombre d’Universités d’entreprise dans le monde dont près de 2 000 aux USA, soit à peu près autant que d’universités traditionnelles. En France, elles sont estimées à près d’une centaine. Au Maroc on en compte une vingtaine portant plusieurs appellations: université d’entreprise, institut, campus, académie, fondation…

Certaines sont affiliées à de grandes entreprises ou holding publiques comme  l’OCP, la CDG, Barid Al Maghrib, l’ONE, Marsa Maroc…, d’autres s’intègrent dans des entreprises et groupes privés : BMCE Bank, SNI, Axa, Attijariwafa Bank, Lydec…

Certains ministères ont développé de façon pionnière des établissements de type Université d’Entreprise notamment le ministère de l’équipement, le ministère des finances, le ministère de l’agriculture… L’importance du nombre estimé d’universités d’entreprises révèle ainsi une réalité multiple et complexe liée à la spécificité de l’organisation et de la gouvernance des groupes auxquels elles sont rattachées.

Au niveau international, l’université d’entreprise en Europe voit le jour en 1972 chez Fiat. Dans les années 1980, Capgemini, mais aussi Carrefour et Accor mettent sur pied leur propre université. Une réponse à l’apparition de nouveaux enjeux stratégiques, comme l’internationalisation et les grandes fusions internationales.

En 1995, l’université AXA est créée notamment pour «digérer» la fusion avec l’UAP.

La première mission de l’université est une réponse aux problématiques de conduite du changement, de recrutement et de fidélisation des collaborateurs.

A partir de 2005, la plupart des universités «corporate» font largement appel aux technologies de l’information et aux réseaux sociaux.

Au niveau sectoriel, les entreprises qui ont le plus investi dans les corporate academy  exercent dans le secteur pétrolier, la banque et l’assurance, l’aéronautique, les constructeurs automobiles, les BTP, l’Energie et mines, l’hôtellerie, le transport…

Quels sont les objectifs de «l’Université d’entreprise ?»

Les universités d’entreprise sont des structures de développement des compétences intégrées au sein des entreprises pour mettre en œuvre les stratégies business dans toutes leurs dimensions (économiques, technologiques, humaine..).

Elles utilisent la culture de l’entreprise, son identité, sa marque comme éléments fédérateurs de cohésion et de transformation. Elles favorisent le développement du leadership des managers, leur capacité à innover et à conduire le changement. Elles contribuent enfin à renforcer l’attractivité de l’entreprise et à promouvoir la marque employeur.

En effet, au-delà de leurs différences, les universités d’entreprise présentent un certain nombre de caractéristiques communes notamment l’ancrage dans la stratégie de l’entreprise, l’amélioration de la performance, le développement du leadership et de la conduite du changement, le transfert du savoir-faire et renforcement des compétences, le renforcement de la culture d’entreprise et de la marque employeur…

Sur quelles bases on peut classer les universités d’entreprises ?

Il est possible de construire une typologie des universités d’entreprise au travers de 5 paramètres principaux. Les objectifs stratégiques, c’est à dire la vision que les dirigeants ont donné à l’université. Trois principaux objectifs sont le plus souvent affichés : le développement des talents et du leadership, la création d’une identité commune ainsi que l’accompagnement et le déploiement de la stratégie business.

Le choix de cet objectif permet d’identifier le champ d’intervention de l’université d’entreprise. Elle peut être un centre de formation, un accélérateur de Leadership, une plateforme stratégique ou un réseau apprenant.

Ensuite, le public-cible. L’université d’entreprise ne concerne pas nécessairement tout le personnel. L’objet n’est pas nécessairement la formation ni les qualifications au sens fonctionnel. Généralement les principaux bénéficiaires de l’université d’entreprise sont le top management, les hauts potentiels et les titulaires des postes critiques.

Il est également possible d’en élargir le périmètre pour toucher d’autres catégories du personnel. Tout dépend des priorités qu’elle s’est fixée.

Les autres paramètres concernent également l’offre de services et de programmes, le modèle pédagogique et l’organisation de l’université d’entreprise

Qu’est-ce qui distingue l’Université d’entreprise d’un centre de formation interne ?

En plus de la transmission de compétences et de connaissances qui constituent les piliers classiques de ce qu’est un centre de formation interne, l’université d’entreprise repose sur la formulation d’une promesse légitimée par des valeurs, du prestige et de la reconnaissance.

La question des valeurs se retrouve presque systématiquement au cœur de tous les projets d’universités d’entreprises. Souvent décrite comme une structure permettant de développer «l’ADN» d’une organisation, l’université d’entreprise peut se saisir des valeurs de deux manières. Soit celles-ci préexistent et elle sera chargée de les incarner ; soit elles n’ont pas encore été formalisées et il reviendra à l’université d’entreprise de le faire dans ses programmes puis de les diffuser.

Le prestige est fondamental car il vient légitimer et valoriser la promesse faite au salarié.

Il provient de l’association avec une institution académique de premier plan

Université ou grande école qui fournit contenus, professeurs et, parfois, attestations.

Dans le contexte marocain ce point est très sensible. Beaucoup de salariés n’ont pas eu la possibilité de faire ou de finir leurs études supérieures et vivent avec la frustration d’une ambition inaccessible.

