Carrière
Mener une vie normale quand on a un métier pas comme les autres
Pilote, chauffeur de taxi, routier, agent de sécurité, médecin, travailleur posté… leur point commun : des horaires de travail difficiles ou inhabituels.
Le travail de nuit est le plus pénalisant sur le plan physique et social.
Il est important d’adopter une bonne hygiène de vie pour maintenir
sa forme physique.

Trois à quatre fois par semaine, Saïd B., ingénieur dans une entreprise industrielle, rentre chez lui vers 7 heures du matin, au moment où les gens «normaux» quittent leur lit douillet pour commencer une journée de travail. Visiblement éreinté ce matin, Saïd a passé la nuit, comme d’habitude, à contrôler, de manière rigoureuse, les cartes à puce qui doivent être prêtes à la fin du mois. Non pas parce qu’il doit honorer une commande urgente, mais parce que le travail par roulement est de règle dans l’entreprise qui l’emploie. «Durant toute la semaine, j’alterne travail de jour et de nuit pour assurer la production. Travailler la nuit n’est pas une mince affaire», souligne-t-il.
Comme lui, Réda S., gérant d’un night-club, commence son travail la nuit. Noctambule impénitent, il a beaucoup de plaisir à gérer son établissement à ce moment-là. «Pour moi, le monde de la nuit est magique, se réjouit-il.
La difficulté majeure : concilier vie professionnelle et vie privée
Dans un autre secteur, Adil Ghorbi, pilote de ligne de son état, a pris l’habitude de permuter entre le jour et la nuit. Pour lui, «assurer des vols à 23 heures ou à midi, c’est du pareil au même. L’important, c’est de bien s’organiser pour dégager du temps pour sa famille».
Voici quelques exemples de métiers atypiques, qui tournent le dos aux horaires classiques. Artiste, réceptionniste, chauffeur de taxi, ingénieur, pilote, médecin, agent de sécurité, policier, et bien d’autres encore, ont en commun, par choix ou par nécessité, des horaires de travail incommodes ou difficiles.
Younes Mouhib, DG du cabinet Positif Conseil, évoque trois facteurs importants à l’origine des métiers atypiques. «Service continu à la population, contrainte technologique ou encore choix organisationnel de l’entreprise font que les employés se retrouvent souvent avec des horaires incommodes», souligne-t-il. Par exemple, pour certains métiers, notamment dans le secteur de la santé ou de la sécurité, le devoir d’astreinte est de règle. Tout comme dans plusieurs autres entreprises qui, dans l’obligation de maintenir une activité en permanence, sont tenues de mettre en œuvre le système des 2×8 ou des 3×8. Les cimenteries, raffineries ou autres centrales électriques sont dans ce cas.
L’exercice de ces métiers a un coût : la perte partielle de l’indépendance dans l’organisation de sa vie privée, sachant qu’il est parfois difficile de se soustraire à l’appel du devoir. Cela vaut particulièrement pour ceux qui ont prononcé le serment d’Hippocrate, en l’occurrence les médecins, tenus – si toutefois leur bonne conscience est toujours de mise – de répondre présent à chaque sollicitation d’un patient.
La vie n’est pas toujours facile pour un enfant qui n’a que rarement l’occasion, à l’instar des autres enfants, de se faire raconter des histoires par un papa tenu de passer six nuits sur sept à l’usine pour surveiller la bonne marche de la production, pour une épouse ou un époux contraint de passer seul(e) les longues nuits d’hiver. Les liens affectifs peuvent en prendre un coup, sauf si, comme pour ce gynécologue accoucheur, le conjoint savait pertinemment à quoi s’en tenir avant même de convoler en justes noces.
Gérer le côté affectif est le plus difficile pour tous ceux qui sont amenés à s’absenter du domicile pendant des périodes inhabituelles. «Il faut rassurer et montrer que ces absences sont uniquement motivées par des raisons professionnelles», recommande un sociologue. Selon lui, la pression est plus intense sur une femme que sur un homme, eu égard aux pressions de la société. D’ailleurs, rares sont encore les métiers, comme celui d’hôtesse de l’air, qui retiennent la femme hors du domicile pendant des horaires non conventionnels. Mieux, le Code du travail réglemente strictement les horaires de travail des femmes pour des raisons de sécurité, mais également «pour la protéger contre le regard de cette société», analyse le même sociologue.
Si, pour les adultes, il est plus facile de s’expliquer et de se comprendre, il n’en va pas de même pour les enfants. D’abord, du point de vue de l’autorité, le vide occasionné peut entraîner des errements dans la discipline, surtout si l’absent, le père le plus souvent, est celui qui a plus d’autorité. Mais comme les ruptures sont temporaires, il convient de bien marquer les périodes de retrouvailles pour raffermir les liens affectifs. Il s’agit concrètement de consacrer à ses enfants le maximum de temps libre.
Les plannings sont établis de telle sorte que chacun puisse mener, autant que possible, une vie normale
Cette recherche de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée ne peut pourtant être satisfaite que si la forme physique est là. Demandez à un médecin urgentiste ce qu’il ressent à la fin d’une nuit de garde, à un opérateur obligé de rester sur le qui-vive pendant une nuit pour surveiller des machines d’une activité classée dangereuse ou à un routier dont le seul souci est de livrer la marchandise à temps ? Leur ennemi numéro un est le sommeil, source de fatigue qui, à la longue, nuit à la santé. En somme, pour éviter les ennuis, il est impératif de se plier à une bonne hygiène de vie, surtout pour ceux qui sont de service pendant la nuit ou soumis à des voyages répétitifs. Younes Mouhib recommande de ne pas outrepasser ses forces. «Il faut savoir adapter son travail à son rythme biologique. Pour commencer, il faut connaître son propre rythme, en détectant notamment les moments de force, pour caler son organisation de travail sur ce rythme». A condition d’être autonome, devrait-on ajouter.
A défaut, certains finissent par craquer et jeter l’éponge. Selon un ingénieur, «beaucoup de salariés affectés au travail de nuit demandent avec insistance leur réaffectation au bout de deux ans». Dans la pratique, les entreprises veillent à ne pas en arriver à cette extrêmité.
«De manière générale, les plannings sont établis de sorte que chacun puisse se reposer correctement et mêmer mener une vie normale», explique le DRH d’une entreprise de sécurité. Pour lui, il n’est pas question dans son entreprise de faire travailler de nuit un agent pendant deux semaines de suite.
De plus, les travailleurs de nuit doivent bénéficier d’une surveillance médicale renforcée afin que le médecin du travail puisse apprécier les conséquences éventuelles de la veille sur leur santé et leur sécurité (notamment en raison des modifications des rythmes chronobiologiques) ainsi que les répercussions sur leur vie sociale. Mais rien ne prouve que toutes les entreprises se plient à cette règle. Alors, mieux vaut ne pas abuser de ses forces et se prendre en charge soi-même pour sauvegarder sa santé et son équilibre familial.
