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Carrière

Port du voile en entreprise, comment le législateur français traite la question

La liberté religieuse est garantie par le droit du travail.
L’employeur peut imposer des normes vestimentaires, si elles sont justifiées
par l’intérêt de l’entreprise.

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Des principes fondamentaux du droit du travail consacrent directement la garantie de la liberté religieuse (Art. L120-2, C.T.) : «Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché». Par cette formule très générale, le législateur confirme et élargit le principe qu’il avait consacré dix ans plus tôt et qui précisait, s’agissant du règlement intérieur de l’entreprise, qu’il ne pouvait «apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient ni justifiées par la nature des tâches à accomplir ni proportionnées au but recherché» (Art. L 122-35,C.T.). La loi du 4 mars 2002 a complété les dispositions en matière de lutte contre les discriminations pour y insérer le respect des convictions religieuses.(Art. L.122-45 al.1 C.T.).

Une jurisprudence timide
Le port du voile dans l’entreprise a été traité en droit du travail sous l’angle de la tenue vestimentaire qui n’est pas, selon la Cour de cassation, un principe fondamental, comme elle l’a rappelé à l’occasion du licenciement d’un salarié venu travailler au sein de son entreprise en bermuda : «la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu de travail n’entre pas dans la catégorie fondamentale».

L’employeur peut imposer certaines normes concernant l’aspect physique et vestimentaire de son personnel à condition que ses exigences soient justifiées par l’intérêt de l’entreprise et proportionnées au but poursuivi : hygiène et sécurité, conséquences pour la bonne marche de l’entreprise, notamment auprès des clients voire d’autres salariés.
Ainsi, dans une première décision du 9 septembre 1997, une Cour d’appel a admis le licenciement d’une salariée qui avait réitéré son refus, malgré les instructions de son employeur, d’adopter une tenue conforme à l’image de marque de l’entreprise,un magasin de vêtements féminins dont le slogan publicitaire était «Et vogue la mode», et a persisté dans le port d’une tenue la couvrant de la tête aux pieds. La juridiction a considéré qu’il n’y avait pas discrimination mais exigence légitime de l’employeur vis-à-vis de la salariée en contact avec la clientèle.

A l’automne 1989, des jeunes filles musulmanes ont fait le choix de mettre un voile dans l’enceinte de leur école. Débattue sur le terrain de la laïcité, la question a donné lieu à un avis rendu par le Conseil d’Etat le 27 novembre 1989, précisant que les signes religieux sont prohibés s’ils revêtent un caractère ostentatoire ou revendicatif.
Le 3 juillet 2003, une commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité,présidée par Bernard Stasi, a recherché des solutions pour un meilleur «vivre ensemble» dans une France devenue multiconfessionnelle. De cette réflexion est née la loi du 15 mars 2004 entrée en vigueur le 1er septembre 2004 applicable aux établissements publics d’enseignement (Art L.141-5-1 du Code de l’éducation) interdisant «le port de signes ou tenues [manifestant] ostensiblement une appartenance religieuse…»

Pour l’entreprise, la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité avait recommandé qu’«une disposition législative soit prise après concertation avec les partenaires sociaux, qui permette au chef d’entreprise de réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux pour des impératifs tenant à la sécurité,aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale interne».
Aucune loi n’est intervenue sur ce point. Néanmoins,à notre avis, l’esprit de cette loi du 15 mars 2004 permet d’apporter de nouvelles solutions pour le chef d’entreprise qui fait le choix d’appliquer le principe de neutralité au sein de son établissement.

Les juges du fond se sont déjà prononcés implicitement en ce sens
La Cour d’appel de Paris (16 mars 2001) avait admis que l’employeur dans un magasin d’un centre commercial à La Défense puisse s’opposer à ce qu’une de ses vendeuses se dissimule sous un voile, en précisant que, un large public fréquentant l’endroit, «la neutralité ou à défaut la discrétion dans l’expression des options personnelles» s’imposait.

Dans un cas semblable, la Cour d’appel de Reims (3 mars 2004) a tenu compte d’une consigne très apparente de l’entreprise : «Habillez-vous de façon classique sauf si votre animation comporte une tenue particulière : veste,pantalon (pas de jean), cravate, tailleur», indiquant que «cette consigne excluait implicitement le port de vêtements confessionnels» et revenant sur la notion de «neutralité ou à défaut la discrétion dans l’expression des options personnelles».

En revanche, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 19 juin 2003, a confirmé la nullité du licenciement d’une jeune enquêtrice TV licenciée du fait de son refus de porter le voile sous forme de bonnet comme le lui avait imposé l’employeur, et ordonné sa réintégration au motif que l’employeur qui avait connaissance du port du voile lors de l’embauche ne justifiait d’aucun élément objectif permettant de restreindre la liberté de la salariée dans l’intérêt de l’entreprise.

Rappelant le règlement intérieur d’une entreprise, qui prohibait, entre autres, le port de tout signe ostentatoire religieux ou politique, le Conseil de prud’hommes de Lyon, le 16 janvier 2004 , a considéré que la salariée, arborant sur son lieu de travail un foulard islamique, n’avait pas respecté ses consignes interdisant «tous types de couvre-chefs et plus largement les tenues traduisant une appartenance politique, ethnique,religieuse ou philosophique (sauf en ce qui concerne les petits objets de type bijoux, tolérés tant qu’ils ne sont pas ostentatoires)».

Si l’entreprise doit jouer pleinement son rôle dans le processus d’intégration, elle dispose cependant des outils d’exercice de ses pouvoirs d’organisation et de direction (insertion de clauses dans le contrat de travail, règlement intérieur et/ou notes de services) pour s’opposer, sur le fondement du principe de neutralité, au port ostensible de signes religieux. Le rôle du rédacteur de ce type de clauses exige du recul et du doigté dans des matières qui véhiculent parfois certaines arrières-pensées.