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Carrière

La mobilisation ne peut pas s’obtenir

Dans nos entreprises, le harcèlement des employés par les responsables est encore courant n Mettre la pression peut être un outil de management pour des situations exceptionnelles, mais ne peut pas être un mode et une culture de management.

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Absentéisme, retards, stress, communication interne conflictuelle allant jusqu’au turn-over, casse, corruption et autres fuites d’information, le management répressif peut faire beaucoup de dégâts. Etre mobilisé ne peut que rarement s’obtenir par la coercition, c’est un acte volontaire et à  mettre en relation avec des émotions positives : sentiment d’appartenance, estime de soi – de l’équipe -, du chef, réalisation et développement personnels. Explications de Slim Kabbaj, président d’IS Force, Institut supérieur de formation et de coaching et professeur à  l’Ecole Hassania des Travaux publics.

La Vie éco : Le harcèlement est-il courant dans nos entreprises ?
Slim Kabbaj : Oui ! Dans nos entreprises, le harcèlement des employés par les responsables est encore courant. Là  o๠il y a absence de pratiques et de compétences managériales, il y a inéluctablement pratiques unilatérales de «commande et contrôle» et forme autocratique du pouvoir au sein des organisations.

Cela se traduit souvent par la perception que l’employé ou le collaborateur est «la chose» du patron et qu’il doit agir au doigt et à  l’Å“il. Quand la culture est plus évoluée et plus subtile, cela se traduit par un paternalisme o๠les employés sont considérés comme des mineurs, qu’il faut contrôler selon la bonne vieille méthode de la carotte et du bâton. Le fait du chef et son libre arbitre sont alors au-dessus de toute règle institutionnelle, au-dessus des objectifs organisationnels et de la performance, et il faut simplement espérer rester dans les bonnes grâces du patron, au-delà  de toute considération managériale.

Quels sont, selon vous, les méfaits de telles pratiques managériales ?
Dans les missions «commandées», il n’y a plus de limites aux services demandés et souvent plus de cloisonnement entre droit et devoir, d’une part, et, entre cadre professionnel et cadre familial ou personnel, d’autre part. Cela peut aller de la division entre collaborateurs à  la surveillance «sécurisée» (cheval de Troie, caméras, micros).

De nombreux travaux, anciens, sur les institutions policières, militaires et politiques (Sun Tsu, Clausewitz, Machiavel…) et, plus récents, sur les entreprises (Henri Mintzberg sur le pouvoir dans les organisations), sont très instructifs à  cet égard.

Mobiliser ses collaborateurs sans les harceler, comment est-ce possible?
D’abord en définissant les fonctions de chacun. Ensuite en définissant les règles de fonctionnement interne à  l’organisation le plus objectivement possible. Enfin, en associant la mobilisation des collaborateurs à  leur motivation et à  la hiérarchie de leurs besoins individuels. Etre mobilisé ne peut que rarement être un acte coercitif, c’est un acte volontaire à  mettre en relation avec des émotions positives : sentiment d’appartenance, estime de soi – de l’équipe -, du chef, réalisation et développement personnels.

Former et coacher continuellement les collaborateurs, les associer à  la définition des objectifs et à  la prise de décision, créer une culture de progrès et d’esprit d’équipe, rechercher constamment l’intelligence collective sont autant de pistes possibles de mobilisation qui ont fait leurs preuves depuis des dizaines d’années.

En cas de crise, comment le manager peut-il agir ?
Qui dit crise dit situation exceptionnelle. Donc exceptionnellement, dans des situations critiques, il peut s’avérer utile d’être directif et unilatéral, sachant qu’il y a un prix à  payer si cela dure et si cela est fait à  mauvais escient : démotivation, colère, frustrations… Il y a tout intérêt dans des situations de crise qui durent ou qui se répètent d’associer le top management, et c’est là  un des intérêts de mettre en place un comité de direction, et également d’associer le middle management.

Ce sont des relais importants de communication, de responsabilisation et d’influence. Des consultants extérieurs peuvent être aussi d’une plus-value significative.

Quelles sont les conséquences d’une persécution permanente de la part d’un patron ?
La conséquence la plus criarde et la moins acceptable pour une entreprise est très clairement en termes de résultats et de performance ; et plus vite elle est mise en évidence et plus on peut limiter les dégâts. Plus en amont, les signaux se situent à  différents niveaux et sont identifiables plus ou moins rapidement.

Il y a ce qu’on peut appeler les signaux faibles : absentéisme, retards, stress, communication interne conflictuelle. Il y a aussi les signaux forts : turn-over trop élevé, incapacité de garder ou de recruter des gens compétents, dégradation anormale du matériel, décisions non suivies, maladies récurrentes, corruption, fuite d’information ou alliances avec la concurrence.

Certains pensent que le management par la pression est un ingrédient naturel de la performance individuelle et collective. Peut-il constituer un outil de management ?
Il peut constituer un outil de management exceptionnel mais ne peut pas être une culture de management. Dans des moments critiques, de changement accéléré et sensible, on peut le concevoir. Mais à  terme, on a tout intérêt à  former ses collaborateurs et ses employés à  être autonome dans la responsabilité et dans l’action, à  constituer des équipes selon les principes de l’unité, de la diversité et de la finalité. Les temps du travail à  la chaà®ne, de la division du travail et de la dépersonnalisation des relations humaines sont révolus.

On dit souvent qu’il faut manager par les objectifs. N’y a-t-il pas des inconvénients dans ce système si on place la barre haute ?
Les objectifs font partie du contrat implicite entre tous les employés et l’institution. Ils représentent des engagements vis-à -vis de soi-même et des autres. Ce ne sont pas des dogmes et dépendent de plusieurs facteurs, environnement extérieur, exigences des clients, capacités internes, etc. Justement, la capacité de management des responsables nécessite d’évaluer régulièrement et stratégiquement les résultats et les objectifs et d’équilibrer performance et mobilisation des équipes ; ces éléments ne sont incompatibles que quand les chefs sont inefficaces.

De mon point de vue, les entreprises ne souffrent que rarement d’objectifs trop ambitieux, ils souffrent bien plus de manque de clarté sur ce qu’est la vision, sur ce que sont les objectifs et les définitions de fonction. Les managers font souvent référence au besoin de donner du sens à  leurs actions et déclarent souffrir d’un manque de visibilité. L’enjeu est d’allier objectivité, créativité et innovation ; ainsi on obtient la réussite ; c’est bien pour cela qu’on crée des entreprises.