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Carrière

La rareté de l’information constitue le terreau de la rumeur

Dans un corps social, une personne désavantagée use de la rumeur pour se faire entendre ou légitimer son échec. Elle illustre parfois le déficit de communication entre les dirigeants et le reste de l’entreprise. Le seul moyen de contrecarrer les fausses informations, c’est d’apporter des preuves.

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Ahmed al motamassik 2012 06 05

La rumeur naît généralement quand l’entreprise vit une situation d’insatisfaction, de non-communication ou de crise. Ahmed Al Motamassik, sociologue et consultant, qui a déjà travaillé sur le sujet, nous parle d’un phénomène auquel aucune entreprise ne peut échapper et auquel il faut impérativement répondre… très rapidement.

Quelle est l’origine de la rumeur ?

L’origine de la rumeur est souvent difficile à identifier. «J’ai entendu dire que…», «on m’a dit que»…Elle se diffuse rapidement et, une fois lancée, difficile en effet de l’arrêter et d’en retrouver l’origine. Il n’y a «aucun fait qui puisse servir de point de départ». Et avec l’e-rumeur, le phénomène devient moins contrôlable et plus insidieux.
On la définit comme une «proposition liée aux évènements du jour, destinée à être crue, colportée de personne en personne, d’habitude par le bouche à oreille, sans qu’il existe de données concrètes permettant de vérifier son exactitude». Par ailleurs, la métaphore qui assimile la rumeur à la situation dans laquelle «un seul chien se met à aboyer après une ombre et que dix mille autres chiens en font une réalité» rend bien le sens de «l’agir rumoral».
Elle se caractérise par sa source non officielle ; son  processus de diffusion en chaîne : l’efficacité sociale de la rumeur provient du fait de faire répéter la même chose par des personnes différentes afin que plusieurs sources différentes affirment la même chose ; et son contenu : c’est une nouvelle, elle porte sur un fait d’actualité.
Concernant les sources de la rumeur, généralement, elle naît quand l’entreprise vit trois situations : situation d’insatisfaction, de non-communication ou encore de crise.
En ce qui concerne le premier élément, que ce soit une insatisfaction perçue ou réelle, tout individu faisant partie d’un corps social est amené à réagir par la rumeur de manière à faire le contrepoids à une situation désavantagée : absence de promotion, conditions de travail défavorables, pas d’augmentation de salaire…C’est le moyen pour certains de trouver une légitimation de leur échec et de garder l’estime de soi.
Les situations de crise créent pour leur part un sentiment d’insécurité. Une fusion, une cession, un changement majeur…, les rumeurs se propagent alors en réaction aux peurs ressenties par les salariés.
Enfin, quand il s’agit d’une non-communication (surtout dans les entreprises qui cultivent le secret), la rumeur part généralement d’un élément d’information mal transmis. Il fait l’objet d’interprétations et de transformations variables, qui vont, viennent et s’amplifient. C’est en fait le symptôme d’un malaise généré par une communication déficiente de la part de l’entreprise.

Quels peuvent être les effets de la rumeur ?

Lorsque la rumeur est lancée, elle peut avoir deux effets.
Le premier que l’on qualifie de collusif peut provoquer un mouvement social incontrôlé. Il y a ensuite un effet d’information, en ce sens que la rumeur est relayée et amplifiée par des médias ou instrumentalisée par la concurrence et/ou le corps social de l’entreprise.
Si ces deux effets se produisent dans une entreprise, cette dernière risque d’être déstabilisée dans sa structure et son identité.
La rumeur est quelquefois un révélateur du déficit important de communication entre le top management et les salariés. Les rumeurs qui ont pour objet un supposé plan social par exemple peuvent entraîner une démotivation, des arrêts de travail…
 
Avez-vous des exemples ?

