Carrière
Mon chef est un pervers
Le management devient toxique quand l’acte managérial lui-même et les comportements du manager affectent fortement le bien-être et la performance des salariés. Le management par objectifs pousse à l’individualisme, surtout dans des domaines très compétitifs.
Dès que l’on commence à évoquer les caractéristiques d’un chef toxique, nous sommes nombreux à penser à quelqu’un de notre entourage professionnel. Des inquiétudes, des réalités qui deviennent de plus en plus avérées dans nos entreprises, qui sont ces personnes perverses qui peuvent détruire nos carrières ? Apprendre à les reconnaître et s’en protéger, c’est faire le chemin vers une réussite professionnelle.
Le management devient toxique quand l’acte managérial lui-même et les comportements du manager affectent fortement le bien-être et la performance des salariés. L’issue dramatique la plus connue de la toxicité c’est le harcèlement et la perversité. Ces derniers peuvent être définis comme étant des anormalités de la conduite générale et spécialement des attitudes à l’égard d’autrui. Ils conduisent à des actes asociaux et inhumains accomplis avec indifférence affective (Mucch. Psychol. 1969). Porot (1960) les qualifie de choix immoral que certaines personnes développent pour s’affirmer.
Difficile, bien sûr, de quantifier ce fléau, qui concernerait un pourcentage important des salariés et sans doute plus parmi les managers que les opérationnels. Notons toutefois que les environnements professionnels représentent un terrain favorable à cette déviance. «Le management par objectifs pousse à l’individualisme, surtout dans des domaines très compétitifs comme les cabinets de conseil et d’avocats», comme le concluent plusieurs chercheurs.
Comparé au harceleur moral, dont il est un cousin, le pervers a ceci de redoutable c’est qu’il cache bien son jeu. A première vue, «c’est un manager parfait, voire un gendre idéal, qui présente toujours bien (apprend toujours par cœur ses discours) et qui s’occupe de tous les détails, s’attribue tous les succès, n’a jamais tort», décrit Laurent Tylski, directeur général d’Acteo Consulting. Il est en réalité imprévisible : adorable un jour, envahissant, exécrable le lendemain. Car ce qui l’intéresse, c’est de briller, aux dépens des autres si nécessaire. C’est la raison pour laquelle il cherche toujours à s’entourer de médiocres.
Ne pas montrer ses émotions dont se nourrit le pervers
Dans la panoplie du pervers, on trouve encore la manipulation dans le souci de rabaisser celui qui peut lui faire de l’ombre, à savoir le compétent qui est son pire ennemi. Celui-ci aime son job et dispose d’énormes capacités de travail et des compétences qui lui sont reconnues. Le manager pervers cherche sans arrêt à isoler ses victimes par différentes méthodes : changements de missions, modification des plannings au dernier moment, espionnage, consignes contradictoires ou impossibles à réaliser (travailler sur un site et leur reprocher d’être absents sur un autre). Souvent, il aura tendance à leur faire des reproches sans aucun fondement : manque d’implication, non disponibilité… Il pointe ce qui est difficile à cerner et à mesurer.
Exemple. Une chef de projet d’un grand groupe de télécoms s’est vu refuser sa demande de formation pour cause de retard. Ce retard a été signalé par sa supérieure hiérarchique auparavant dans des réunions justement dans le but de s’assurer que personne n’irait se former durant cette période.
Comment se protéger ? La première chose à faire est de ne plus montrer ses émotions, dont se nourrit le pervers.
Les psys préconisent aussi de répondre par des phrases courtes du type «c’est vous qui le dites», «tout va bien», de centrer la conversation sur les faits, les chiffres et de faire remarquer calmement en réunion les éléments clés de suivi des dossiers. Les pervers ne sont pas de grands courageux et leurs techniques fonctionnent uniquement dans l’ombre, comme l’assurent les psychologues. Pour contourner leurs manipulations, utiliser les correspondances professionnelles formelles et envoyer des mails avec les supérieurs et les collègues en mettant en copie un maximum d’interlocuteurs et utiliser des phrases du genre «suite à vos consignes», «je confirme ce que vous m’avez demandé de réaliser», engager sa responsabilité devant les collaborateurs et grader une distance. Un manager toxique déteste les traces écrites, c’est son côté paranoïaque. En cas d’échec, il faut toujours anticiper ce qu’il va dire ou faire et lui écrire en quoi consiste l’échec et, surtout, lui apporter des solutions face à ce dernier.
En réunion ou par courriel, dès qu’il utilise le «je», il est important de ne pas le suivre et utiliser par contre le «nous». Pour lui faire éviter de s’approprier les efforts d’autrui.
Le manager pervers a toujours raison, les psychologues sont unanimes sur ce point. Il ne s’agit pas ici de lui démontrer qu’il a tort, mais de le pousser à penser différemment tout en faisant en sorte qu’il pense que les idées viennent de lui. Lorsqu’il dit une absurdité, lui dire: «Vous avez raison, mais, pour aller plus loin, nous pourrions peut-être faire cela?»…
Il pense être le plus brillant des managers qui l’ont précédé dans le poste. Rien ne sert en entreprise de prouver qu’un imbécile est un imbécile. Il n’y a rien à faire pour ce point. C’est de l’énergie inutilement dépensée et surtout contre-productive. Par contre, c’est important de continuer à faire valoir ses talents en l’ignorant.
Ce sont des techniques testées qui permettront de gagner du temps, de neutraliser ce type de manager et de réussir ses expériences professionnelles… avant de décider de fuir ! Les médecins et psychologues sont en effet unanimes: le pervers ne se soigne pas, puisqu’il n’éprouve aucun affect, si ce n’est la jouissance de la souffrance d’autrui. N’attendez pas de rémission de sa part. Il ne changera pas et ne peut pas se transformer en un manager bienveillant.