Contrairement à d’autres pays ou la validation des acquis de l’expérience permet aux salariés d’obtenir l’équivalence officielle de diplômes académiques, au Maroc l’université d’entreprise est le seul moyen de reconnaissance qui permet aux collaborateurs de valoriser leurs compétences.

Quelles sont les questions essentielles que doivent se poser les dirigeants avant de décider de créer une université d’entreprise ?

Une Université, Pourquoi faire ?

Définir les priorités de l’université d’entreprise, c’est anticiper l’offre et la demande. Élaborer sa chaîne de valeur permet de déterminer son offre, ses intervenants, ses commanditaires, ses clients et leurs rôles respectifs.

Une Université, Pour qui ?

Quel est le public-cible? L’université d’entreprise est-elle élitiste ou universelle? Comment répondre aux attentes des deux types de clientèle : les individus bénéficiaires (les salariés) et des clients internes (les Manager d’opérations ou de Business Unit).

La réponse à ces questions conditionnera l’organisation générale de l’université d’entreprise et son message.

Tous ces publics ne sauraient être servis efficacement sans une sérieuse approche marketing. L’université d’entreprise doit donc réaliser une segmentation de ses cibles et élaborer une communication adaptée à chacune d’entre elles.

Une Université de quelle forme ?

Quelle sera la forme de l’université d’entreprise ? Il s’agit de définir à la fois son rayon d’action et sa dimension symbolique. En d’autres termes, il faut d’abord définir si l’université d’entreprise est réservée à toutes les fonctions et secteurs d’activité de l’entreprise ou si elle ne s’adresse qu’à certains en particulier. Ensuite il s’agit de déterminer si elle est une entité virtuelle c’est-à-dire une marque ou si elle a une existence physique. Cette question comporte en plus des implications importantes en termes de coûts de fonctionnement.

Une Université avec quelles valeurs ?

L’entreprise a-t-elle déjà effectué un travail sur ses valeurs ? Si oui, comment peuvent-elles être déclinées de manière efficiente et systématique par l’université d’entreprise ?

Une Université avec quelle promesse ?

Que signifie le passage par l’université d’entreprise pour un salarié ? Que peut-il en attendre à court et moyen terme ? Les créateurs de l’université d’entreprise doivent considérer que passer par un programme d’université d’entreprise génère nécessairement des attentes de la part des salariés. L’entreprise doit pouvoir se doter des instruments afin d’y répondre dans des délais raisonnables.

Comment évaluer la qualité des programmes et mesurer le retour sur investissement des universités d’entreprise ?

• Le retour sur investissement des prestations et programmes des Universités d’Entreprise est difficile à évaluer. Mais certaines organisations parviennent à mesurer leur programme avec rigueur. Celles qui réussissent le mieux lient directement leur programme à des mesures associées à des objectifs stratégiques, comme la réduction de coûts, l’augmentation du chiffre d’affaires, le taux de fidélisation des cadres à haut potentiel……

Ces indicateurs de mesure peuvent être divisés en trois catégories :

• Les mesures d’activité qui consistent à mesurer l’utilisation et la participation des bénéficiaires, comme le nombre de documents consultés par le bénéficiaire après la formation, nombre moyen d’heures de formation par an, le taux d’accès à la formation, nombre de salariés ayant suivi une formation certifiante  ….

• Les mesures d’efficacité du processus assurent que la compétence critique se répand là où elle est utile pour atteindre des buts stratégiques. Un programme de formation avec une approche basée sur les connaissances apprises suivra le temps passé et l’effort nécessaire au processus de capture, la satisfaction des participants et la réutilisation des compétences acquises.

• Les mesures de performance évaluent le lien entre le programme de formation et les résultats opérationnels obtenus. Une approche collaborative pour améliorer un processus de vente alignera par exemple les indicateurs du processus avec les informations utilisées pour aider les ventes.

Plus globalement, le New York Times a récemment rapporté que les entreprises appartenant à la tranche supérieure des 20% de celles investissant dans la formation et le développement de leur personnel réalisaient un bénéfice d’exploitation moyen de 16,2% par an, soit 6,5% de plus que l’indice de référence retenu par Wilshire 5000  (Le Wilshire  5000 est un indice dans lequel toutes les sociétés américaines, la Bourse de New York, le NASDAQ et le NYSE Amex sont répertoriées).

En France, le MEDEF (l’équivalent de la CGEM au Maroc) a estimé qu’en 2016 les actifs immatériels représentaient 40 à 95% de la valeur totale des entreprises selon le secteur d’activités, et 48% des investissements (capital humain, innovation, savoir et savoir-faire, marque, relation clients…).

L’investissement dans le développement des compétences est en effet un indice de bonne gestion du «capital humain», pris en compte désormais par les analystes financiers qui travaillent de plus en plus avec d’autres sources que les documents comptables.

L’effort de formation de l’entreprise devient alors un critère de valorisation du capital humain, ne serait-ce que parce qu’il procure à l’entreprise un avantage concurrentiel difficilement imitable.

Pour conclure, la mesure du retour sur investissement des programmes d’Université d’Entreprise doit être centrée sur les risques que l’on prend en négligeant l’acquisition et la transmission des savoirs. Car si l’on pense qu’il est trop cher d’investir dans l’intelligence collective de ses employés, il faut avoir le courage d’évaluer ce que coûte la non formation et s’essayer à faire fonctionner une entreprise dont les salariés et les managers sont déconnectés par rapport aux mutations économiques, techniques, culturelles et managériales de leur environnement.