Justement, les exemples de fusion et de rachat causent beaucoup de dégâts. J’ai connu le cas d’une grande entreprise de la place qui, à cause d’une rumeur de rachat par un autre groupe, a vu son climat interne se détériorer. Les gens sont allés chercher du travail ailleurs et l’entreprise a perdu le tiers de son effectif. Si les dirigeants avaient bien communiqué au départ, l’entreprise n’aurait pas connu cette mésaventure.
 
La rumeur est-elle toujours malveillante ?

Elle l’est souvent. Mais pas toujours. En tout cas, elle a des conséquences imprévisibles. On dit théoriquement qu’elle peut être polarisée négativement ou positivement mais, d’après mon expérience, la rumeur a toujours un côté pernicieux.
 
Les entreprises répondent-elles efficacement à la rumeur ?

Pas du tout. Soit elles l’ignorent en minimisant ses effets, soit elles sous-estiment son impact. Ici, on aurait tendance à dire que si on intervient, c’est que quelque part c’est vrai. C’est l’idée contenue dans le proverbe «il n’y a pas de fumée sans feu». Alors, bien souvent on attend que la rumeur se dissipe d’elle-même, ce qui arrive rarement : la rumeur qu’on laisse vivre ne fait que s’amplifier. C’est un fait sur lequel les entreprises marocaines qui minimisent le danger doivent travailler. Seules celles qui ont une base internationale ont su mettre en place une veille communicationnelle. Mais elle concerne plus souvent la gestion des catastrophes : pollution de gaz, fumée toxique, intoxication massive …

Cela veut-il dire que les entreprises sont souvent dans le culte du secret ?

Elles sont surtout dans le culte de la rentabilité. Tant que les affaires marchent, peu importe la rumeur.
Le comble c’est quand elles réagissent, elles font tomber quelques têtes parmi les équipes mais cela ne fait que renforcer la croyance dans la véracité de la rumeur.
 
Comment s’y prendre concrètement ?

On peut déjà l’anticiper par une bonne communication et plus de transparence. Journal interne, notes, flash info, Intranet… sont des outils utiles. Tout ce qui n’est pas confidentiel et stratégique peut être communiqué. Mais nous sommes là dans une entreprise déjà bien organisée. Lorsque la rumeur est là, l’entreprise doit mettre en place des systèmes de défense adaptés. N’oublions pas que la rareté de l’information est le terreau de la rumeur. Lorsque la part invisible est plus importante que la part visible, l’information dans l’entreprise devient rare et sensible.
Je rappelle à ce propos l’adage qui dit : «Si vous ne dites pas ce que vous êtes et ce que vous faites, on dira pour vous ce que vous n’êtes pas et ce que vous ne faites pas».

Parfois, n’est-il pas possible de laisser passer l’orage quand on n’a rien à cacher?

J’ai toujours une devise : toute rumeur doit être prise au sérieux. Je pense qu’il faut en effet chaque fois contrer la rumeur, mettre en place un système de réponse, une gestion de communication de crise, comme le font généralement les entreprises organisées qui s’attachent à expliquer, à convaincre… Le seul moyen de contrecarrer les fausses informations, c’est d’apporter des preuves (être factuel) et surtout améliorer la communication. De ce fait, il est plus facile de prévenir que de guérir par une communication claire, ouverte et cohérente des décisions et des événements.
 
On a jusque-là parlé de la rumeur qui peut nuire à l’entreprise. Ne peut-elle pas être un acte managérial quand elle est utilisée par l’entreprise comme un ballon d’essai ?

Oui, elle peut être quelquefois un outil permettant de tester une décision, une action à mener. L’entreprise lance une rumeur et reste à l’écoute des réactions des représentants du personnel, des syndicats… pour éventuellement faire machine arrière. Elle peut être aussi un outil de marketing pour déconsidérer le produit de la concurrence ou relever l’image de son propre produit (buzz). Pour moi, cela reste de la manipulation si on s’amuse à lancer des rumeurs juste pour tester certaines décisions. Quand on découvre la vérité, l’entreprise risque d’être discréditée et son image obérée.